On me dira : un quinquagénaire blanc privilégié est en train de dire à une femme ce qu’elle devrait faire. Et je flirte avec le mansplaining dans cette chronique, car je vais suggérer à Marwah Rizqy de se lancer dans la course au leadership du Parti libéral.

Mme Rizqy est la députée de Saint-Laurent à l’Assemblée nationale pour le PLQ, parti qui a perdu une grande partie de sa députation en 2022, tout en conservant son titre d’opposition officielle. Dominique Anglade, la cheffe, a pris acte de la débandade : elle a démissionné.

Ça laisse une opposition officielle sans gouvernail, fade et désorganisée. J’ajoute : les autres partis de l’opposition (QS et PQ) ont peu de députés. Résultat, ils ont beaucoup de difficulté à talonner efficacement ce gouvernement.

Dans notre système, ce ne sont pas les solidaires, les péquistes ou les libéraux qui y perdent : ce sont les citoyens du Québec.

Bien sûr, comme chef intérimaire de l’opposition officielle, Marc Tanguay fait ce qu’il peut pour jouer les toréadors face aux caquistes. Mais ce faisant, il me ressemble quand j’essaie de chanter du Joe Dassin au karaoké : c’est malaisant.

Reste qui pour briguer le leadership ?

Sophie Brochu a fermé la porte, idem pour Joël Lightbound et Bruno Marchand. À l’interne, un nouveau député se dit intéressé, il se prénomme Frédéric, mais j’ai oublié son nom de famille.

Puis, il y a Marwah Rizqy, la députée de Saint-Laurent.

Marwah Rizqy, la flamboyante et studieuse députée de Saint-Laurent. Celle qui a mis le feu à la période des questions de la rentrée parlementaire avec une maestria de fond et de forme.

La députée est également la plus populaire des libéraux provinciaux.

Mais Mme Rizqy ne veut pas se lancer dans la course au leadership. Elle a un bébé tout neuf avec Gregory Kelley, son chum, qui est également député libéral. Et le couple projette d’ajouter un autre enfant au projet familial.

Bref, elle se voit mal concilier le travail avec de jeunes enfants.

Tout à fait compréhensible, 100 % légitime.

Mais mardi, Mme Rizqy s’est dite « tiraillée » à l’idée de briguer le leadership du PLQ. Quand je l’ai interviewée à la radio, quelques heures plus tard, je l’ai sentie beaucoup moins catégorique face à cette perspective qu’elle ne l’était ces derniers temps. ⁠1

C’est cette entrevue qui m’a poussé à écrire cette chronique, Mme Rizqy a beau fermer la porte, on sent qu’elle n’est pas verrouillée, la porte. Et que voit-on, sous la porte ?

De la lumière…

Et c’est ici que j’arrive sur la pointe des pieds, en manipulant une conjonction bien connue (mais) avec des gants blancs.

Je ne veux pas mansplainer Mme Rizqy, mais je vais me permettre de la citizensplainer, de lui donner mon point de vue de citoyen.

À une autre époque, une cheffe de l’opposition-mère d’un tout jeune enfant aurait été difficilement conciliable, à cause de la lourdeur de la tâche.

Désormais ?

Je fais le pari que les choses ont changé. Des députées traînent leur poupon au parlement, pendant qu’elles siègent. L’Assemblée nationale a inauguré mercredi sa halte-garderie.

Je fais même le pari que dans les partis politiques, on a évolué et qu’un parti peut répondre aux besoins d’une cheffe-nouvellement-mère.

Je fais le pari que les Québécois vont trouver normal et sain qu’une politicienne ne soit pas tout le temps de toutes les tribunes parce qu’elle a de jeunes enfants. Ils vont trouver normal que, parfois, Mme Rizqy soit avec sa famille, comme il est normal que Paul St-Pierre Plamondon passe plusieurs de ses soirées en famille, en plus d’avoir pris son congé parental récemment.

Évidemment, la décision finale revient au couple Rizqy-Kelley. Tous deux jonglent avec des variables que personne ne connaît.

Mais si Mme Rizqy a le moindre doute quant à la perception des Québécois face à une mère — éventuellement enceinte — qui serait aussi cheffe de l’opposition officielle, je veux juste lui dire qu’en 2023, je suis convaincu que les Québécois sont rendus là.

Ça enverrait aussi un formidable double message social…

Un, il y a moyen de faire de la politique au plus haut niveau qu’importe son état, même celui de mère de jeune(s) enfant(s).

Deux, les mères de jeune(s) enfant(s) peuvent être aussi — sinon plus — efficaces que n’importe quel monsieur en habit-cravate pour talonner le chef du gouvernement.

Qu’importe ce qu’on pense du Parti libéral (Dieu sait que j’ai dit du mal de ce parti), tous les Québécois gagnent à avoir une opposition officielle plus efficace que celle qui fait actuellement face au gouvernement.

Même ceux qui ne trippent pas sur le PLQ.

Et Mme Rizqy est la plus efficace, la plus charismatique et la plus flamboyante députée libérale depuis des années. On sent qu’elle « connecte » avec les Québécois.

Pour un PLQ qui est moins populaire que la rougeole dans l’électorat franco, tous les accommodements devraient être considérés pour que la députée de Saint-Laurent fasse le saut.

1. Écoutez l’entrevue avec Marwah Rizqy sur le site de 98,5 FM

Qui est Marwah Rizqy ?

Marwah Rizqy est née le 17 mai 1985 à Montréal de parents d’origine marocaine.

Fiscaliste de formation et titulaire de diplômes des universités de Sherbrooke, où elle a enseigné, et de la Floride, elle est également membre des Barreaux du Québec et de l’État de New York.

Elle s’est notamment fait connaître pour son engagement dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Elle a tenté à deux reprises – en 2015 et en 2017 – de se faire élire sous la bannière du Parti libéral du Canada avant de faire le saut en politique provinciale, où elle a été élue pour la première fois en 2018 dans la circonscription de Saint-Laurent.