Quand c’est rendu sur un t-shirt, ça devient sérieux.

Au congrès du Parti conservateur du Canada (PCC), un kiosque vend la marchandise officielle et un modèle fait fureur : le gaminet avec le nom de Pierre Poilievre qui encercle le slogan « gros bon sens ».

Cette expression fonctionne à cause d’une propriété magique : on y voit ce qu’on veut y voir.

Dans le cas de M. Poilievre, c’est une réponse à l’anxiété financière des Canadiens, et une solution aux frustrations électorales de son parti.

Les gens « ne sont pas fâchés, […] ils ont simplement peur de ne pas pouvoir payer [leur logement] », a-t-il dit devant une salle remplie par quelque 2500 partisans.

Il a parlé d’un camionneur de Bowmanville évincé de son logement, d’un charpentier qui dort dans un stationnement de Tim Hortons et d’une mère qui empoisonne sa famille avec son demi-poulet périmé acheté au rabais.

Si le portrait était sinistre, les militants étaient tout sourire, plus tôt dans la journée, au Centre des congrès de Québec. Ils marchaient d’un pas allègre, le veston ouvert, persuadés d’être en route vers la victoire.

Pour comprendre le succès de leur slogan, un chiffre est particulièrement révélateur : 56 %.

Un récent sondage Angus Reid s’est intéressé aux gens qui jugent que leur situation financière s’est détériorée dans la dernière année et qu’elle continuera de se détériorer. On pourrait croire qu’ils sont cyniques, mais ce n’est pas le cas. Parmi eux, 56 % pensent que l’économie irait mieux si Pierre Poilievre occupait le poste de premier ministre. Soit nettement plus que les 22 % qui pensent que les politiciens sont tous pareils. À peine 9 % font confiance à Justin Trudeau pour améliorer leur sort.

Cette avance est encore plus grande que celle que détiennent les conservateurs auprès de la catégorie d’électeurs chez qui ils sont le plus populaires, les hommes de 35-54 ans (50 %).

Cette anxiété économique ne peut pas être réduite à la pauvreté. Elle atteint la classe moyenne qui se sent pressée comme un citron. Cette définition a le mérite d’être élastique. Plus M. Poilievre nourrit cette anxiété, plus elle se propage.

Pour M. Poilievre, le « gros bon sens » est une façon de parler aussi bien de soi que de son adversaire.

Il rappelle avec raison que Justin Trudeau a brisé le consensus voulant qu’en période de croissance, un premier ministre n’accumule pas les déficits sans plan de retour à l’équilibre budgétaire.

Un aspirant premier ministre parle évidemment de tous les enjeux. M. Poilievre a eu quelques mots sur « le crime et le chaos » qui seraient « unleashed in your neighbourhood » (ce bout-là n’a pas été traduit en français). Dans une énumération des travailleurs souffrant de l’inflation, sa conjointe Anaida a quant à elle insisté sur les « camionneurs », une allusion au « convoi de la liberté » qui lui a valu ses plus vifs applaudissements.

Reste que dans l’ensemble, le cœur du discours portait sur l’économie. Le message était simple et clair : moins de taxes, moins d’impôts, moins de paperasse et plus d’argent dans vos poches.

Le parallèle est frappant avec le dernier conservateur à avoir misé autant sur le common sense : Mike Harris. Comme M. Poilievre, il a commencé sa carrière à titre de député d’arrière-ban avant d’être brièvement ministre puis de ronger son frein dans l’opposition face à une alliance entre néo-démocrates et libéraux. Une fois chef, il a fait campagne en promettant sa « révolution du gros bon sens », qui consistait en un nombre limité d’engagements pour réduire la taille de l’État.

L’Ontario, une province plutôt centriste, a tourné à droite en 1995. Et c’est ce qui pourrait attendre le Canada.

L’appui aux libéraux est fragile. Le quart des gens ayant voté pour M. Trudeau en 2021 iraient voir ailleurs aujourd’hui.

Pour les courtiser, M. Poilievre doit trouver le bon sujet. En environnement, il est vulnérable. Son discours vendredi consistait à déplorer que le Canada n’atteigne pas ses cibles pour ensuite proposer de défaire les mesures actuelles, s’en remettre à la technologie et produire plus de pétrole et de gaz.

En économie, toutefois, il est dans sa zone de confort. Pour ce sujet, deux fois plus de sondés lui font confiance à lui qu’à M. Trudeau. D’où son intérêt de mener une campagne très terre à terre, loin des mots en « isme » qui diviseraient les gens « selon leur race, leur région, leur religion et leur sexualité ».

Depuis septembre 2022, le pire recul des libéraux dans les intentions de vote s’observe en Colombie-Britannique (-4) et en Ontario (-6). C’est aussi là que la crise du logement frappe le plus fort.

Dans la banlieue de Toronto, cruciale pour prendre le pouvoir, les conservateurs ont désormais la même avance que celle qu’avaient leurs rivaux il y a un an.

En matière de logement, M. Poilievre réduirait le financement aux municipalités qui n’atteignent pas les cibles de mises en chantier. Celles qui les dépassent seraient en contrepartie récompensées. Il vendrait également des terrains fédéraux aux promoteurs immobiliers et imposerait des constructions en hauteur près des nouveaux projets de transports en commun.

Ailleurs, ses propositions sont moins précises et c’est à son avantage. Car si les dépenses doivent être resserrées, cela limitera la marge de manœuvre pour aider tous ces gens avec qui le chef conservateur dit avoir pris le temps de jaser.

Pour l’instant, son gros bon sens ressemble à ceci : dire que tout va mal, identifier le coupable et proposer de le remplacer par un visage qu’on s’efforce plus que jamais d’adoucir.