À la suite de notre reportage, l’IVAC ferme le dossier d’un harceleur qui se prétendait victime. Mais d’autres cas tout aussi troublants font surface.

La bonne nouvelle, d’abord : l’IVAC cessera d’indemniser un harceleur qui s’acharne depuis des années à pourrir la vie de son ex-conjointe. La mauvaise : cette histoire de fraude, exposée dans La Presse, n’est pas un cas isolé.

L’IVAC, qui a pour mandat d’indemniser les victimes d’actes criminels au Québec, a finalement vu la lumière. Elle cesse de reconnaître Alexandre* comme une victime de son ex-conjointe, Justine*. Elle ferme son dossier, tout comme celui qu’Alexandre avait fait ouvrir au nom de sa fille, sous prétexte que l’enfant avait également subi les violences de Justine.

Tout cela était faux, faux et archifaux, comme l’ont démontré de multiples jugements. Alexandre, qui a purgé des mois de prison pour son harcèlement criminel envers Justine, ne recevra plus un sou de l’État. Même que le ministère de la Justice pourrait donner le mandat à ses procureurs d’entreprendre des poursuites au pénal à son encontre, ai-je appris de bonne source.

« Bien que l’IVAC ne puisse commenter un cas en particulier, elle peut toutefois confirmer que des actions sont prises », se borne à m’écrire un porte-parole de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), dont relève l’IVAC.

Justine est immensément soulagée de ce dénouement. Considérée comme une agresseuse par un organisme public, elle tenait à rétablir la vérité – pour elle, mais surtout pour sa fille. Jusqu’ici, ses démarches n’avaient servi à rien ; elle s’était tournée vers La Presse en désespoir de cause1.

Justine demande à l’IVAC d’être plus vigilante, à l’avenir, en particulier quand un parent réclame une indemnité pour des gestes criminels prétendument posés par un autre. « Il n’est pas normal qu’on ne fasse pas un suivi minimal auprès de l’autre parent ou qu’on ne réclame pas des preuves, comme des jugements ou des rapports de la DPJ », m’a-t-elle écrit.

Pas normal, non plus, que ce soit un article de La Presse qui fasse débloquer le dossier. Ça ne peut pas fonctionner comme ça. Ce journal ne pourra pas tenir indéfiniment la chronique des fraudes à l’IVAC. Il doit y avoir un meilleur moyen de colmater cette faille.

Dans une déclaration commune, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et le ministre du Travail, Jean Boulet, assurent que « si des mesures doivent être prises pour corriger la situation, elles le seront ».

Ça risque d’être le cas ; Justine n’est pas la seule à avoir vécu ce cauchemar.

J’ai reçu des témoignages troublants, après la publication de l’histoire de Justine. Certains impubliables, puisqu’un journaliste ne peut s’ériger en juge et départager le vrai du faux dans des affaires pareilles. Pour trancher entre deux versions contradictoires, un journal n’a pas les moyens d’un tribunal.

L’IVAC non plus, d’ailleurs.

Mais quand il existe des jugements clairs et accablants, c’est autre chose. Comme dans le cas de Justine. Et comme dans celui de Patrick* et de François*.

Les deux hommes ont tour à tour fréquenté la même femme, Hélène*. Ils ont tous deux vécu l’enfer : traités d’agresseurs et de batteurs d’enfants ; dénoncés à la DPJ, arrêtés par la police, etc. Ils ont subi tout ça, pendant des années, alors que rien ne le justifiait.

Patrick était heureux, en 2015, quand il a appris que sa conjointe était enceinte. Il l’a accompagnée à ses premiers rendez-vous médicaux. Mais Hélène l’a quitté avant l’accouchement et lui a demandé de ne pas s’impliquer dans la vie du futur enfant.

Patrick a obtempéré. Et voilà qu’un jour, des policiers se sont présentés sur son lieu de travail pour lui passer les menottes, devant ses collègues. Hélène, qui prétendait n’avoir jamais été en couple avec lui, l’accusait de l’avoir violée. Un bébé, affirmait-elle, était né de cette agression sexuelle.

C’était un tissu de mensonges. Des années plus tard, quand un tribunal placera Hélène devant ses contradictions, cette dernière se lancera « dans des explications plus abracadabrantes les unes que les autres pour tenter d’expliquer l’inexplicable », lit-on dans un jugement de Catherine Brousseau, de la Chambre de la jeunesse.

Ce jugement dévastateur, rendu en mars 2022, expose l’ampleur de la fable inventée par Hélène à propos de Patrick, mais aussi de François, avec qui elle a eu un autre garçon.

