« La CAQ change son fusil d’épaule et renoue avec Meta ». C’était le titre du reportage de La Presse ayant révélé lundi que la Coalition avenir Québec avait recommencé à acheter des publicités sur Facebook et Instagram. Personnellement, j’aurais opté pour une autre manchette. Quelque chose comme : « La CAQ rend les armes face à Meta ».

Six mois après s’être engagée à soutenir le combat des médias, la CAQ capitule et concède la victoire au géant du web, pour rester dans la métaphore guerrière. En août 2023, elle s’était jointe à un large mouvement de boycottage visant à dénoncer le blocage des nouvelles sur les plateformes de Meta au Canada. Et puis, très discrètement, en décembre 2023, elle s’est remise à acheter des publicités sur Facebook.

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Qu’est-ce qui a changé en six mois ? Rien, du côté de Meta. Les nouvelles sont toujours bloquées au Canada. Les utilisateurs en sont toujours réduits à visionner des vidéos de chats et à lire des avis de décès. Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre les félins ni contre les morts. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne s’informe plus sur Meta. Ce n’est plus le bon forum pour tenter d’appréhender le monde dans toute sa complexité.

En mettant fin à son boycottage, la CAQ envoie un message aussi défaitiste que fataliste : elle ne peut tout simplement pas se passer de la multinationale américaine. Du coup, le parti de François Legault donne raison au chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, qui affirmait en septembre que le boycottage de Facebook était inutile puisque « les gestes symboliques ne régleront pas notre problème ».

François Legault avait alors dénoncé l’hypocrisie de Québec solidaire, qui avait acheté des publicités sur Facebook et Instagram pour vanter son candidat à l’élection partielle de Jean-Talon. « Je trouve ça vraiment déplorable que Québec solidaire, qui devrait peut-être changer de nom, ne soit pas solidaire des journalistes et des médias québécois », avait raillé le premier ministre.

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Force est de constater que, dans cette histoire, l’hypocrisie n’est pas l’apanage de Québec solidaire.

Comme un pot de yogourt, la solidarité de la CAQ avait une date de péremption.

La directrice générale du parti, Brigitte Legault, a expliqué au chef du bureau parlementaire de La Presse à Québec, Tommy Chouinard, que la position de la CAQ avait changé en décembre, après une entente conclue entre Google et Ottawa sur le versement de redevances aux médias canadiens.

Autrement dit, le gouvernement fédéral ayant signé une entente avec Google, la CAQ peut donc se remettre à acheter de la publicité sur les plateformes de Meta… qui refuse toujours obstinément de signer quoi que ce soit. J’avoue que la logique m’échappe.

Rappelons que Meta bloque les nouvelles sur ses plateformes au Canada pour protester contre l’adoption du projet de loi fédéral C-18, qui force les géants du web à partager une partie de leurs revenus publicitaires avec les médias traditionnels. « Aucune entreprise n’est au-dessus des lois », avait grondé François Legault, l’été dernier. L’arrogance d’une multinationale de la Silicon Valley, déterminée à imposer ses règles au pays, ne passait pas.

Il faut croire que, tout compte fait, certaines entreprises sont quand même un petit peu au-dessus des lois…

Qu’est-ce qui a changé, en six mois ? Rien du côté de Meta, disais-je. Mais du côté des médias québécois, la saignée s’est poursuivie.

En septembre, Métro Média, qui détenait 16 hebdos et le journal Métro, a confirmé qu’il mettait définitivement un terme à ses activités. En novembre, Québecor a annoncé l’abolition de 547 postes au sein de sa filiale Groupe TVA. En décembre, c’était au tour de CBC/Radio-Canada d’annoncer son intention de mettre à pied 600 employés, dont une bonne partie au Québec. Et à la fin de l’année 2023, les six journaux régionaux des Coops de l’information ont supprimé leurs éditions papier, procédant du même coup à l’abolition du tiers du personnel…

Brigitte Legault, directrice générale de la CAQ, reconnaît que « beaucoup de médias ont fermé » et que dans certaines régions, il y a désormais un « blackout presque complet ».

Un blackout presque complet d’informations, ce n’est quand même pas rien. En général, on voit ça sous des régimes autoritaires. Alors, que fait le parti au pouvoir contre l’obscurité dans laquelle risque d’aller mourir la démocratie régionale ? Il achète des publicités sur Facebook !

Là encore, j’avoue que la logique m’échappe. Facebook affaiblit les médias en siphonnant leurs revenus, donc, il faut investir dans Facebook, puisque les médias sont affaiblis. C’est ce qu’on appelle un raisonnement circulaire, le serpent qui se mord la queue.

« Il faut quand même rejoindre un certain niveau de gens qui ne sont pas accessibles ailleurs », explique encore Brigitte Legault, faisant allusion aux Québécois qui ne consultent plus les médias traditionnels – et qui n’ont ainsi plus accès à la moindre nouvelle, depuis six mois, sur les plateformes de Meta.

Ça veut dire qu’un « certain niveau de gens » n’a plus accès aux enquêtes journalistiques, aux analyses et à la vérification des faits autrefois partagés sur Facebook. Toute la place est laissée à la désinformation et aux publicités payées par des individus, des entreprises ou des partis qui n’ont toujours qu’un intérêt : faire passer leurs messages. Si ça continue comme ça, j’ai bien peur qu’un niveau toujours plus élevé de gens ne « s’informe » avec des pubs coincées entre deux vidéos de chats.

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