Nous attendions impatiemment de connaître l’hôte de la finale régionale de hockey de notre aîné. Notre espoir : que ce soit près de la maison, pour une fois.

Pointe-Claire ? Saint-Laurent ? Dollard-des-Ormeaux ? Non. Cette année-là, c’est tombé sur un village dont je n’avais jamais entendu parler.

Saint-Polycarpe.

C’est où ? Pour le savoir, j’ai dû consulter Google Maps. De Montréal, on prend l’autoroute 40, jusqu’à Vaudreuil. À la sortie Cité-des-Jeunes, on rentre dans les terres. Puis on roule. Longtemps. Près d’une demi-heure. Quelques kilomètres après Saint-Clet, au beau milieu des terres, on croise une église. Un bureau de poste. Une école secondaire. Deux restos. Et un aréna.

Bienvenue à Saint-Polycarpe.

Avec seulement 2400 citoyens, c’est assurément une des plus petites municipalités du Québec propriétaires d’un aréna. Depuis 1981, le centre sportif a accueilli des milliers de hockeyeurs et de patineurs des municipalités voisines, sans jamais que Saint-Polycarpe ne refile la facture aux autres mairies. « Cet aréna, c’est une source de fierté pour les gens d’ici », m’indique le maire Jean-Yves Poirier.

Sauf que comme tout édifice, avec les années, l’aréna a commencé à présenter des signes d’usure. L’enveloppe extérieure est à refaire. Les fenêtres, les douches, la dalle de béton et le système de chauffage, aussi. En tout, une quarantaine d’éléments doivent être remplacés. Des travaux majeurs qui, vous l’aurez deviné, coûtent cher.

Les citoyens se sont mobilisés. En 2018, ils ont soumis une candidature au concours Kraft Hockeyville. Leur souhait ? Recevoir une aide de 250 000 $ pour installer un nouveau système de réfrigération. Les Polycarpiens se sont rendus jusqu’en finale. Ils n’ont pas gagné, mais ils ont fait suffisamment de bruit pour être entendus à Québec et à Ottawa.

Aujourd’hui, les deux gouvernements offrent une aide de 5,6 millions, pour un projet évalué à 9,6 millions (plus quelques centaines de milliers de dollars pour une salle communautaire). Il reste donc 4 millions à trouver. Une trop grosse bouchée pour une agglomération de 2400 âmes.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La patinoire de l’aréna de Saint-Polycarpe

Saint-Polycarpe s’est donc tourné vers ses voisins. Il y a une logique dans cette démarche. Seulement 10 %* des jeunes inscrits au hockey et au patinage artistique viennent d’ici. D’où viennent les autres ? Surtout de Saint-Zotique, Coteau-du-Lac, Les Coteaux, Rivière-Beaudette, Saint-Clet, Saint-Télesphore, Sainte-Marthe, Très-Saint-Rédempteur et Sainte-Justine-de-Newton. Le message de Saint-Polycarpe est clair : sans votre aide, l’aréna fermera à la fin de la saison.

Et quel est le plan B ?

Il n’y a pas de plan B.

« Un aréna neuf ? Ça coûterait au bas mot 25 millions », fait valoir Jean-Yves Poirier. Aucune municipalité dans la région n’a les moyens de s’en offrir un. Si le centre sportif ferme, les hockeyeurs et patineurs de la région de Soulanges devront trouver des heures de glace ailleurs. À Vaudreuil. À Saint-Lazare. À Salaberry-de-Valleyfield. Bonne chance ; ces arénas sont déjà pleins les soirs et les fins de semaine, m’assure-t-on.

Ce serait très dommage qu’on ne s’entende pas et que ça ferme.

Yvon Chiasson, maire de Saint-Zotique

Les maires ont entamé les négociations. La bonne entente règne, me dit-on. Tous les maires autour de la table souhaitent sauver le centre sportif. « On ne peut pas se permettre de perdre l’aréna », affirme le maire de Rivière-Beaudette, Patrick Bousez. « Une municipalité comme la nôtre n’aura pas les moyens ensuite de construire son propre aréna. Pour vous donner une idée, notre budget annuel est de 4 millions… »

Donc si tous les violons s’accordent, où est l’enjeu ?

Si les maires parviennent à une entente, ils devront la faire adopter par les 10 conseils municipaux. Là, ça pourrait coincer, craignent plusieurs personnes impliquées dans le projet. Il faut savoir que dans la région, les maires et les conseillers sont généralement des indépendants, et non des membres d’un seul parti.

« Toutes les municipalités doivent se serrer la ceinture, explique Yvon Chiasson. Dans un contexte d’inflation, on veut tous garder les taux de taxation le plus bas possible. C’est difficile de convaincre ton conseil de donner un gros coup, de prendre 100 000 $ ou 130 000 $ de notre budget annuel, pour aller l’investir chez le voisin. »

C’est pourquoi les villes voisines veulent s’assurer de devenir copropriétaires de l’aréna. Saint-Polycarpe est d’accord.

« Il faut que les citoyens se sentent concernés », laisse tomber la mairesse de Coteau-du-Lac, Andrée Brosseau. « Les citoyens [doivent venir] cogner à la porte des conseils municipaux pour nous dire : on y tient, à notre aréna. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

En tout, une quarantaine d’éléments doivent être remplacés à l’aréna de Saint-Polycarpe.

Les maires ont sorti leurs calculatrices. Pour les propriétaires d’une maison évaluée à 400 000 $, sauver l’aréna coûterait environ 30 $ par année, estime le maire de Saint-Polycarpe. D’autres maires m’ont fait part de chiffres semblables pour leur territoire. Entre 30 $ et 35 $ par porte. Ça comprend les frais d’exploitation et les paiements sur l’emprunt. En soi, ce n’est pas un gros montant. Sauf que ça forcera les mairies à faire des choix : ou bien réduire les services ailleurs, ou bien augmenter les taxes en conséquence. Je reconnais que ça puisse être une source d’irritation pour les contribuables qui n’utilisent jamais l’aréna.

Après, il faut aussi tenir compte des bienfaits.

L’aréna de Saint-Polycarpe, c’est un carrefour dans la région. Un ciment pour la communauté. Un endroit rassembleur, où jeunes et moins jeunes se réunissent dans la bonne humeur pour pratiquer du sport. C’est un atout pour combattre l’isolement, et un outil pour lutter contre la sédentarité, surtout chez les jeunes filles. Je rappelle que les adolescentes québécoises sont les moins actives au pays. Si on ferme l’aréna, et qu’il n’y a pas de glace disponible à 20, 30, 40 minutes de la maison, c’est tout un écosystème sportif qui disparaîtra.

« On veut occuper les jeunes, souligne la mairesse Andrée Brosseau. On ne veut pas qu’ils traînent dans les parcs. On veut prôner l’exercice physique. Des saines habitudes de vie. On a un bâtiment sur notre territoire, et on ne veut pas en prendre soin ? »

Trente dollars pour sauver l’aréna régional ?

C’est non seulement raisonnable.

C’est essentiel.

* Saint-Polycarpe n’a pas les statistiques sur la provenance des joueurs des ligues de garage ni sur les élèves de l’école secondaire voisine, qui utilisent eux aussi l’aréna.