Combien de fois le meurtrier de la policière Maureen Breau a-t-il reçu une carte « Sortez de prison » au nom du principe de non-responsabilité criminelle pour des gestes violents qu’il avait commis entre 2014 et 2018 ?

Cinq fois.

Isaac Brouillard Lessard souffrait de psychoses et il était explosif : à la moindre contradiction, il pouvait vous taper dessus. Sa consommation de pot amplifiait sa violence. Parlez-en à son concierge et à sa psychiatre.

Ayant été déclaré non criminellement responsable par le tribunal, Brouillard Lessard était donc « suivi » par la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), qui impose des « conditions » aux malades violents pour retourner en société.

Je mets les mots « suivi » et « conditions » entre guillemets fluo, car la commission Kamel confirme ce qu’on soupçonnait déjà : la CETM impose des « conditions » qui peuvent être difficilement « suivies », par manque de ressources1, et il n’y a aucune conséquence quand un malade est réputé ne pas respecter les conditions de la Commission.

La présidente de l’Ordre des criminologues du Québec a témoigné devant MKamel2 qu’il faudrait que tous les patients qui sont traduits devant la CETM fassent l’objet d’une évaluation de dangerosité…

On se pince en découvrant que ce n’est pas déjà le cas.

Mais je pose la question : ça prend combien de comparutions devant la CETM – donc combien de fois doit-on commettre des crimes dans un état de non-responsabilité criminelle – pour que l’on comprenne que certains malades ne sont pas faits pour fonctionner en société ?

Je vais redire les noms de personnes qui, ces dernières années au Québec, ont été assassinées par des malades préalablement violents que la société s’est acharnée à remettre en liberté3 : James Jardin, Chantal Cyr, Annie Baillargeon, Gérard Lalonde, Suzanne Desjardins, Huiping Ding, Chong Soon Yuen, André Lemieux, Mohamed Belhaj, Alex Lévis-Crevier, Jacques Côté, Maureen Breau…

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La sergente Maureen Breau, poignardée mortellement par Isaac Brouillard Lessard en mars 2023

C’est une liste partielle et incomplète, faite grâce à des mots-clés tapés dans Google. Et je ne parle que des personnes assassinées : je passe sur celles qui ont été « juste » battues, mutilées ou traumatisées par des psychiatrisés qui avaient pourtant été jugés aptes à fonctionner en société.

Je pose une autre question : au nom de quel principe Isaac Brouillard Lessard était-il en liberté, en société ?

Voici un homme qui collectionnait les visites à la CETM, qui échappait à répétition à la justice au nom du principe de non-responsabilité criminelle, qui cassait des gueules dès qu’il était indisposé… 

Et il était en liberté.

La société s’est acharnée à le laisser vivre en société même si tout indiquait que c’était un type dangereux, incapable de se contrôler. Pourquoi ? Parce que le système médico-judiciaire permet à ces récidivistes de rester en société malgré leur dangerosité.

Et quand on suit les travaux de la coroner Kamel, on constate ceci : quand un malade tombe sous la coupe de la CETM, son dossier devient à plein d’égards confidentiel pour beaucoup de monde… 

Ainsi, si la police retrouve le psychiatre d’un Isaac Brouillard Lessard pour lui demander à qui on a affaire, pour signaler que sa consommation de cannabis est peut-être une violation des conditions de remise en liberté imposées par la CETM… 

Il y a de grandes chances que le psy dise : « Désolé, je ne peux pas vous parler de mon patient. »

Pourquoi ?

Parce qu’il ne s’agit plus de justice criminelle, mais de… santé. Le violent récidiviste n’est plus un criminel aux yeux du système médico-judiciaire, il devient uniquement un malade. Et le droit à la confidentialité d’un malade qui a reçu une carte « Sortez de prison » en vertu du principe de non-responsabilité criminelle est sacré au Québec.

Pas en Ontario, mais c’est une autre histoire4.

Donc, quand les flics vont cogner à la porte d’un Isaac Brouillard Lessard, ils ne savent bien souvent pas à qui ils ont affaire. Et ils n’ont pas de moyens de le savoir. Dans le système médico-judiciaire qui préside aux remises en liberté de gens décrétés plus malades que criminels, la main gauche ne sait pas ce que la main droite fait. Je cite la coroner Kamel : « Personne ne se parle. Tout le monde travaille seul. »

Et quand les policiers arrêtent un type comme Fabio Puglisi parce qu’il a attaqué sans raison une passante, ils ne savent pas que l’homme a déjà été sous la supervision de la CETM. Ils ne savent pas que c’est un type dangereux… parce que son dossier médical est confidentiel.

Donc, un type comme Puglisi est remis en liberté sur promesse de comparaître comme s’il s’agissait d’un bête vol à l’étalage, aucun drapeau rouge n’est levé devant la dangerosité de l’état d’esprit d’un type qui attaque sans raison une inconnue qu’il croise dans la rue5.

Et une semaine plus tard, oups, la police est appelée chez la mère de ce M. Puglisi et y découvre un massacre : deux personnes assassinées à coups de couteau, une autre massacrée de la même façon.

Un drame, bien sûr, mais mettons des lunettes roses comme le fait le système médico-judiciaire québécois : au moins la sacro-sainte confidentialité du passé psychiatrique de Fabio Puglisi a été respectée par le système ! Il ne faudrait surtout pas qu’il soit « stigmatisé » par la société pour ses crimes violents passés.

Même chose pour Isaac Brouillard Lessard : la confidentialité du dossier médico-judiciaire de ce violent récidiviste a été respectée de A à Z, ça, là-dessus, le système a été exemplaire.

La policière Breau a payé de sa vie ce beau principe.

1. Lisez «  Mort de la policière Maureen Breau : un psychiatre ayant déjà suivi Brouillard Lessard témoigne à l’enquête de la coroner» 2. Lisez un article dans L’actualité 3. Lisez la chronique « L’hôpital psychiatrique à ciel ouvert (4) » 4. Lisez notre dossier « Policiers et détresse mentale : une heure pour éviter le pire » 5. Lisez un article de TVA Nouvelles