Avertissement : cette chronique écorche le Parti libéral du Québec et, surtout, Québec solidaire. Mais vous ne la lirez pas sur Facebook. Si vous habitez la circonscription de Jean-Talon, vous y serez par contre gavés de gentilles publicités qui vous expliqueront à quel point ces deux partis politiques sont extraordinaires.

Ainsi donc, QS et le PLQ ont piétiné leurs principes et acheté des publicités sur Facebook dans l’espoir de grappiller des votes à l’élection partielle de Jean-Talon. Comme la plupart des autres partis, ils s’étaient pourtant engagés à suspendre leurs placements publicitaires auprès de Meta afin de protester contre sa décision de bloquer le partage de nouvelles canadiennes sur ses plateformes Facebook et Instagram.

L’opportunisme de QS, dans cette affaire, est particulièrement choquant. La solidarité est censée être l’ADN de ce parti de gauche. Elle est bien dans son nom, après tout ! Pourfendre les grandes entreprises, exiger plus de justice sociale, appuyer des initiatives qui finiront par changer le monde, si chacun y met du sien, c’est sa raison d’être – ou, du moins, sa marque de commerce.

Depuis des semaines, tout le Québec se mobilise dans l’espoir de faire reculer Facebook. Les gouvernements fédéral et provincial, des municipalités, des sociétés d’État et des entreprises ont cessé d’acheter des publicités pour faire pression sur cette multinationale américaine qui baigne dans les milliards.

Bref, on assiste à une mobilisation rare, à laquelle s’empresserait sans doute de prendre part tout militant solidaire qui se respecte, non ?

Pensez-vous ! Pendant que Québec inc. se mobilise, Québec solidaire, lui, se désolidarise. Pour QS, ce ne sont pas quelques milliers de dollars qui feront la différence. Le boycottage de Facebook est inutile. Tant pis pour les principes. « Les gestes symboliques, a déclaré le porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, ne régleront pas notre problème. »

À ce compte-là, manifester lors du Jour de la Terre, ça ne réglera pas la crise climatique. À quoi bon descendre dans la rue ? Et puis, tant qu’on y est, pourquoi recycler nos bouteilles ? Ça ne réglera pas notre problème de pollution, ça non plus. Aussi bien les jeter à la poubelle ! Et voter ? Pourquoi voter, au juste ? Ça ne changera rien au résultat, un petit bulletin de plus ou de moins dans l’urne. Surtout si ce vote est destiné à un parti qui n’a aucune chance d’accéder au pouvoir… c’est symbolique, d’accord, mais à quoi ça sert ?

On pourrait continuer à délirer longtemps, avec une telle logique.

Le député solidaire Vincent Marissal, un ancien collègue journaliste, en fait « une question de démocratie », ce qui ne manque pas d’ironie quand on se rappelle que ce qui a mené à ce boycottage, c’est justement le refus d’une multinationale étrangère de se conformer à une loi fédérale adoptée de façon tout ce qu’il y a de plus démocratique.

Le chef libéral par intérim, Marc Tanguay, affirme pour sa part que le PLQ cessera d’acheter des publicités sur Facebook après l’élection partielle, le 2 octobre. Autrement dit, le PLQ est pour la solidarité, mais seulement quand ça l’arrange.

Le premier ministre François Legault crie à l’injustice. Il menace : si QS et le PLQ n’annulent pas leurs publicités sur Facebook, la CAQ pourrait bien mettre fin à son boycottage et en acheter, elle aussi…

Espérons que le premier ministre ne mettra pas sa menace à exécution. Imaginez la manchette : au tour du parti au pouvoir de plier face au géant du web ! La CAQ concéderait ainsi la victoire à Meta : impossible de se passer de ses plateformes. Ça ne représenterait pas grand-chose, quelques milliers de dollars en placements publicitaires. Mais ça serait terriblement… symbolique.

Facebook se fiche éperdument du Canada, de ses médias et des communautés qui occupent ces quelques arpents de neige. On l’a vu quand le premier ministre Justin Trudeau a pressé Meta de rétablir les nouvelles dans les régions menacées par les incendies de forêt. Des communautés entières, évacuées en urgence, avaient besoin d’informations vitales pour s’orienter.

Réponse de Meta : un gigantesque doigt d’honneur.

Le géant du web veut faire du Canada un exemple. Coûte que coûte, il veut dissuader les pays tentés d’adopter, eux aussi, une législation qui l’obligerait à partager ses revenus publicitaires avec les médias traditionnels. Des revenus, faut-il le rappeler, que Facebook siphonne goulûment, quitte à provoquer la fermeture d’un nombre incalculable de salles de nouvelles à travers le monde.

Ça n’est pas sans conséquences. Moins de salles de nouvelles, ça veut dire moins d’enquêtes journalistiques, moins de vérifications des faits, moins de courriéristes parlementaires pour talonner les politiciens, moins de chroniqueurs pour souligner leurs bons coups et, parfois, pour dénoncer leur opportunisme crasse…

Déjà, le tiers de la population canadienne ne s’informe plus que par Facebook. Autant dire que, depuis un mois, le tiers des Canadiens ne s’informe plus… du tout. Sur ce réseau social, les nouvelles ont été remplacées (au mieux) par des vidéos de chats et (au pire) par de la désinformation. Non, non, la Terre ne se réchauffe pas. Oh, et en passant, elle est plate…

Et c’est sans compter les foutus algorithmes qui nous enferment dans des bulles sans jamais nous confronter à ce que pensent les autres. Facebook n’a rien à faire des débats d’idées ni de la cohésion sociale. Rien à faire de la démocratie.

Allez, je vous laisse sur une note d’espoir. Le vendredi 15 septembre, c’est la Journée internationale de la démocratie, justement. Pour l’occasion, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec nous invite à boycotter Facebook et Instagram pendant 24 heures et à nous abonner à un média local. Possible que ça ne change pas grand-chose. Mais rêvons un peu : si on s’y met tous, on y arrivera peut-être. Ensemble. Solidaires.