Mardi, le ressac de ces 5 à 7 millions « investis » pour deux matchs des Kings de L.A. à Québec ne pouvait pas ne pas clignoter au bureau du premier ministre.

Engraisser une industrie milliardaire avec des fonds publics ne passe pas. Et pas juste pour les méchants syndicats, pas juste pour des méchants partis de l’opposition…

(Syndicats qui ont l’appui de la population1, en passant. Et un parti, le PQ, qui s’impose2 dans l’esprit de l’électorat.)

Ce ressac contre l’aide publique à la LNH est généralisé. Cette décision – prise unilatéralement par le grand amateur de hockey qui dirige les Finances – ne passe pas.

Deux flashs pour illustrer le ressac.

Un, je n’ai pas souvenir d’une décision – hors pandémie – qui ait à ce point scandalisé le bon peuple. Et pendant si longtemps. Pas mêlant : la bourde d’Eric Girard a éclipsé l’indigestion de bonbons des apparatchiks de l’Office de consultation publique de Montréal !

Deux, dans la famille caquiste elle-même, composée de députés bien élevés qui ne crachent généralement pas dans la soupe, trois députés ont quand même exprimé leur malaise publiquement, mardi. Imaginez les braves qui se taisent mais n’en pensent pas moins…

Mais Eric Girard, qui a eu l’idée de faire venir les Kings gratis à Québec, ne semblait pas avoir reçu le mémo à propos de la grogne qui sévissait un peu partout sur le plancher des vaches. Mardi, à la période de questions, le ministre des Finances l’a jouée au-dessus de ses affaires, petit sourire en coin. Comme si les questions à ce sujet étaient un inconvénient qui ne devraient pas monopoliser ses considérables talents…

J’ai pensé : baveux, en plus ?

Et plus tôt, en point de presse, Eric Girard s’était lancé dans un calcul ésotérique des probabilités sur le retour des Nordiques…

Ésotérique ?

Il ne manquait à la théorie de M. Girard que le signe astrologique de Gary Bettman (Gémeaux, pour ceux que cela intéresse) pour nous convaincre que les chances3 d’un retour des Nordiques sont bel et bien vivantes (10 %, selon le ministre).

Pensée : j’espère que M. Fitzgibbon négocie mieux les milliards pour la filière batterie que son collègue M. Girard a « négocié » pour les millions des Kings… Sinon, j’ai le vertige.

Ce qui circule, c’est qu’Eric Girard a piloté le dossier des Kings lui-même. Ce qui circule, c’est que le bureau du PM ne trouvait pas que c’était une bonne idée. Ce qui circule aussi, c’est que les conservateurs fédéraux aimeraient bien attirer M. Girard à Ottawa… Et que les caquistes ne veulent pas perdre leur ministre des Finances.

La bourde de M. Girard est le symptôme d’un mal plus grand. Le gouvernement est échevelé. Quand le premier ministre du Québec annonce le retour du troisième lien d’entre les morts lors d’un point de presse et que son ministre de l’Économie l’apprend de la bouche des journalistes, ça donne une idée de la désorganisation caquiste… Ça part de haut.

Il y a une personne dont on ne parle presque pas et qui a la responsabilité que le gouvernement reste discipliné…

Il s’appelle Martin Koskinen. La plupart des Québécois ne le connaissent pas. C’est un des hommes les plus influents au Québec : il est chef de cabinet du premier ministre.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef de cabinet du premier ministre, Martin Koskinen

C’est lui, le chef d’orchestre du gouvernement. C’est lui qui fait les annonces difficiles aux ministres, qui impose la vision du patron, qui doit voir aux grands enjeux et aux petits détails.

Or, quand je vois cette subvention pour permettre aux Kings de jouer deux matchs sans signification à Québec, quand je vois le député Éric Caire cabotiner à ce sujet en se vantant d’avoir déjà acheté ses billets, quand je vois cette hausse de salaire de 30 % aux députés parallèlement aux négos avec le secteur public, quand je vois Bernard Drainville commencer à chanter une toune des Cowboys Fringants – la toune au complet – dans un point de presse et quand je vois le PM lui-même qui improvise à voix haute à propos d’un projet de 10 milliards, je me demande…

Coudonc, Martin Koskinen, il est où ?

Il est payé pour être le chef d’orchestre du gouvernement ou pour être le confident de son ami François Legault ?

On pourrait penser que ce que je décris n’est que de la politique interne dans un gouvernement fatigué. On peut.

Mais l’indiscipline de ces gens-là a des effets néfastes dans le réel. Leur improvisation a des effets dans la vie des Québécois. Je le dis haut et fort : au lieu de faire des annonces spectaculaires qui vous permettent d’avoir votre face dans le kodak, assurez-vous donc que les cr**** de mission de l’État fonctionnent comme du monde4.

Mercredi matin, je lisais ma Presse. Hugo Pilon-Larose rapportait que l’exode des professionnels dans les écoles publiques se poursuit5, une tragédie silencieuse. Psychologues, orthophonistes, techniciennes en éducation spécialisée : ils désertent l’école publique, ce qui complique encore plus la vie des profs en classes « régulières ».

Je cite le texte : « Les directions peinent également à garder en poste ces professionnels qui soutiennent les élèves ayant des difficultés d’apprentissage, dans le contexte où les enveloppes budgétaires qui leur sont destinées sont réévaluées chaque année par Québec, ce qui ne leur permet pas d’accorder beaucoup de permanences… »

Ils font quoi, les Legault, Koskinen et Girard, si leurs enfants ont des difficultés d’apprentissage ? Je ne leur souhaite pas ce fardeau, mais je suis sûr d’une chose : ils ont les moyens d’aller au privé pour des services d’orthophonie et d’orthopédagogie.

Pour eux, ces histoires d’orthopédagogues en exode sont désincarnées, des « dossiers », de simples feux à éteindre, des pions dans la game politique.

C’est aussi ça, être déconnecté : oublier ce que c’est, ne pas être privilégié au point de dépendre entièrement des services publics.

Au fait, pourquoi Eric Girard est-il encore ministre des Finances avec sa subvention « de 5 à 7 millions » pour les Kings qui embarrasse son gouvernement depuis une semaine ?

Je n’ai pas la réponse à cette question, mais je note ceci : M. Legault a plus de facilité à infliger des rétrogradations à des femmes (je pense à Danielle McCann et MarieChantal Chassé, par exemple) qu’à des hommes qui gaffent (Éric Caire est encore ministre, I rest my case, comme ils disent à L.A.).

Je termine avec une autre question, à laquelle j’ai la réponse…

Qui est le joueur le mieux payé des Kings et combien gagne-t-il ?

Il s’appelle Drew Doughty et il gagne 11 millions US cette année, soit 15 millions  CAN.

Ce sera tout, j’ai hâte de regarder le sourire baveux de M. Girard en chambre, tantôt.

1. Lisez « Sept Québécois sur dix derrière les travailleurs » 2. Lisez « “Les Québécois sont fâchés contre moi”, admet Legault » 3. Lisez « Subvention pour les Kings : Girard prend acte des critiques, mais refuse de reculer » 4. Lisez la chronique « Qu’est-ce qui marche, au Québec ? » 5. Lisez « Exode des professionnels dans les écoles publiques »