Lundi, François Legault a fait un point de presse étrangement décalé, au point où je me suis dit qu’il n’avait peut-être pas eu le temps de lire ses journaux. Depuis qu’il est premier ministre, a-t-il déclaré, le 1er juillet s’est toujours bien passé. « Quand je dis, ça s’est bien passé, c’est qu’il n’y a personne qui s’est retrouvé à la rue. »

François Legault n’avait peut-être pas consulté la manchette de La Presse, ce matin-là. Ma collègue Lila Dussault y rapportait que, dans les refuges, on n’avait jamais vu autant de nouveaux visages. Une vague de femmes âgées, intimidées par leurs propriétaires, incapables de payer un loyer devenu prohibitif. Des femmes « poussées à la rue par la crise du logement qui sévit maintenant toute l’année ».

Lisez l’article « L’itinérance au féminin : poussée à la rue à 67 ans »

Ces femmes qui n’existent pas étaient pourtant bien là. À la rue. À cause d’une crise du logement dont le gouvernement caquiste s’est longtemps obstiné à nier l’existence. Une crise permanente, désormais. Et de plus en plus grave.

Personne à la rue, le 1er juillet ? Pas selon le FRAPRU, qui recense toujours plus de ménages sans logis quand arrive la saison des déménagements. En 2019, il y en a eu 175. En 2022, ce chiffre a bondi à 600.

Six cents familles québécoises sans bail. Sans toit à se mettre au-dessus de la tête. À la rue. Parfois pendant des semaines, le temps de trouver, enfin, de quoi se loger.

Peut-être M. Legault n’avait-il pas entendu, la semaine dernière, le cri d’alarme lancé par une large coalition d’élus et de représentants des secteurs de la construction, de l’immobilier et du milieu communautaire.

Lisez l’article de La Presse Canadienne « Québec doit agir d’urgence pour sortir de la crise du logement »

« Actuellement, il y a des familles qui se retrouvent sans logis et je dois vous dire que si on ne réagit pas aujourd’hui, le 1er juillet 2024, le 1er juillet 2025 et le 1er juillet 2026 seront pires encore », avait prévenu Isabelle Melançon, de l’Institut du développement urbain du Québec.

Elle avait critiqué l’inertie de ce gouvernement qui persiste à faire comme si tout allait bien. « Tant et aussi longtemps qu’on ne nomme pas la crise – parce que c’est une crise dont il est question –, c’est difficile d’y faire face. Quand on n’a pas le bon diagnostic, c’est difficile d’avoir le bon remède. »

Au Québec, un ménage locataire sur quatre consacre plus de 30 % de ses revenus bruts à se loger, selon l’Indice du logement locatif canadien, qui a publié mardi un rapport extrêmement préoccupant sur la situation socio-économique des locataires d’un bout à l’autre du pays.

Pour 9 % des familles locataires québécoises, la part des revenus consacrés au logement dépasse 50 %. Ça veut dire qu’elles se privent ailleurs. Et qu’elles risquent fort de se retrouver à la rue.

Les locataires du Québec peuvent tout de même se considérer comme chanceux : leurs loyers restent bien plus abordables qu’à Vancouver et à Toronto. Quand on se compare, on se console…

À entendre François Legault, pourtant, il n’y a pas vraiment là de quoi se réconforter. Parce que ça veut dire que le Québec est pauvre.

« C’est sûr que si demain matin, les salaires étaient 10 % plus bas au Québec, ou 25 % plus bas au Québec, ça amènerait une baisse du prix des maisons », a-t-il affirmé en point de presse.

Mais à un moment donné, je ne souhaite pas que le Québec reste pauvre pour qu’on garde un prix des maisons plus bas que Toronto ou Vancouver.

Le premier ministre François Legault

Peut-être François Legault n’avait-il pas lu le Vancouver Sun, ce matin-là. « Plus de 100 000 ménages [de la Colombie-Britannique] risquent de se retrouver à la rue à cause de la crise du logement », titrait le quotidien. Entre 2016 et 2021, le prix des loyers a augmenté de 30 % là-bas et de 27 % en Ontario.

Lisez l’article du Vancouver Sun « More than 100,000 B.C. households at risk of homelessness due to rental crisis » (en anglais)

Au Québec, l’augmentation est de 14 %, selon l’Indice du logement locatif canadien. Mais qui espère vraiment que ça monte encore ?

Qui, je veux dire, parmi le monde ordinaire, les jeunes qui voient s’envoler leur rêve d’accéder à la propriété, tous ceux qui n’ont pas la chance de se voter des augmentations de salaire de 30 % ?

Qui veut d’une crise du logement aussi grave qu’à Vancouver et qu’à Toronto, juste pour pouvoir dire que, hourra, nous sommes riches, nous aussi ?

M. Legault a expliqué que « plus les salaires vont augmenter, plus le prix des maisons va augmenter. C’est une conséquence de l’offre et de la demande ».

Il me semble que bien d’autres choses expliquent la flambée des prix – et la crise du logement qui en découle : le manque de main-d’œuvre et de matériaux ; les taux d’intérêt élevés ; le fléau des Airbnb ; la spéculation ; les flips immobiliers…

Il me semble surtout que le principe de l’offre et de la demande est lié à la rareté, ou non, d’un produit. Moins il y a de logements sur le marché, plus ça coûte cher. Et des logements, il en manque terriblement. Tant qu’on n’aura pas réglé ce problème, des ménages québécois continueront à chercher un toit le 1er juillet.