« Le Tribunal ne compte plus les éléments de tromperie ou de falsification de la mère dans ce dossier, écrit la juge Catherine Brousseau. Par exemple, en mars 2019, la mère interpelle le grand-père maternel afin qu’il lui signe un document confirmant que [François] a été violent à son endroit à l’Hôpital alors que la rencontre s’est très bien déroulée. »

La juge note que malgré tout ce qu’Hélène lui a fait subir, Patrick s’est montré conciliant et n’a pas alimenté de conflit de séparation. « On ne peut pas en dire autant de la mère qui a privé [le garçon de Patrick] durant plusieurs années de la présence d’un père en raison de fausses accusations et de mensonges. »

Contrairement à ce que prétend Hélène, Patrick et François sont des pères attentionnés et non violents. « Quant à la mère, tout reste à faire. Si elle veut s’en sortir, elle devra être honnête avec elle-même ainsi qu’avec les autres et cesser de se forger une réalité qui n’appartient qu’à elle. »

La juge dans cette affaire a entendu une quinzaine de témoins, dont trois témoins experts. Elle a épluché des centaines de pièces déposées par les parties. « Ce dossier est un parfait exemple de ce qui arrive lorsque différents intervenants impliqués dans un dossier travaillent en silo, écrit-elle. En effet, dans la présente affaire, la mère a mobilisé un nombre incalculable de professionnels (Directrice [de la protection de la jeunesse], policiers, médecins, psychologues, avocats, juges de différentes juridictions), réussissant à mentir à tout un chacun et à étirer la sauce sans que soit remise en cause sa crédibilité ou la véracité de ses dires, du moins pour un temps. »

Au terme des procédures, tout le monde avait enfin compris à qui il avait vraiment affaire.

Tout le monde, sauf l’IVAC.

* Noms d’emprunt. La loi nous oblige à protéger l’identité des enfants impliqués.

1. Lisez la chronique « Victime de l’IVAC »

Des enfants victimes de leur mère

Depuis leur naissance, les garçons d’Hélène étaient malades. Plusieurs fois par mois, ils se retrouvaient à l’hôpital pour des problèmes digestifs et respiratoires. On leur a fait subir des radiographies, des échographies à l’abdomen, des électroencéphalogrammes, des biopsies, des scopies digestives, du gavage, des gastroscopies…

Bizarrement, quand le garçon de François était chez son père, il se portait bien. Jamais le moindre mal de ventre.

Hélène souffre du syndrome de Münchhausen par procuration – aussi appelé trouble factice imposé à autrui. Elle a soumis ses enfants « à de multiples examens inutiles et douloureux qui constituent des abus physiques au sens de la loi », écrit la juge Catherine Brousseau dans une décision rendue en mars 2022.

S’il y a des victimes dans cette affaire, ce sont ces deux garçons.

Le Tribunal les a confiés à leurs pères respectifs, en plus d’interdire tout contact, direct ou indirect, entre la mère et les enfants. Il a retiré à Hélène son autorité parentale pour tout ce qui touche l’école et les soins de santé. Il a même ordonné que l’adresse des pères soit cachée à la mère.

Malgré tout ça, Hélène continue à recevoir des indemnités de l’IVAC.

Hélène a perdu la garde de ses deux enfants en mars 2021. Plus de deux ans plus tard, pourtant, elle continuait de recevoir des indemnités mensuelles de 1148 $ pour son premier garçon, sous prétexte qu’il serait né d’un viol.

« Depuis la naissance de [cet enfant], soit de 2016 à ce jour, la mère a reçu une somme de 82 332,45 $ de l’IVAC, somme non imposable […] », souligne la juge Catherine Brousseau dans une seconde décision, rendue en août 2023. « Depuis que cet enfant est confié à son père, elle n’a jamais versé quelque somme que ce soit à titre de pension alimentaire. »

Ce n’est pas tout. « La mère a également continué de bénéficier d’un suivi psychologique, payé par l’ensemble des contribuables, alors que le trouble factice par procuration ne découle clairement pas d’un acte criminel et excède le mandat de l’IVAC », lit-on dans ce deuxième jugement.

Hélène a aussi reçu des remboursements ponctuels de l’IVAC. Par exemple, le 19 octobre 2022, l’organisme lui a remboursé l’achat d’une paire de lunettes en raison des violences que François lui aurait prétendument infligées.

Or, le 19 octobre 2022, c’était six mois après que les mensonges d’Hélène eurent été exposés de long en large dans un premier jugement. Manifestement, cette décision – celle-là même qui regrettait le travail en silo des intervenants – ne s’est pas rendue à l’IVAC.

