Le 12 novembre 2014, François Legault rappelait les libéraux à l’ordre. « On ne peut pas d’un côté demander une chose aux employés municipaux et ne pas l’appliquer à nous-mêmes », lançait-il.

C’était en pleine négociation de convention collective avec les employés municipaux. Le gouvernement de Philippe Couillard exigeait qu’ils cotisent à parts égales dans leur régime de retraite. Les députés, eux, n’y versaient pourtant que 21 % – les contribuables ramassaient le reste de la facture.

À l’initiative du chef caquiste, l’Assemblée nationale avait adopté à l’unanimité une motion dans laquelle les élus s’engageaient à cotiser à 50 % de leur régime de retraite.

M. Legault avait fait auparavant cette demande au gouvernement Marois. Les péquistes avaient refusé, et les libéraux n’ont finalement pas donné suite à la motion.

Au pouvoir depuis cinq ans, les caquistes ont eu le temps d’agir. Mais comme leurs prédécesseurs, ils s’accommodent au fond très bien de ce régime qui leur promet de beaux jours à la retraite.

En 2014 comme aujourd’hui, ce n’est pas de nature à encourager les concessions syndicales.

Avec qui comparer les employés payés par le public pour déterminer leur salaire ?

Grâce à leur puissant lobby, les médecins avaient convaincu Québec de rattraper la moyenne canadienne. Ils ont fini par la dépasser, et ce même si le coût de la vie est inférieur chez nous.

Consultez l’analyse de l’Institut du Québec sur la rémunération des médecins

Les députés de l’Assemblée nationale étaient déjà mieux payés que ceux des autres provinces, et ils se rapprochent maintenant de leurs homologues fédéraux.

Les enseignants n’auront pas cette chance. On dirait qu’il ne restait plus de place pour eux dans l’ascenseur…

Il est vrai que la hausse salariale de 30 % des élus s’est faite en vertu d’un mécanisme différent. Il n’était pas question de rattrapage avec le reste du pays. Les députés étaient plutôt comparés aux autres cadres publics de niveau équivalent au Québec. La même logique vaut pour le bond de 70 900 $ du chef de cabinet du premier ministre – ce poste névralgique et difficile a été évalué par rapport à certains sous-ministres.

De tels ajustements ne sont pas négociés. Ils se font par décret ou au moyen d’une loi. On avait aussi procédé de la sorte pour régler une iniquité entre les agents des services correctionnels et des métiers semblables.

Les députés ne sont pas nombreux. Une bonification de leur salaire a donc un impact modeste sur les finances publiques, contrairement aux 600 000 fonctionnaires. N’empêche qu’il serait plus prudent de prêcher par l’exemple.

L’augmentation de 30 % de leur salaire est encore plus faste qu’on ne le croit. Elle s’applique aussi aux allocations comme la prime pour adjoint parlementaire ou président de commission. Et, évidemment, cela entraîne la rente de retraite à la hausse.

Pour justifier l’écart entre des employés du public et du privé, Québec plaide qu’il faut considérer la rémunération globale, comme le régime de retraite.

Cela devrait valoir pour les députés. Or, leur rente avantageuse demeure intacte. Québec dit avoir simplement appliqué les recommandations d’un rapport indépendant, mais les auteurs de ce document n’avaient pas le mandat d’examiner le régime de retraite.

Lors de sa fondation, la CAQ déclarait que sa priorité serait l’éducation. M. Legault s’engageait à hausser le salaire des enseignants. Et il l’a fait comme promis lors de son premier mandat, notamment en abolissant les échelons inférieurs.

Québec s’engage à en ajouter encore un peu plus. La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, insiste toutefois pour dire que la clé, c’est l’organisation du travail.

Or, son gouvernement montre par l’exemple que l’argent, c’est important… Les syndicats ne pouvaient demander mieux pour mobiliser leurs troupes.

Mme LeBel offre une prime de 12 000 $ aux enseignants admissibles à la retraite qui resteront au travail en septembre. Elle demande aux syndicats de ne pas trop ralentir les négociations durant l’été.

Elle a tout à fait raison d’être inquiète. Il serait étonnant que le conflit se règle avant la rentrée scolaire, et les élèves en seront perdants.

Même si la ministre essaie d’éviter le pire pour les élèves, sa prime a été conçue un peu vite. Comme l’explique mon collègue Tommy Chouinard, elle risque d’être sans effet – une prime plus généreuse est déjà en vigueur et les profs ne peuvent pas combiner les deux.

Québec et les syndicats disent vouloir améliorer l’organisation du travail afin d’attirer et de retenir plus de profs. Ils ne l’interprètent toutefois pas de la même façon.

Sans abolir l’ancienneté, Mme LeBel aimerait rendre ce critère moins déterminant pour mieux répartir le travail entre les jeunes et les vétérans. Les syndicats réclament quant à eux moins de tâches administratives et plus d’autonomie, notamment dans les formations.

Ces différends sont normaux. Ce qui ne devrait pas l’être, toutefois, c’est la durée de la négociation. Comme d’habitude, elle traîne.

La petite industrie de la négociation sert bien ceux qui en font un métier – aussi bien les avocats embauchés par l’État que les conseillers syndicaux.

Les syndicats ont particulièrement intérêt à prendre leur temps.

Avant de faire la grève, ils doivent demander la médiation puis attendre quelques semaines afin de vérifier si un compromis est possible. Ils viennent d’enclencher cette mécanique.

Quand ils auront le droit de débrayer, leur rapport de force sera à son maximum. Ils sont donc incités à attendre ce moment avant de s’entendre.

Reste qu’il n’était pas nécessaire que les caquistes les frustrent encore plus avec des déclarations vexatoires comme celle de Bernard Drainville et les cadeaux offerts aux députés.

Le travail de Mme LeBel est déjà assez difficile, ses collègues n’ont pas besoin de viser si bien quand ils tirent dans sa chaloupe.