(Ottawa) Après une session parlementaire difficile dominée par les dossiers de l’ingérence étrangère et la hausse du coût de la vie, Justin Trudeau avait confié à ses plus proches collaborateurs qu’il comptait remanier son cabinet en profondeur.

« Tout est sur la table », a-t-il affirmé à sa garde rapprochée à la fin juin, précisant que seules deux ministres – la ministre des Finances Chrystia Freeland et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly – étaient assurées de conserver les mêmes responsabilités.

Au bout du compte, 8 ministres sur 38 n’ont pas été touchés par les changements qu’a annoncés le premier ministre à son cabinet mercredi. Le coup de balai qu’il a donné est impressionnant – le plus important depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Jusqu’ici, Justin Trudeau s’était montré allergique à l’idée de se livrer à un tel exercice de renouveau.

Les derniers mois pénibles qu’a connus son gouvernement à la Chambre des communes et une série de sondages donnant l’avantage au Parti conservateur de Pierre Poilievre dans les intentions de vote l’ont convaincu qu’il était temps de redresser la barre.

La nouvelle équipe ministérielle, qui compte sept recrues, devra l’épauler dans sa quête pour obtenir un quatrième mandat. Cette quête apparaît d’ores et déjà comme un défi herculéen.

Selon un sondage de la firme Abacus Data publié mercredi, jour du remaniement, le Parti conservateur (38 %) détient une avance de 10 points de pourcentage sur les libéraux (28 %) à l’échelle nationale. Le NPD récolte 18 % des appuis dans ce coup de sonde. Une telle avance, si elle devait se maintenir jusqu’au prochain scrutin, pourrait permettre aux conservateurs de Pierre Poilievre de décrocher un mandat majoritaire.

Vers 2025

En point de presse après avoir dévoilé les changements à son cabinet, le premier ministre a affirmé qu’il n’avait pas l’intention de déclencher des élections hâtives cet automne ou même l’an prochain. Son gouvernement souhaite aller jusqu’au bout de l’entente qu’il a conclue avec le NPD au printemps 2022.

En vertu de cette entente, le NPD promet d’assurer la survie des libéraux minoritaires aux Communes durant les votes de confiance jusqu’en juin 2025. En contrepartie, le gouvernement Trudeau s’engage à mettre en œuvre des mesures chères au NPD, notamment le programme national de soins dentaires.

Dans les rangs libéraux, on estime qu’un scrutin à l’automne 2025 est des plus avantageux : l’inflation pourrait être finalement maîtrisée, l’économie pourrait reprendre du poil de la bête, un début de solution à la crise du logement pourrait être mis en branle et l’élection présidentielle aux États-Unis, prévue en novembre 2024, aurait eu lieu.

Si les électeurs américains devaient jeter à nouveau leur dévolu sur Donald Trump – une hypothèse qui donne froid dans le dos, mais ne peut être totalement écartée –, les électeurs canadiens pourraient être convaincus d’opter pour la stabilité au pays en voyant le retour du chaos au sud de la frontière, estime-t-on.

« On veut se rendre jusqu’en 2025 », assure une source gouvernementale proche du premier ministre qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement.

Le rôle du lieutenant

Le remaniement ministériel dévoilé mercredi est la première étape de l’effort des troupes de Justin Trudeau visant à recadrer le message libéral sur le logement, l’économie et la création d’emplois. Le Québec est incontestablement la carte maîtresse de ce rebattage des cartes.

En tout, 10 des 38 élus qui siègent à la table du Cabinet sont du Québec, en plus du premier ministre. La grande majorité de ces ministres occupent des postes névralgiques : Mélanie Joly aux Affaires étrangères, François-Philippe Champagne à l’Industrie, Pablo Rodriguez aux Transports, Steven Guilbeault à l’Environnement, Jean-Yves Duclos aux Services publics et à l’Approvisionnement, Marc Miller à l’Immigration, Pascale St-Onge au Patrimoine, Diane Lebouthillier aux Pêches et Marie-Claude Bibeau au Revenu national, ainsi que la recrue Soroya Martinez Ferrada à l’Agence de développement régional.

S’il passe du Patrimoine aux Transports, Pablo Rodriguez conserve son rôle crucial de lieutenant politique au Québec. Depuis qu’il occupe ce poste, M. Rodriguez a multiplié les efforts, loin des caméras, afin de maintenir des relations de travail solides et efficaces avec les principaux ministres du gouvernement Legault. Il s’assure d’aplanir les différends entre Ottawa et Québec, dans la mesure du possible, avant qu’ils ne fassent les manchettes.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau félicite Pablo Rodriguez après que ce dernier a prêté serment en tant que ministre des Transports.

« En tant que lieutenant, Pablo prend souvent le téléphone et réussit à régler des dossiers à la satisfaction de tout le monde », confie en coulisses une source proche du ministre en donnant en exemple le dossier du logement et celui de l’immigration.

M. Rodriguez joue aussi un rôle tout aussi discret et efficace auprès de ses collègues du Cabinet des autres provinces, qui ne sont pas toujours au fait de la réalité québécoise. Il prend le temps de leur expliquer les aspirations et les intérêts des Québécois francophones. Le but : éviter les confrontations inutiles entre Québec et Ottawa découlant d’un manque de compréhension de la part d’un ministre anglophone.

Fait intéressant, M. Rodriguez n’est pas le premier lieutenant politique à se voir confier le ministère des Transports au cours des 20 dernières années. Le regretté Jean Lapierre a cumulé ces fonctions dans le gouvernement libéral de Paul Martin, tout comme Lawrence Cannon et Denis Lebel dans le gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Une courte victoire ou une défaite

En prévision du prochain scrutin, les libéraux ont fait leurs calculs : ils doivent conserver les sièges qu’ils détiennent au Québec, voire faire des gains aux dépens du Parti conservateur et du Bloc québécois, s’ils veulent maximiser leurs chances d’obtenir un nouveau mandat.

Certes, les nombreux sièges que compte la grande région de Toronto doivent aussi demeurer dans le giron libéral. Mais le Québec va assurément faire pencher la balance entre une courte victoire et une défaite au prochain scrutin.

« Le Québec demeure la pierre angulaire du gouvernement. Le premier ministre l’a démontré avec le remaniement ministériel », a soutenu une source gouvernementale proche de Justin Trudeau.