Il a commencé par se dire innocent. Ensuite, il a avoué une imprudence avec son arme à feu. Puis une sorte d’encouragement ambigu au suicide…

Mais jeudi, au palais de justice, c’est pour le crime d’homicide que Jacques Delisle a reconnu sa culpabilité. Homicide « involontaire », certes, mais homicide quand même. La version édulcorée que son avocat Jacques Larochelle a donnée à la cour ne correspond pas à un homicide involontaire, qui est l’acte de tuer un être humain illégalement – sans que ce soit un meurtre.

Je le répète, après toutes ces péripéties, ce compromis entre la défense et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) était raisonnable. L’homme a presque 89 ans, paraît frêle, a purgé neuf ans d’emprisonnement et risquait de mourir avant même la tenue du deuxième procès.

Ce qui fait désordre, c’est qu’il plaide coupable à un crime bien plus grave que ce qu’a raconté son avocat au juge. De toute évidence, l’entente entre le ministère public et la défense prévoyait que l’exposé des faits appartiendrait à MLarochelle. Le procureur du DPCP s’est contenté de dire qu’à son avis, l’ex-juge a eu un rôle plus « actif » et « contemporain » dans la mort de sa femme.

Soyons donc pointilleux comme l’était l’ancien juge, et retenons la conclusion juridique contenue dans son aveu : c’était un homicide, pas une aide au suicide de sa femme.

Bref, il l’a tuée.

Mais la nouvelle la plus importante n’est pas là. Elle est contenue dans le rapport du Groupe de révision des condamnations criminelles (GRCC), rendu public avec l’aveu de culpabilité – et révélé d’abord par Radio-Canada. Un rapport qui ne conclut pas du tout à une erreur judiciaire.

C’est pourtant sur ce rapport que l’ex-ministre de la Justice David Lametti s’est basé pour ordonner un nouveau procès pour Delisle.

Car Jacques Delisle avait été déclaré coupable par un jury en 2012 du meurtre prémédité de sa femme handicapée, Nicole Rainville. La Cour d’appel du Québec avait confirmé ce verdict, puis la Cour suprême. Le délinquant avait donc épuisé tous ses recours. Il ne lui restait que la demande de révision au GRCC, qui existe pour corriger les erreurs judiciaires. Demande qu’il a faite en 2015.

Le GRCC fait rapport au ministre de la Justice, qui, lui, décide de transmettre le dossier à la Cour d’appel ou d’ordonner lui-même un nouveau procès s’il croit qu’une erreur judiciaire a « probablement » été commise.

Depuis 20 ans, c’est à peine un cas par année au Canada qui passe le test très exigeant du GRCC. Généralement, il faut avoir trouvé une nouvelle preuve crédible qui change toute la perspective (de l’ADN, un nouveau témoin, une vidéo…).

Pour toute nouvelle preuve, Delisle avait une série de rapports d’experts qui jetaient un doute sur sa culpabilité. Le ministre avait jugé cela suffisant et ordonné un nouveau procès en 2021 (procès qui était encore en attente).

Et voilà qu’on apprend en lisant ce rapport daté de 2017 que le GRCC n’avait pas conclu à une erreur judiciaire. Le système n’a commis aucune injustice envers Jacques Delisle : c’est lui qui a menti, c’est lui qui a décidé de ne pas témoigner, c’est lui qui a changé sa version après sa condamnation.

« L’accusé a constamment tenté de camoufler, minimiser ou décrire d’une nouvelle manière son comportement criminel », écrit le GRCC.

Delisle, même dans son entrevue à l’émission Enquête où il prétendait avoir donné une arme à sa femme handicapée et dépressive, répétait : « Je n’ai pas commis de crime. »

Le GRCC rappelle la règle bien établie voulant qu’on ne permette pas en appel une nouvelle preuve qui était disponible au procès, mais qu’on a gardée secrète pour des motifs stratégiques. Laisser une personne condamnée avancer une nouvelle théorie en appel parce que la première a échoué « déconsidérerait la justice », écrit le GRCC.

C’est en plein ce que Delisle a fait en révision judiciaire.

Il aurait pu demander à témoigner en appel, mais ne l’a pas fait. C’est quand il a perdu sur toute la ligne qu’il a raconté une nouvelle histoire.

À la lumière de la preuve, bien des aspects ne sont pas crédibles dans cette nouvelle version officielle de l’accusé (ma femme voulait se suicider, je lui ai donné mon arme en lui demandant de réfléchir), estime le GRCC. Que ce soit un suicide ou un suicide assisté n’affaiblit en rien la preuve de la poursuite. C’est une théorie tardive et commode, où il est plus actif que dans la première version, quand il disait avoir laissé traîner l’arme prohibée dans l’appartement… chargée… en attendant de la rendre aux autorités, car elle était prohibée. Notons qu’il la possédait illégalement depuis plus de 20 ans.

De tous les nouveaux experts convoqués par Jacques Delisle pour prouver son innocence, il n’est sorti rien de radicalement affirmatif. Certains soulèvent un doute. D’autres disent que les deux thèses – meurtre ou suicide – sont possibles. C’est le même débat qu’au procès, en somme, où Delisle n’a pas témoigné, et où il n’a pas réussi à soulever le doute.

Au bout du compte, le GRCC ne tranche pas définitivement, mais rappelle au ministre que ce pouvoir est extraordinaire et ne devrait pas servir d’appel déguisé après tous les autres. C’est uniquement quand le système a mal agi, a échoué, qu’on devrait réviser une condamnation finale.

Le fait de ne pas s’être bien défendu, de ne pas avoir témoigné, d’avoir menti, de ne pas avoir déposé d’autres expertises… Tout ça n’est pas l’erreur, encore moins la faute du « système », mais bien de l’accusé lui-même.

Manifestement, le ministre Lametti a élargi le champ d’application de ce pouvoir exceptionnel, et cela soulève de nombreuses questions.

Philosophiquement, ce ne serait pas étonnant, car on le sait très préoccupé par les erreurs judiciaires. Il a lui-même présenté un projet de loi pour réformer complètement le GRCC, beaucoup trop restrictif dans ses analyses. Sauf que ce projet de loi n’est pas encore en vigueur. Et que bien des gens en prison en ce moment n’ont pas eu la chance d’une interprétation si large et généreuse de la loi actuelle – je pense à Daniel Jolivet, dont j’ai longuement parlé dans ces pages.

Cela aussi fait désordre et vaguement arbitraire. Cela aussi nécessitera des explications de l’ex-ministre.

Lisez la chronique « Orgueil et culpabilité »