En environnement, le Québec et le Canada arrivent au bout de leur logique.

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), les gouvernements ont concrétisé la plupart des gains faciles. Les fruits à portée de main ont déjà été cueillis. Pour les prochains, il faudra monter dans l’échelle, et l’ascension est périlleuse.

Comment atténuer notre empreinte écologique ? Comment moins consommer d’essence et de viande, comment réduire l’énergie utilisée à la maison et les déchets qui en sortent ?

La réponse ne sera pas toujours populaire. Pour les élus, c’est difficile à expliquer. Surtout dans un combat de clips à la période des questions.

À l’Assemblée nationale, les caquistes affrontent trois partis qui l’exhortent à en faire plus. Tandis qu’à Ottawa, les libéraux sont tiraillés entre les néo-démocrates et les bloquistes qui déplorent leur tiédeur et les conservateurs qui dénoncent leur prétendu radicalisme.

On l’a vu cette semaine. Steven Guilbeault avait le visage rouge libéral. Le ministre de l’Environnement était excédé par les questions du chef conservateur Pierre Poilievre. Comme s’il regardait l’arbitre en disant : vous ne sifflez pas ? « Non, il n’y a pas de pénalité. » À la Chambre des communes, tous les syllogismes sont permis et la nuance reste optionnelle.

PHOTO PATRICK DOYLE, LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, à la Chambre des communes, jeudi

M. Poilievre malmenait le ministre en répétant un chiffre : 0,61 cent par litre. Ce sera le coût combiné en 2030 de la tarification du carbone et du règlement sur les combustibles propres.

Le chef conservateur s’appuyait sur un nouveau rapport du directeur parlementaire du budget pour soutenir que ce règlement serait régressif.

Avec la tarification du carbone, les contribuables moins fortunés reçoivent plus d’argent qu’ils n’en payent. Par contre, avec la norme sur les combustibles, tout le monde payera plus cher. Pour un ménage à faible revenu, la facture équivaudra à 231 $ (0,62 % du revenu disponible). Pour un ménage à revenu élevé, le coût sera de 1008 $ (0,35 % du revenu disponible).

M. Guilbeault répond que la mesure n’est que partiellement régressive. Même si les riches payeront moins en pourcentage de leur revenu, leur facture demeurera en effet plus élevée.

Les conservateurs croient avoir trouvé un filon payant. Avec l’inflation, toute facture additionnelle fait mal. Et l’essence leur sert aussi à dresser les villes contre les régions. Ils en font une affaire de symbole. En omettant bien sûr de démontrer comment ils diminueraient les émissions de GES.

Si les libéraux peinent à se défendre face aux conservateurs, c’est parce que leur argumentaire s’appuie sur deux vérités difficiles à faire comprendre ou digérer.

La première : la crise écologique coûte déjà très cher, l’inaction rendrait la facture encore plus salée et les riches sont à la fois ceux qui y contribuent le plus et ceux qui en souffrent le moins.

La deuxième : la raison pour laquelle l’essence coûtera plus cher est simple : c’est précisément le but.

Mais cela revient à dire que l’ère des carottes a atteint ses limites. Et en politique, l’honnêteté est une stratégie risquée. Parlez-en à Stéphane Dion…

À Québec, la joute est différente.

À l’exception des conservateurs d’Éric Duhaime, tous les partis incitent le gouvernement Legault à en faire plus.

Chaque année, les caquistes s’améliorent un petit peu. Ils commencent enfin à parler d’efficacité énergétique, notamment pour les bâtiments. Ils mentionnent aussi la sobriété.

Dans l’ensemble, le plan consiste à électrifier l’économie. Ils misent plus sur des changements de technologie que de comportement.

Peut-on atteindre les cibles en faisant l’un sans l’autre ? En coulisses, les caquistes répondent que les solutions ne sont pas simples – rédiger un plan sur une feuille mobile, c’est plus facile que d’adopter des politiques efficaces. Ils ajoutent vouloir avancer au rythme des gens pour les mobiliser au lieu de les braquer.

Ce risque existe en effet. On peut l’utiliser comme excuse, ou encore y voir un défi à surmonter.

Avec la mise à jour de leur plan, les caquistes croient avoir identifié 60 % des réductions requises pour atteindre leur cible. L’an dernier, c’était 51 %. Et l’année d’avant, 42 %. Sur papier, ça progresse. Mais ces chiffres demeurent des projections.

Pour les résultats, on attend encore de voir un effet significatif, aussi bien à Québec qu’à Ottawa.

Les gouvernements Legault et Trudeau cherchent un juste milieu entre les écologistes inquiets et les sceptiques qui ne veulent pas être incommodés.

Au nom de cet équilibre, les libéraux envoient des milliards à l’industrie fossile pour la capture du carbone, une technologie qui n’a pas fait ses preuves, tout en autorisant de nouveaux projets gaziers et pétroliers en même temps qu’ils promettent de plafonner puis réduire les émissions du secteur.

Les caquistes disent quant à eux que l’argent manque pour aider les villes à s’adapter aux évènements météo extrêmes, tout en offrant des baisses d’impôt.

Politiquement, ils ont raison : il y a une différence entre un plan vert crédible et un programme électoral vendeur. Mais au-delà des lignes de communication et des attentes des électeurs, les émissions de GES restent une affaire de chiffres. Et pour l’instant, le décalage demeure entre les ambitions et les résultats.