L’interprétation des sondages est un exercice aussi artisanal que scientifique.

D’abord, il y a les données brutes. Les experts les colligent et les pondèrent pour reconstituer un polaroïd des intentions de vote.

Ensuite, on élabore des théories pour expliquer comment chaque parti a fait pour en arriver à cette position sur la photo.

La première étape relève de la statistique, tandis que la seconde consiste souvent à tricoter des hypothèses plausibles, mais invérifiables, et riches en métaphores.

Il arrive toutefois qu’un sondage frappe par sa netteté. C’est le cas de celui réalisé par la firme Pallas pour L’actualité, juste après la subvention de près de 7 millions accordée pour deux matchs hors concours des Kings.

Les libéraux macèrent encore dans la cave, à 16 %.

Les solidaires se cognent la tête au même plafond, à 16 %.

Aucun changement chez eux. C’est une ligne plate.

Les conservateurs vivotent, à 11 %.

Le mouvement se fait seulement entre les teintes de bleu. L’insatisfaction à l’endroit du gouvernement Legault augmente. Les caquistes perdent des appuis (24 %, ou - 10 points), et les péquistes en gagnent (30 %, ou + 11 points).

C’est un transfert direct. Comme si Paul St-Pierre Plamondon avait planté sa paille dans la CAQ et en siphonnait les appuis.

Ce n’est pas à cause d’un regain de la fièvre indépendantiste. Le projet de pays ne devient pas plus populaire.

Ce n’est pas non plus à cause d’une montée du nationalisme. Là-dessus aussi, les chiffres ne mentent pas. Aux élections de 2018, 55 % des votes étaient allés aux caquistes et aux péquistes. En 2022 ? Même chose, 55 %. Et selon Pallas, les deux partis récoltent maintenant à eux deux 54 % des intentions de vote.

La conclusion est simple. Après avoir donné une chance à la CAQ, d’anciens péquistes déçus retournent au bercail.

Pourquoi ? Les explications sont nombreuses : usure du pouvoir, perte de crédibilité à la suite des volte-face sur le troisième lien, nationalisme symbolique qui manque de dents, frustration à cause de l’état des services publics ou grève des syndiqués. Peut-être aussi que des électeurs ne partagent pas l’enthousiasme d’Eric Girard pour la profondeur de la ligne de centre des Kings.

Mais chose certaine, un seul parti profite des misères du gouvernement Legault, et c’est celui qu’on a failli enterrer vivant.

La prédictivité d’un sondage dépend de la distance qui le sépare des élections. Plus il est publié à l’avance, moins il est fiable.

La prochaine campagne se déroulera dans trois ans. Une éternité. Personne ne sait ce qui arrivera d’ici là.

En novembre 2023, la simple expression « intention de vote » paraît exagérée. Les sondés appuient un parti en sachant que cela ne portera pas à conséquence. Ou ils se réfugient derrière une formation pour exprimer leur mécontentement contre le gouvernement.

Et même s’il s’agissait d’intentions de vote pour une élection imminente, cela ne suffirait pas à prédire le résultat. Il faudrait ensuite les convertir en projections de sièges. Or, avec les distorsions de notre mode de scrutin, le parti le plus populaire peut théoriquement perdre.

S’avancer aujourd’hui sur la couleur du gouvernement en 2026 relève de la science-fiction. Mais la photo offerte par ce sondage n’en demeure pas moins intrigante. Car il se passe bel et bien quelque chose.

Même si Pallas n’est pas un sondeur connu, sa méthodologie paraît fiable. Il fonctionne par appels automatisés et son échantillonnage est probabiliste. Il vient donc avec une marge d’erreur qu’on peut chiffrer, soit plus ou moins 3 points de pourcentage 19 fois sur 20.

De plus, le résultat ne détonne pas des précédentes enquêtes. Vrai, il est le premier à placer les péquistes en tête. Mais il ne fait que poursuivre la tendance en cours. Regardez cette agrégation de récents sondages, puis prolongez les lignes du PQ et de la CAQ. Elles mènent aux chiffres de Pallas.

IMAGE TIRÉE DU SITE QC125

Projection du vote selon QC125

D’ailleurs, aucun parti n’a contesté ces données. Leurs sondages internes doivent montrer à peu près la même chose.

Les tendances se confirment.

Les solidaires peinent à percer hors de Montréal et des villes universitaires. Et surtout, ils sont extrêmement impopulaires auprès des gens de 55 ans et plus.

Les libéraux deviennent un parti régional. Leurs appuis se concentrent dans le Grand Montréal ainsi que chez les anglophones et les allophones.

Les rouges et les orange se démènent chaque jour pour critiquer le gouvernement caquiste, mais cela ne suffit pas. Il leur reste à démontrer qu’ils offrent la meilleure option pour le remplacer.

Pour l’instant, cette insatisfaction profite à Paul St-Pierre Plamondon.

Pour le chef péquiste, cela ressemble à un cercle vertueux. Plus il monte, plus il attire de financement et de bénévoles, et plus il paraît crédible. Mais cela vient aussi avec un danger. Ses idées seront davantage critiquées par ses adversaires. Et plus il est populaire, plus son engagement à déclencher un référendum devient plausible, ce qui pourrait rebuter des indépendantistes hésitants. Sans oublier que l’histoire regorge d’exemples de partis qui ont monté trop tôt, pour redescendre dans la dernière ligne droite.

Quant aux troupes de M. Legault, elles doivent avoir l’impression d’être prises dans les sables mouvants. Chaque geste paniqué les enfonce davantage. Pourtant, il leur reste encore quelques éternités avant les prochaines élections. Elles gagneraient à respirer par le nez, pendant qu’il y a encore de l’air.