C’est bien de présenter ses excuses. Mais si, dans la phrase d’après, tu expliques pourquoi tu avais raison, c’est comme si tu t’excusais de t’être excusé.

Oui, je parle de Bernard Drainville, et je m’en excuse.

Commençons par dire une bonne chose sur notre ministre de l’Éducation : son projet d’Institut national d’excellence en éducation est très bienvenu. Le Ministère n’est actuellement pas capable d’évaluer la performance des programmes ni des écoles. On ne sait ce qui se passe dans les écoles que par la collecte incohérente d’anecdotes et de macrodonnées. Un tel organisme d’évaluation existe en santé. Il devrait en exister aussi en justice, en transport et dans plusieurs autres secteurs de l’État pour qu’on puisse s’y retrouver dans le fatras du monstre bureaucratique contemporain. La meilleure façon de se tromper de solution est de mal connaître le problème.

Donc le ministre Drainville a encore une fois présenté ses excuses, cette fois aux enseignantes. En entrevue au Devoir, on lui a demandé de justifier le fait que les députés du Québec seront les mieux payés de toutes les législatures provinciales, si l’augmentation de 30 000 $ de leur salaire de base est votée. Cela pendant que les enseignantes relevant de son ministère ne sont pas, elles, les mieux payées au Canada. Bernard Drainville a alors apostrophé le chroniqueur Michel David sur un ton combatif : « Tu compares vraiment le job d’enseignant au job de député ? »

Les syndicats ont sauté sur cette déclaration pour dire que le ministre « méprise » les profs. C’est un peu injuste, mais on est en pleines négociations, ils n’allaient pas laisser passer ça.

Un peu forcé de présenter ses excuses pour calmer le jeu, il en a rajouté. Sans même s’en rendre compte.

En 2015, alors qu’il était dans l’opposition, M. Drainville s’était fermement opposé à la même hausse du salaire des députés, recommandée par un comité indépendant.

Il invoquait très précisément le sous-paiement des enseignants pour dire que cette hausse du salaire des députés était indécente.

Pourtant, cette hausse s’accompagnait d’une révision du régime de retraite des députés, le plus joufflu au Canada, et de loin. Ce régime « Ferrari », comme dit l’ex-juge Claire L’Heureux-Dubé, est déficitaire de 200 millions – songez qu’il vise les membres d’une assemblée de seulement 125 personnes !

La hausse de 2023 est donc bien « pire » que celle proposée en 2015, car elle ne s’accompagne pas d’une révision du régime de retraite, pour lequel les députés ne contribuent qu’à 21 % – alors que les autres employés de l’État contribuent à 50 %. Sans compter qu’on accumule 4 % de rente par année de service, au lieu des 2 % usuels.

Je précise ici que je suis favorable à l’augmentation de leur salaire, gelé depuis longtemps… à condition qu’on fasse le ménage dans le régime de retraite.

Mais le député de l’opposition Drainville était farouchement contre l’augmentation fondée sur le rapport L’Heureux-Dubé. Huit ans plus tard, il est favorable à l’augmentation qui perpétue le régime glouton.

Ce qui était le plus frappant dans le discours de M. Drainville, c’est qu’il justifiait sa volte-face jeudi par le fait que le rôle des députés a beaucoup changé au fil des ans.

C’est vrai. Les tâches sont lourdes, l’horaire chargé à bloc, les félicitations rares, les attaques sur les réseaux sociaux nombreuses. Plusieurs font l’objet de menaces. Oui, le job de législateur est de plus en plus pénible, ingrat et compliqué.

Mais ce changement est vrai aussi dans des provinces plus riches comme l’Alberta et l’Ontario, où les salaires et surtout les pensions sont moins généreux. La rémunération publique dans un État devrait refléter la richesse collective.

Et surtout, si un métier est « plus difficile qu’avant », c’est bien celui d’enseignant.

Tout ce qui est malade dans la société aboutit dans nos écoles. Tous les problèmes familiaux créent des vagues qui viennent se briser au pied des profs.

On a beau avoir ajouté du personnel pour aider les enseignantes, il manque partout d’orthopédagogues, de travailleurs sociaux, de psychologues. Les classes intègrent des enfants ayant des difficultés souvent très lourdes, ce qui n’était pas autant le cas « avant ». C’est sans parler des cas de violences dans certaines écoles et de la dissolution de l’autorité.

Je passe sur le fait que chaque problème social doit inévitablement trouver sa solution à l’école. La sédentarité ? Faites-les bouger à l’école ! Les écrans ? Désintoxiquez-les à l’école – mais apprenez-leur à utiliser la tablette. Développez l’ouverture à l’autre et l’inclusion… mais attention de ne pas faire une gaffe, on vous accusera rageusement de « wokisme » !

Etc.

Tout ça n’est absolument pas la faute de Bernard Drainville, évidemment.

Disons simplement qu’il est particulièrement malhabile et malavisé d’insister sur la nouvelle difficulté du métier de faiseur de lois… quand on veut le mettre en rapport avec le salaire des éducateurs de petits êtres humains de 2023.

Note pour moi-même : après « je m’excuse », ne pas tout de suite commencer une phrase par « mais c’parce que… ».

C’est souvent mieux de ne plus parler, quand les explications sont pires que la gaffe.