(Ottawa) De nombreux stratèges libéraux ont encerclé le 23 mai dans leur calendrier. C’est à cette date que le rapporteur spécial indépendant, l’ancien gouverneur général David Johnston, recommandera à Justin Trudeau la tenue ou non d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère durant les élections fédérales.

Depuis plusieurs mois, le gouvernement Trudeau est sur la défensive dans ce dossier. Les révélations selon lesquelles la Chine a employé des moyens sophistiqués lors du dernier scrutin afin d’influencer les électeurs dans certaines circonscriptions pour assurer l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire ont dominé les débats à la Chambre des communes au cours des quatre derniers mois.

L’affaire a pris des proportions plus importantes lorsque le quotidien The Globe and Mail a révélé, il y a trois semaines, que le député conservateur Michael Chong et des membres de sa famille qui vivent toujours à Hong Kong avaient été la cible de manœuvres d’intimidation de la part d’agents chinois parce que le député ontarien avait parrainé une motion adoptée aux Communes qualifiant le traitement réservé à la minorité ouïghoure en Chine de génocide.

Aux yeux de plusieurs observateurs, la seule option qui s’offre à David Johnston est de recommander mardi prochain la tenue d’une enquête publique même si cela pourrait représenter un défi pour tout gouvernement qui doit protéger les renseignements touchant la sécurité nationale.

Le 23 mai pourrait aussi marquer le début d’une réflexion sur un ménage dans les officines du pouvoir à Ottawa. Depuis quelques semaines, la machine à rumeurs s’est de nouveau emballée dans la capitale fédérale au sujet d’un remaniement ministériel au cours de l’été – un remaniement qui permettrait à Justin Trudeau de commencer à préparer les prochaines élections fédérales.

Durant le congrès national du Parti libéral à Ottawa au début mai, Justin Trudeau a affirmé dans un discours enflammé qu’il allait mener les troupes libérales durant la prochaine campagne.

Les délégués libéraux ont affiché une impressionnante loyauté envers leur chef durant ce congrès de trois jours. Plusieurs ont relevé que Justin Trudeau avait sauvé le Parti libéral d’une mort qui apparaissait inéluctable en 2015 et qu’il demeurait un formidable atout en campagne électorale.

Maintenant qu’il a confirmé ses intentions, Justin Trudeau doit choisir l’équipe ministérielle qui l’épaulera d’ici la prochaine campagne. « Le premier ministre a des décisions stratégiques à prendre d’ici la fin de l’été », a affirmé à ce sujet un stratège libéral qui a requis l’anonymat en évoquant la possibilité d’un remaniement ministériel.

Il est courant qu’un premier ministre demande à ses ministres de préciser s’ils vont briguer à nouveau les suffrages avant de concocter un remaniement.

Au moins trois ministres pourraient choisir de ne pas solliciter un autre mandat : la ministre des Pêches et des Océans, Joyce Murray, la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, Carolyn Bennett, et le ministre de la Protection civile, Bill Blair.

Justin Trudeau devra évaluer qui est la meilleure personne pour défendre la position du gouvernement si David Johnston propose la tenue d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère. En coulisses, on ne croit pas que l’actuel ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, soit apte à accomplir cette délicate mission. M. Mendicino a d’ailleurs connu des jours difficiles en raison de la débâcle liée aux amendements proposés à la dernière minute au projet de loi sur les armes à feu l’automne dernier et qui ont dû être retirés. Il n’a pas non plus été le meilleur communicateur du gouvernement dans le dossier de l’ingérence étrangère jusqu’ici, confient plusieurs libéraux.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino

En principe, les élections fédérales ne devraient pas avoir lieu avant l’automne 2025 si l’entente conclue l’an dernier entre les libéraux et le NPD tient le coup jusqu’au bout, soit jusqu’en juin 2025.

Dans les rangs libéraux, on estime que cette entente devrait leur permettre de gouverner sans inquiétude encore 12 mois. Idem du côté des néo-démocrates.

Résultat : on se prépare à la tenue d’élections générales au printemps 2024, après le dépôt du prochain budget. Certains libéraux avancent que le NPD aura un prétexte pour mettre fin à l’entente quand il deviendra évident qu’il sera impossible de mettre en œuvre un programme national d’assurance médicaments – une mesure très onéreuse.

Récemment, les libéraux ont envoyé un premier indice qu’ils envisagent un tel scénario. Jeremy Broadhurst, qui était un proche conseiller de Justin Trudeau, a quitté ses fonctions au bureau du premier ministre afin de travailler sur les préparatifs électoraux au quartier général du Parti libéral du Canada. M. Broadhurst a dirigé la campagne libérale de 2019 et a été directeur national du parti de 2013 à 2015.

Les stratèges libéraux voient d’un bon œil le déclenchement des élections avant la fin mars 2024. La nouvelle carte électorale doit entrer en vigueur à compter du 1er avril l’an prochain. En vertu de cette nouvelle carte électorale, l’Alberta aura droit à trois sièges de plus, la Colombie-Britannique comptera un siège de plus, tout comme l’Ontario. Le Parti conservateur pourrait remporter bon nombre de ces nouveaux sièges. En outre, les nouvelles limites des circonscriptions pourraient faire basculer au moins une quinzaine de sièges détenus par le Parti libéral ou le NPD dans le camp conservateur, selon certains experts.

Il est assez évident que la nouvelle carte électorale n’est pas favorable aux libéraux. Nous avons intérêt à viser une campagne plus tôt que tard.

Un stratège libéral sous le couvert de l’anonymat

Dans un mois, le 19 juin, des élections partielles auront lieu dans quatre circonscriptions au pays (Notre-Dame-de-Grâce–Westmount au Québec, Oxford en Ontario, Portage–Lisgar et Winnipeg–Centre-Sud au Manitoba.

Ces élections partielles pourraient donner à Justin Trudeau l’occasion de nommer de nouveaux ministres. La candidate libérale Anna Gainey est sans doute ministrable si elle remporte la victoire dans Notre-Dame-de-Grâce–Westmount. Ben Carr pourrait aussi faire son entrée au cabinet s’il succède à son père, feu Jim Carr, un ancien ministre respecté, dans Winnipeg-Centre-Sud.

Mais avant tout, ces partielles permettront de tester l’humeur des électeurs à quelques mois de la prochaine campagne.