Justice a été rendue. Le calvaire d’Océane* est terminé. L’homme qui l’a violée ne pourra plus jamais revendiquer la paternité de l’enfant né de ce viol. Non seulement cela, mais il devra aussi payer 155 500 $ pour subvenir aux besoins de l’enfant, tranche la Cour supérieure dans une décision appelée à faire jurisprudence.

Dans une décision rendue jeudi, le juge Carl Lachance rejette la poursuite en reconnaissance de paternité de l’agresseur et déclare qu’il « ne pourra plus jamais, à son initiative, demander qu’un lien de filiation soit établi entre lui et l’enfant ».

Il s’agit du tout premier jugement rendu en vertu d’une loi adoptée en juin 2023 afin qu’aucune autre Québécoise n’ait à subir l’injustice qu’Océane a subie.

La jeune femme a tracé une voie au Québec et en est fière. « Ça me rend heureuse pour les personnes qui n’auraient pas été capables de se rendre jusqu’au bout, m’a-t-elle confié, très satisfaite et, surtout, immensément soulagée d’en avoir terminé avec la justice. Je me suis trouvée vraiment forte de vivre tout ça. J’ai fait ma bonne action… »

Océane n’avait que 17 ans quand elle a été violée par son colocataire, en 2019⁠1. Elle était tombée enceinte à la suite de l’agression et avait décidé de garder l’enfant. Le violeur avait pris le chemin de la prison, non sans avoir agressé trois autres femmes.

Du fond de sa cellule, il avait entamé des démarches pour être reconnu comme le père du fils d’Océane. Il s’était adressé au tribunal pour que l’enfant soit soumis à un test d’ADN. Cette demande lui avait été accordée, ce qui avait choqué le Québec et poussé le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, à réformer le droit familial en matière de filiation⁠2.

La décision du juge Carl Lachance est basée sur la nouvelle loi visant à protéger « des enfants nés à la suite d’une agression sexuelle et des personnes victimes de cette agression ».

Le juge donne raison à Océane sur toute la ligne. « Le demandeur n’est pas digne d’être reconnu comme le père de l’enfant », écrit-il.

À notre avis, l’intérêt de l’enfant ne milite clairement pas en faveur de lui imposer un père ayant violé sa mère.

Extrait du jugement rédigé par le juge Carl Lachance

C’est une évidence. Encore plus quand on connaît les lourds antécédents judiciaires de l’agresseur en matière de violences sexuelles, de voies de fait, de délit de fuite et de menace…

Si ce dangereux récidiviste avait eu gain de cause, Océane aurait été forcée de lui accorder des droits de visite et de lui demander son approbation avant de prendre des décisions importantes dans la vie de son fils. La situation aurait été « invivable » pour elle et l’enfant, conclut le juge.

Peu avant de comparaître, en novembre, l’agresseur s’est désisté de sa poursuite en reconnaissance de paternité⁠3. Or, le juge Lachance rejette ce désistement, estimant que l’homme ne cherchait qu’à se soustraire à la loi en se gardant le droit de revenir à la charge, dans les prochaines années.

Le désistement laisse la mère et l’enfant dans l’incertitude avec une épée de Damoclès sur leur tête. […] Nous ne pouvons cautionner ni tolérer que l’agresseur utilise une technique procédurale pour échapper à une issue défavorable dans l’espoir de pouvoir se reprendre plus tard.

Extrait du jugement rédigé par le juge Carl Lachance

Océane a appris que son agresseur avait obtenu une libération conditionnelle quand ce dernier s’est présenté en personne dans la salle d’audience, le 22 novembre. Pour elle, cela a été tout un choc. Le juge reconnaît que « le processus judiciaire a été une épreuve pour la mère confrontée à nouveau à l’agresseur alors qu’elle croyait qu’il était en prison ». Il estime devoir clore l’affaire, une fois pour toutes, afin d’éviter que cela ne se reproduise à nouveau.

Il rappelle que l’enfant pourra toujours, s’il le souhaite, demander au Tribunal d’établir la filiation, lorsqu’il sera plus âgé. Mais ça ne pourra se faire que dans ce sens-là. « Laisser le choix à l’agresseur de revenir à la charge est contraire à l’intérêt de la justice. »

Le juge Lachance souligne que l’enfant « a droit à une quiétude et paix d’esprit, sa mère également. Ils ont refait leur vie, ils ont droit à la tranquillité et à la paix judiciaire ».

Le Tribunal ordonne à l’agresseur de payer un montant forfaitaire de 155 483,42 $ pour combler les besoins de l’enfant jusqu’à sa majorité. C’est bien davantage que ce qu’avait initialement demandé Océane.

En l’absence de précédent, les avocats de la jeune femme, Jean-Maxim Lebrun et Daphné Duval, s’étaient basés sur le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour calculer une somme en fonction des maigres revenus de l’agresseur, qui habite toujours en maison de transition. Les deux avocats de la firme Dunton Rainville en étaient arrivés à une somme minimale de 72 638,64 $.

Mais le juge a fait un autre calcul. La nouvelle loi ne mentionne pas qu’il faille prendre en compte la capacité financière de l’agresseur ni celle de la victime, note-t-il dans sa décision. Il a donc fixé la somme à verser en fonction du coût moyen des frais à assumer pour un enfant en bonne santé.

« Je ne pensais pas demander d’argent au début, dit Océane. Moi, ce que je voulais, c’est qu’il n’ait plus aucun droit. » Elle compte utiliser une partie de la somme pour financer les démarches d’adoption de son enfant par son conjoint, entré dans sa vie en 2021. Le garçon l’appelle « papa » et le considère comme tel ; ce ne sera qu’une formalité administrative. Le cœur, lui, est gagné depuis longtemps.

* Prénom fictif, pour préserver l’anonymat des victimes

1. Lisez la chronique « L’enfant du viol, la vérité et la justice » 2. Lisez la chronique « Paternité d’un enfant conçu lors d’un viol : une victime fera changer la loi » 3. Lisez la chronique « Des nouvelles d’Océane »