Le Tribunal ne peut faire autrement que de constater qu’avec ces histoires inventées de toutes pièces, la mère a fait d’énormes gains financiers en plus d’avoir été valorisée et confortée dans son rôle de “victime”, et ce, au détriment de l’intérêt des enfants.

Extrait d’une décision de la juge Catherine Brousseau

« Le Tribunal comprend le rôle de l’IVAC, qui vise à accompagner les victimes et à les supporter afin qu’elles aient accès aux services et indemnités auxquelles elles ont droit, mais dans la présente affaire, plusieurs éléments soulèvent de sérieux questionnements sur le fait qu’encore aujourd’hui, la mère reçoive des indemnités tant pour elle que pour son fils, surtout que son médecin n’a fourni aucun document médical confirmant son inaptitude au travail depuis le mois d’avril 2022. »

Rappelant que « les ressources de l’État sont précieuses et doivent être utilisées à bon escient », la juge Catherine Brousseau « laisse le soin aux autorités compétentes de pousser l’affaire plus loin ».

« C’est kafkaïen »

Autre cas, même scénario. Jean-Philippe* est accusé par son ex d’avoir été violent envers elle et leur fille, aujourd’hui âgée de 9 ans.

Pourtant, les intervenants de la DPJ « n’observent aucun indice de violence et de contrôle de la part du père » à l’endroit de l’enfant. Au contraire, Jean-Philippe s’occupe très bien de sa fille.

En septembre 2023, un tribunal accorde la garde complète de l’enfant à Jean-Philippe. La mère « ne donne aucun exemple le moindrement convaincant des comportements fautifs, violents, coercitifs ou inappropriés du père. Elle semble obnubilée par le conflit et sa quête d’établir sa victimisation et celle de l’enfant », écrit le juge Claude Lamoureux, de la Chambre de la jeunesse, dans sa décision.

Le juge note que la mère porte plainte contre tous les intervenants qui ne partagent pas sa vision – et dont le travail aurait, par conséquent, été mal fait. Policiers, psychologues, intervenants sociaux : ça fait beaucoup de plaintes, puisque personne ne partage sa vision.

Personne, sauf l’IVAC, bien entendu.

En effet, malgré le jugement, l’IVAC continue de verser à la mère un chèque de 2224,88 $ toutes les deux semaines, selon un document que cette dernière a déposé en « preuve », en janvier, devant la Cour supérieure.

Pour Jean-Philippe, il est clair que son ex-conjointe use et abuse de son statut de victime reconnu par l’IVAC pour justifier ses requêtes judiciaires.

« Chaque fois que j’ai appelé l’IVAC pour dénoncer une fraude, pour contester, c’était impossible. C’est kafkaïen », déplore-t-il en entrevue. Par courriel, on ne lui a pas envoyé le moindre accusé de réception. Par téléphone, on lui a dit qu’on le rappellerait. On ne l’a jamais fait.

Ce n’est pas tant la fraude qui choque Jean-Philippe. Ce qu’il craint par-dessus tout, c’est que ces accusations de violence – reconnues par un organisme public – aient un impact dévastateur sur sa relation à long terme avec sa fille. « C’est surtout à cause de cette injustice que je tiens à rétablir les faits. »

* Nom d’emprunt, pour protéger l’identité de l’enfant impliqué.

Québec promet de corriger la situation

Invités à réagir aux potentiels cas de fraudes commises envers l’IVAC, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, ainsi que le ministre du Travail, Jean Boulet, responsable de la CNESST, m’ont fait parvenir cette déclaration commune :

« La loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement relève du ministère de la Justice et est administrée par la CNESST. Cette dernière a le devoir de s’assurer que des personnes malveillantes ne puissent frauder l’État, notamment en révisant les dossiers qui font l’objet de dénonciations. La CNESST nous assure d’ailleurs qu’il y aura révision de certains dossiers pour lesquels des dénonciations ont été soumises.

« La réforme de l’IVAC est venue corriger d’importantes lacunes et permet aujourd’hui d’indemniser deux fois plus de personnes victimes. En effet, ce sont 43 infractions contre la personne qui n’étaient pas reconnues par l’ancien régime de l’IVAC et qui le sont désormais, comme la pornographie juvénile, l’exploitation sexuelle et le leurre d’enfant.

« Soulignons que des mécanismes d’enquête sont prévus à la loi et donnent à la Direction générale de l’indemnisation des personnes victimes d’actes criminels les recours pour recouvrer toute somme versée sans droit.

« Rappelons que la fraude constitue une infraction passible d’accusations criminelles et de sanctions pénales.

En terminant, des vérifications sont toujours en cours et nous réitérons que si des mesures doivent être prises pour corriger la situation, elles le seront. »