L’ex-ministre fédéral de la Justice David Lametti rejette la thèse selon laquelle il aurait « élargi » les critères de révision pour permettre à l’ex-juge Jacques Delisle d’obtenir un deuxième procès.

L’ancien magistrat, déclaré coupable de meurtre en 2012, avait échoué dans ses appels. Condamné à perpétuité, il avait utilisé le recours extraordinaire de la « révision judiciaire », qui permet de faire examiner un dossier qui pourrait constituer une erreur judiciaire.

En 2017, le Groupe de révision des condamnations criminelles (GRCC) du ministère fédéral de la Justice avait conclu que Delisle n’avait pas été victime d’une erreur du système, même si des erreurs avaient été faites dans son dossier. La plus importante est la destruction du cerveau de la victime, Nicole Rainville, par le Laboratoire de sciences judiciaires. Il devenait impossible de faire des contre-expertises approfondies. Malgré tout, le GRCC estimait que l’homme, maintenant âgé de 88 ans, avait pu se défendre adéquatement.

S’il a subi des préjudices, disait le GRCC, c’est essentiellement parce qu’il n’a pas été honnête avec les autorités et a fait de mauvais choix stratégiques – comme ne pas donner sa version au jury à son procès. Et les nombreuses nouvelles expertises, pour pertinentes qu’elles soient, ne sont pas vraiment une nouvelle preuve non accessible au procès.

Ce n’est qu’en 2019, donc deux ans après la rédaction de ce rapport, que David Lametti est devenu ministre. Malgré l’absence de constat d’erreur judiciaire, et l’absence de recommandation d’agir en faveur de l’ancien juge, le ministre Lametti a ordonné la tenue d’un nouveau procès en 2021. Le rapport, défavorable au juge Delisle, a été rendu public jeudi.

Je n’ai jamais dit qu’il est innocent. J’aurais pu envoyer le dossier à une Cour d’appel [ce qui est le cas devant des constats flagrants d’erreur judiciaire]. J’ai renvoyé le dossier à la Cour supérieure, pour que la preuve soit réévaluée.

L’ancien ministre fédéral de la Justice David Lametti

Car la défense a fait valoir une demi-douzaine de nouvelles expertises qui pouvaient jeter le doute sur le premier verdict.

« C’est un peu trop facile de dire que j’ai élargi les critères. Comme dans chaque cas, j’ai demandé d’autres avis. Et à la fin, j’ai estimé que le dossier devait être réexaminé. Les gens pourront être en accord ou en désaccord, mais j’ai pris mes responsabilités au sérieux. J’ai pris les mêmes mesures que dans les autres dossiers. Je pense encore que ça aurait pu être réglé [par un jury] devant la Cour supérieure. »

Pendant ses quatre années comme ministre, il a accepté la révision de sept dossiers. « Ce n’est pas hors norme que je ne sois pas du même avis que le GRCC, car j’ai toujours accès à d’autres preuves et opinions. »

Il a demandé un avis à l’ancien juge de la Cour suprême Morris Fish, un criminaliste éminent qui agit comme conseiller pour ces questions. Mais le juge Fish ayant siégé à la Cour d’appel du temps où Jacques Delisle était juge, il s’est abstenu.

« On a cherché une opinion d’un juriste éminent à l’extérieur du Québec, pour avoir un point de vue neutre. Un juge de l’extérieur a évalué le dossier, et j’ai ensuite demandé une deuxième opinion d’un autre juriste éminent du calibre de Morris Fish à l’extérieur du Québec, pour être bien certain. Et à la fin, j’ai pris ma décision. »

L’ancien ministre, qui a quitté son poste de député de LaSalle–Émard–Verdun en janvier, est conscient de l’apparence laissée par sa décision, qui va plus loin que l’opinion du GRCC. Mais il n’a pas changé les critères pour l’ex-juge, assure-t-il. Il a agi de la même manière dans les six autres dossiers où il a ordonné un renvoi devant les tribunaux de dossiers de gens condamnés « probablement » à la suite d’une erreur judiciaire.

L’ironie, c’est que certains me reprochent une ingérence, alors que j’ai placé la réforme du GRCC au cœur de ma première campagne électorale en 2019.

L’ancien ministre fédéral de la Justice David Lametti

C’est lui qui a ordonné une commission d’enquête sur la révision des erreurs judiciaires au Canada. Les commissaires, les juges Juanita Westmorland-Traoré et Harry LaForme, ont conclu que le système actuel était trop lent, trop coûteux pour les victimes d’erreur et pas assez indépendant. Le rapport proposait une commission indépendante, avec ses propres pouvoirs d’enquête, qui soit accessible, sur le modèle de celles qui existent au Royaume-Uni.

David Lametti est d’accord avec les critiques les plus sévères du GRCC, trop lent et trop prudent à ses yeux.

« Il est clair que M. Delisle avait accès à des ressources que d’autres n’ont pas. Les autres cas que j’ai traités provenaient de projets innocence un peu partout au pays. » Ces cas sont ceux de personnes sans moyens. Ces « projets innocence » sont souvent menés bénévolement par des avocats pour des détenus n’ayant pas les moyens de financer un dossier. C’est le cas de Daniel Jolivet, par exemple, qui, lui, contrairement au juge Delisle, a pu prouver que le ministère public avait caché de la preuve, des témoins, détruit des documents… mais dont le dossier n’atteint même pas la deuxième étape d’enquête.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que le système actuel n’est pas équitable. Le ministre ne peut pas voir chaque cas, les analyses prennent trop de temps, c’est pour ça que j’ai voulu le réformer.

L’ancien ministre fédéral de la Justice David Lametti

La loi porte le nom de David Milgaard, qui a purgé 23 ans pour un meurtre qu’il n’a pas commis, et de sa mère, Joyce. Il a été adopté par la Chambre des communes, le financement est réservé, il ne manque que le vote du Sénat.

« J’ai promis à David Milgaard avant sa mort de changer le système », dit l’ex-ministre… qui espère que jamais plus un ministre ne sera appelé à rendre ces décisions.