Faute de personnel, les listes d’attente pour évaluer les élèves en difficulté s’allongent

(Québec) La pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de l’éducation ne touche pas que les enseignants. Des données obtenues par La Presse démontrent qu’un nombre croissant de professionnels qui se consacrent au soutien des élèves en difficulté, comme les techniciens en éducation spécialisée, les psychologues et les orthophonistes, désertent le réseau scolaire public. Sur le terrain, les directions d’école déplorent que les listes d’attente pour évaluer les enfants s’allongent, ce qui met en péril leur réussite scolaire.

D’année en année, le nombre de postes à pourvoir pour des psychologues, des orthophonistes, des éducateurs en service de garde et des techniciens en éducation spécialisée augmente sans cesse. Au total, leur nombre est passé de 1076 en octobre 2022 à 1996 à pareille date cette année.

« Il est à noter que ces données sont à interpréter avec prudence puisqu’elles peuvent être évolutives. De plus, la variation du taux de réponse entre les deux années doit être prise en compte dans l’analyse des résultats », rappelle le ministère de l’Éducation, qui a fourni ces informations à la demande de La Presse.

Par ailleurs, il restait également 157 postes de psychoéducateur à pourvoir dans le réseau public en octobre dernier. Il est impossible de comparer ce nombre à l’automne 2022, puisque cette donnée n’a été colligée par Québec qu’à partir de janvier 2023.

Jacques Landry, président de la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec (FPPE-CSQ), n’est pas surpris que la pénurie s’accélère.

Ce qui arrive, c’est que moins il y a de soldats pour faire l’ouvrage, moins l’ouvrage devient intéressant à faire aussi.

Jacques Landry, président de la FPPE-CSQ

En pleine négociation pour le renouvellement de la convention collective de ses membres, il affirme que le gouvernement Legault fait de « l’aveuglement volontaire ».

« C’est un système qui se détériore continuellement. Les gens qui sont là font vraiment le maximum dans les circonstances, mais on ne leur donne pas les outils. On jette l’éponge plutôt que de trouver des solutions », dit-il.

« C’est un problème criant »

La présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), Kathleen Legault, affirme que la pénurie d’éducateurs spécialisés est particulièrement criante dans le réseau.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Kathleen Legault

« C’est un problème criant et ça devient très lourd. Toutes les directions scolaires me parlent de ça. Ce sont des personnes [essentielles] sur le terrain, dans les classes, dans les cours de récréation qui travaillent en prévention et qui agissent rapidement en situation de crise », dit-elle.

Les directions d’école peinent également à garder en poste ces professionnels qui soutiennent les élèves ayant des difficultés d’apprentissage, dans le contexte où les enveloppes budgétaires qui leur sont destinées sont réévaluées chaque année par Québec, ce qui ne leur permet pas d’accorder beaucoup de permanences.

« Quand les professionnels, chaque année, se sentent comme des pions et qu’on remet en question le fait qu’ils puissent rester dans notre école, ils désertent l’école publique », affirme Mme Legault.

Tourner le dos au public

Ce constat est également partagé par Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).

« Dans le cas des professionnels, beaucoup quittent pour le privé. Les conditions d’emploi dans le public, on n’est pas capable d’être même proche de ce que ces gens-là peuvent faire au privé », affirme-t-il.

Selon lui, les premiers à vivre les conséquences de cette désertion professionnelle sont une fois de plus les élèves ayant des besoins particuliers. Dans certains cas, les délais d’attente avant d’être évalués peuvent aller d’un à deux ans.

« On se retrouve avec des listes d’attente dans les plans d’intervention. […] On n’est pas capable de donner le service parce qu’on n’a pas de monde. Les professionnels qu’on a, on va les saupoudrer entre les élèves. Ça n’aide pas les élèves et ça brûle nos ressources », dénonce-t-il.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Quand on commence à demander l’impossible aux gens en place, on se retrouve avec des gens qui quittent le réseau. On essaie de sauver la chèvre et le chou, mais ce sont des élèves qui se retrouvent avec des absences de services.

Nicolas Prévost, président de la FQDE

En 2018, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) rappelait que « les élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) constituent 24 % de tous les élèves qui fréquentent le réseau scolaire public québécois, [et] que cette proportion s’élève à 34 % lorsqu’il s’agit des élèves inscrits au niveau secondaire du réseau public ».

En juin 2022, le Protecteur du citoyen recommandait à son tour d’établir un seuil minimal de services pour les élèves dans le contexte où « le personnel spécialisé présent dans les écoles ne suffit pas à répondre aux besoins » et que « certains élèves attendent longtemps avant de se faire offrir des services ».

Les ordres professionnels inquiets

Après des années à voir le nombre de psychologues scolaires diminuer dans la province, la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, la Dre Christine Grou, sonne l’alarme : « Les élèves du primaire et du secondaire ne sont pas bien desservis pour les services de soutien aux apprentissages et de santé mentale, ça, c’est clair. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Christine Grou

« Il manque différents professionnels. Les enfants [ayant des difficultés d’apprentissage] ont besoin davantage de soutien et de support. Quand on regarde le niveau de réussite éducative, on voit que les élèves n’ont pas ce dont ils ont besoin », constate-t-elle.

En 2013, alors qu’il y avait 864 491 élèves dans les écoles publiques du Québec, 966 psychologues travaillaient en milieu scolaire. Dix ans plus tard, en 2023, avec 998 104 élèves dans le réseau public, il ne reste que 787 psychologues. Plus d’élèves, pour moins de professionnels.

Dans ce contexte, les psychologues et les orthophonistes sont plus que jamais confinés à faire des diagnostics plutôt qu’à intervenir auprès des jeunes.

« Ça va complètement à l’encontre du rôle des psychologues dans les écoles. Non seulement ils sont confinés à faire des évaluations, mais beaucoup travaillent dans plusieurs écoles. Parfois, je dis à la blague que les psychologues travaillent dans leur voiture parce qu’ils sont constamment en déplacement », affirme la Dre Grou.

Paul-André Gallant, président de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec, déplore aussi que « les orthophonistes vont œuvrer en début de parcours scolaire, [mais] les enfants sont rapidement un peu laissés à eux-mêmes, même s’ils ont des difficultés importantes ».

« Quand on est formé pour régler des problèmes, si on ne fait qu’éteindre des feux, c’est un peu décourageant et on n’a pas le goût de rester », dit-il.