La dernière fois qu’elle avait dû se présenter au tribunal, Océane* y était entrée à reculons. Quand elle avait vu son violeur apparaître sur un écran de la salle d’audience, elle avait éclaté en sanglots. Du fond de sa cellule, ce délinquant sexuel récidiviste et dangereux exigeait que le bébé d’Océane soit soumis à un test d’ADN, histoire de prouver qu’il en était le père.

Océane avait ensuite reçu le jugement comme un coup en pleine poitrine : le tribunal donnait raison à l’agresseur et lui ordonnait de soumettre son enfant à un test génétique. C’était cruel, mais c’était la loi.

Un an et demi plus tard, c’est avec l’espoir d’en finir qu’Océane entrera aujourd’hui au palais de justice. Une boule dans le ventre, mais la tête haute. Son histoire a ébranlé le Québec, l’an dernier, au point de faire changer la loi. Et c’est en vertu de ces nouvelles mesures législatives que ses avocats plaideront maintenant sa cause.

Jean-Maxim Lebrun est avocat spécialisé en litiges chez Dunton Rainville. Comme bien des Québécois, le jeune papa a été choqué à la lecture d’une chronique dans laquelle je relatais le cauchemar d’Océane, en août 2022. « On lit souvent ce genre d’articles là en se disant : ‟ah, c’est dommage…” Cette fois, pourtant, je me suis dit que je pouvais peut-être faire quelque chose. »

Lisez la chronique « L’enfant du viol, la vérité et la justice »

Il a contacté sa collègue Daphné Duval, spécialisée en droit familial. « Si on prend ce dossier-là, vas-tu m’appuyer ? » L’avocate a accepté. Ensemble, ils ont travaillé pendant des heures, pro bono, au dossier d’Océane.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les avocats Jean-Maxim Lebrun et Daphné Duval

Vous vous souvenez de son histoire. Elle n’avait que 17 ans quand elle a été violée par son colocataire, en juillet 2019. Le jeune homme s’était infiltré dans la salle de bain, nu, pendant qu’elle se lavait les cheveux. Il l’avait traînée dans la chambre, où il l’avait agressée. Un passant avait entendu les cris d’Océane et avait appelé la police. L’agresseur avait pris la fuite, nu, dans son camion. La police lui avait mis le grappin dessus dans une autre ville, à deux heures de route.

Remis en liberté sous conditions, il avait eu le temps d’agresser trois autres femmes avant d’être mis hors d’état de nuire. Il avait plaidé coupable à une kyrielle d’accusations et avait été condamné à 63 mois de pénitencier. Son nom avait été inscrit au Registre des délinquants sexuels à vie.

En prison, il s’était mis en tête de faire aussi inscrire son nom… sur le certificat de naissance de l’enfant qu’Océane avait mis au monde, neuf mois après le viol. Pour ça, il s’était adressé aux tribunaux. Incroyablement, la juge qui avait ordonné le test d’ADN n’avait pas erré : rien, dans le Code civil du Québec, n’empêchait un agresseur sexuel de revendiquer la paternité d’un enfant conçu lors d’un viol.

Autrement dit, ce n’était pas le jugement qui était absurde, mais la législation québécoise.

Et la législation a changé. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, l’avait annoncé lui-même à Océane, en février 2023. « Je tenais à vous le dire personnellement : grâce à vous, grâce au fait que vous ayez dénoncé, on va changer les lois, on va changer les façons de faire. Ça ne pourra plus arriver. »

Quand la loi est entrée en vigueur, en juin 2023, les avocats d’Océane ont modifié leur requête. « À l’origine, notre stratégie, c’était de demander la déchéance de l’autorité parentale », explique Jean-Maxim Lebrun. Ce n’était pas évident : en cette matière, la plupart des précédents concernent des violences sexuelles perpétrées contre l’enfant, pas contre la mère.

La nouvelle loi introduit le refus de la filiation. « C’est plus définitif, dit MLebrun. Et ce qui est vraiment nouveau, c’est la notion d’indemnité » qu’un agresseur peut désormais devoir verser à la mère d’un enfant né du viol. Un peu comme une pension alimentaire, mais pas tout à fait.

Le problème avec une pension, dans un contexte comme celui-là, c’est que ça maintient le lien entre l’agresseur et la victime.

Jean-Maxim Lebrun, avocat représentant Océane

La nouvelle loi parle plutôt d’un montant forfaitaire, versé une seule fois. « Après avoir exécuté le jugement, on ferme les portes, c’est fini, on permet à la victime de passer à autre chose. » Du moins, c’est comme ça que les avocats d’Océane ont interprété les commentaires du ministre de la Justice lors de l’adoption du projet de loi…

En l’absence de précédent, ils se sont basés sur le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour calculer la somme que l’agresseur devrait verser à Océane, en fonction de ses maigres revenus, pour combler les besoins de l’enfant jusqu’à sa majorité. Ils en sont arrivés à une somme minimale de 72 638,64 $.

Le 13 octobre, l’agresseur s’est désisté de sa poursuite en reconnaissance de paternité. Océane a tout de même choisi de se rendre au tribunal, aujourd’hui, pour régler le dossier une fois pour toutes. « Un désistement n’a pas l’autorité de ce qu’on appelle la chose jugée », explique MLebrun. Aucun tribunal n’a tranché l’affaire et le désistement ne signifie pas que l’agresseur a renoncé définitivement à ses recours.

Si on laisse tout simplement aller le dossier, le risque, c’est que Monsieur puisse refaire une demande dans six mois, un an.

Jean-Maxim Lebrun, avocat représentant Océane

Pour Océane, cette journée au tribunal n’en sera pas moins une pénible épreuve. Encore une fois, elle sera probablement forcée de voir son agresseur sur un écran. Encore une fois, elle devra entendre le son de sa voix. Elle n’aura pas le choix – et ça l’angoisse. Terriblement.

J’aurais voulu vous offrir une conclusion heureuse, vous dire qu’Océane était forte et déterminée, qu’elle avait désormais surmonté ses traumatismes. Malheureusement, la vie n’est pas une fable, avec une belle petite morale à la fin.

« Je me sens soulagée de pouvoir enfin finir tout cela, m’a-t-elle écrit. Mais depuis une semaine, j’ai arrêté le travail, j’ai pris rendez-vous avec mon médecin, car j’ai une grosse boule à l’intérieur de moi. J’ai peur. J’ai souvent du mal à respirer et je ne dors plus. Je suis à bout de force et je suis fâchée de devoir vivre tout cela. Ça aurait pu être évité depuis longtemps, si le test d’ADN avait été refusé. »

Bon courage, Océane. Et n’oublie jamais que, grâce à toi, d’autres Québécoises n’auront pas à vivre ton cauchemar.

*La Presse a modifié le prénom d’Océane afin de protéger l’identité de la victime et de l’enfant.