Sans logement depuis plus d’un an, une jeune mère déplore les propos du premier ministre du Québec, François Legault, selon lesquels personne ne s’est retrouvé à la rue au 1er juillet ces dernières années. « Il est déconnecté de la réalité », tranche-t-elle, un avis appuyé par des organismes d’aide aux locataires, qui constatent que la situation se dégrade pour les plus démunis.

Naomy Guérin, 25 ans, est arrivée à Montréal au printemps 2022. Depuis, la mère de famille n’arrive pas à dénicher un logement pour loger sa petite famille et vit à la merci des gens qui l’hébergent.

Sans adresse, elle fait partie des gens en situation d’itinérance cachée. Les propos du premier ministre, François Legault – « ça s’est bien passé lors de ces quatre 1er juillet » passés, « personne ne s’est retrouvé à la rue » –, ont choqué la maman d’une fillette de 6 ans et d’un garçon de 2 mois.

Depuis plus d’un an maintenant, Naomy tente par tous les moyens de repérer un logement pour pouvoir se déposer avec sa petite famille et son copain. En vain. « Je cherche un quatre et demie ou un cinq et demie, qui tourne autour de 1300 $ par mois, où je pourrai élever mes enfants et leur assurer une stabilité. On veut s’installer pour du long terme. »

Plus d’un an d’attente

Elle cherche un logement dans les arrondissements de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et de Rosemont–La Petite-Patrie. « J’ai essayé toutes les applications de location possibles, et je suis sur une liste d’attente pour la plupart des coops et des HLM qui existent », explique la jeune femme.

Selon les informations qu’elle a reçues, il y aurait plus d’un an d’attente pour les coops où elle a postulé.

Selon Naomy, plusieurs propriétaires lui tournent le dos parce qu’elle a de jeunes enfants.

Je me suis souvent fait dire qu’ils ne veulent pas d’enfant dans leurs logements… je trouve ça horrible. Ma fille va à l’école, elle a une routine comme tous les enfants de son âge. Ce n’est pas un monstre.

Naomy Guérin

Hébergée chez une amie jusqu’au 1er juillet, Naomy espère trouver un logement dans les prochains jours, sans quoi, elle ne sait pas où elle vivra.

De plus en plus de ménages sans logis

Les chiffres appuient les propos de la jeune mère.

« On comprend que [François Legault] veut dire que personne ne s’est retrouvé sur le trottoir, donc il n’y a pas de problème, mais c’est par centaines qu’on compte les locataires qui se sont retrouvés sans bail le 1er juillet depuis des années et ce n’est que la pointe de l’iceberg », explique la porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), Véronique Laflamme.

Le nombre de personnes qui font appel aux services est d’ailleurs en constante augmentation depuis quatre ans dans les services d’aide qui offrent de l’hébergement d’urgence (voir le graphique ci-contre), un indicateur que la situation se dégrade sur le terrain, selon Véronique Laflamme.

« Il y a des régions où il n’y avait pas d’aide d’urgence et où les gens se sont assurément retrouvés à la rue », ajoute-t-elle.

Et le séjour de ces personnes en hébergement d’urgence s’allonge d’année en année, selon le FRAPRU. Dans l’espoir d’en sortir, elles loueront des appartements trop chers pour elles, ce qui perpétue un cercle vicieux, souligne Véronique Laflamme.

Qui plus est, les personnes sans logis au 1er juillet devront dorénavant payer une partie de cet hébergement si elles ne trouvent pas un nouvel appartement après deux mois, et ce, en vertu d’une nouvelle mesure mise en place par Québec et dénoncée par tous les organismes consultés.

Lisez l’article « L’hébergement d’urgence cessera d’être gratuit après deux mois »

Nulle part où aller

Le directeur général du Comité logement de la Rive-Sud, Marco Monzon, évoque l’histoire d’un homme de Saint-Lambert qui s’est résolu à coucher dans sa voiture le 1er juillet dernier puisqu’il n’avait nulle part d’autre où aller.

Oui, il y a des personnes qui se sont retrouvées à la rue.

Marco Monzon, directeur général du Comité logement de la Rive-Sud

Son organisme couvre plusieurs villes de la région, dont certaines qui ne fournissaient pas d’hébergement d’urgence pour les personnes sans logis le 1er juillet dernier. « Il y en a plusieurs qui me disent qu’elles ne reçoivent pas d’appels parce qu’elles n’ont pas de personnes à la rue, mais la raison, c’est qu’elles n’ont pas de ligne d’appel », souligne Marco Monzon.

Cette itinérance dite « cachée » ou « temporaire », ils sont plusieurs à la vivre, le plus souvent, en couchant chez des proches ou des amis, ou encore en faisant du camping, souligne le co-porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec, Cédric Dussault.

Ce dernier ne mâche pas ses mots à l’égard des propos tenus par le premier ministre, François Legault. « Des gens ont parlé de déconnexion, mais ça va plus loin, c’est du mépris », affirme-t-il. « C’est se mettre la tête dans le sable de penser qu’il n’y a personne qui se retrouve à la rue. »

De meilleurs salaires n’assurent pas l’accès au logement, selon Plante

Il n’y a aucune corrélation entre l’augmentation des salaires dans une ville et la capacité des ménages de se loger, a affirmé mardi la mairesse de Montréal, Valérie Plante, contredisant ainsi le premier ministre du Québec, François Legault. Lundi, M. Legault se réjouissait du fait que la hausse des loyers était un signe du « bien-être économique » de la province. « Il y a plein de données là-dessus, dont une étude qui démontre que dans des villes comme Toronto et Vancouver, bien que les salaires soient plus élevés, la classe moyenne n’arrive pas à se loger. Moi, je ne veux pas que Montréal soit juste pour les riches, comme Toronto et Vancouver », a soutenu la mairesse Plante, en marge d’une conférence de presse. « Oui, on veut des bons salaires, mais ce n’est pas vrai que c’est ce qui fait qu’on peut se loger, s’il n’y a pas des stratégies appuyées, une vision claire, des efforts pour garder l’abordabilité. Il faut casser l’argument selon lequel de meilleurs salaires donnent accès à l’habitation. »

Isabelle Ducas, La Presse