Dans la première heure du 25e Gala Québec Cinéma, diffusé dimanche sur les ondes de Noovo, le comédien Antoine Bertrand, en verve, est venu livrer des conseils aux futurs lauréats afin qu’ils préparent une « moulée à journaliste » bien digeste sur la scène des Studios Grandé.

Bertrand s’est moqué gentiment des artistes qui livrent des messages politiques en espérant contribuer à la paix dans le monde. « Où les diplomates ont échoué, un directeur photo va réussir », a-t-il ironisé. A-t-il été écouté ? Plus ou moins… En allant cueillir le prix du meilleur premier film pour le remarquable Falcon Lake, Charlotte Le Bon a fait fi de ce conseil (« désolée, Antoine ! ») et a appelé à un « cessez-le-feu immédiat et permanent » entre Israël et le Hamas.

Antoine Bertrand a surtout conseillé aux finalistes de se préparer à une éventuelle victoire. Le mémo ne semble pas s’être rendu à quelques plus jeunes lauréats, submergés, on le comprend, par l’émotion, qui se confondaient en remerciements à leurs nombreux agents ou – on le présume – cousins lointains.

Ce que le comédien aurait pu ajouter, c’est qu’un gala doit respecter un rythme. Il ne sert à rien de prendre tout son temps au début avec un sketch préenregistré qui s’étire inutilement ou avec des dialogues forcés de présentateurs, pour ensuite escamoter d’autres présentations et finir par couper le sifflet à l’un des lauréats (le producteur Luc Déry, pour ne pas le nommer) du prix le plus important de la soirée, celui du meilleur film, remis à Viking, de Stéphane Lafleur.

Noovo avait promis une formule « revisitée » pour sa première diffusion du gala du cinéma québécois. Je ne sais pas dans quelle mesure on peut vraiment réinventer ce genre de roue. J’ai couvert d’une manière ou d’une autre tous les galas des Jutra/Iris depuis 1999 (à TVA), et celui-ci était dans le ton général des précédents, n’évitant pas les mêmes écueils. À commencer par cette fin en queue de poisson, comme s’il était d’une importance capitale que le gala dure 2 h 21 plutôt que 2 h 30. D’un coup qu’on raterait le début du Piège américain, un film coté 5 (moyen) par Médiafilm.

Finir en beauté, ça compte aussi. Il n’empêche que ce 25Gala Québec Cinéma fut mené rondement par son animateur, manifestement à l’aise dans le rôle de maître de cérémonie, malgré quelques couacs. Ce gala ne fut pas ennuyeux, ce qui est déjà une énorme qualité pour une remise de prix télévisée.

C’est une bonne idée de limiter les remises de prix à 12 catégories de pointe. Les galas sont avant tout des émissions de télé destinées au grand public, pas des cérémonies pour public averti de l’industrie.

Noovo espère bien sûr rajeunir l’auditoire du Gala Québec Cinéma grâce à l’ex-animateur d’Occupation double, ainsi qu’une diffusion stratégique juste après la spéciale de Noël de Big Brother Célébrités. Je dois admettre ne jamais avoir regardé OD ni ce que l’on entend au Québec par BBC. Je me lavais les cheveux ce soir-là…

On verra bientôt si les cotes d’écoute étaient au rendez-vous. On le souhaite, étant donné que le gala a bien failli ne jamais avoir lieu. Rappelons que Radio-Canada, de manière incompréhensible, a mis fin en octobre 2022 à son association avec cette cérémonie dont la télévision publique était le diffuseur officiel depuis 20 ans.

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Jay Du Temple

Souriant, taquin, mais bienveillant aussi envers le cinéma québécois, Jay Du Temple respirait la confiance, pince-sans-rire, élégant dans son veston noir et ses gants assortis, qui ont dû faire jaser dans les chaumières. « C’est-tu vraiment nécessaire, les gants de bicyck ? », a demandé Patrick Huard, qui a offert un petit numéro de populisme 101 dans son personnage de Rogatien.

On sentait que l’animateur avait les coudées plutôt franches, ce qui n’a pas toujours été le cas dans l’histoire de ce gala, qui a connu 16 animateurs (dont plusieurs duos) depuis 25 ans. Le milieu du cinéma québécois, fragile et plutôt susceptible, accepte difficilement qu’on le tourne en dérision.

« Tu sais que ton gala est dans une position délicate quand il est rendu au même poste qu’Un souper presque parfait », a dit Jay Du Temple dans son monologue d’ouverture, plus près du ton de Louis-José Houde au gala de l’ADISQ que de celui de Ricky Gervais à la barre des Golden Globes. Il a réservé quelques pointes bien senties et méritées à Radio-Canada, s’est moqué du nom générique du gala qu’il animait, du trophée Iris, qui ressemble à un rouleau d’essuie-tout qui aurait pris l’eau (c’est moi qui dis ça), et des thématiques récurrentes du cinéma québécois, comme répandre en famille les cendres d’un proche.

Jay Du Temple a aussi beaucoup d’autodérision. Pendant le sketch d’ouverture inspiré de La grande séduction, un Benoît Brière aux cheveux et ongles colorés « à la Jay » a rappelé que le Gala Québec Cinéma, « passé à deux pouces de l’extinction », avait besoin d’un animateur « comme tout le monde » pour qu’il se défasse de son image élitiste. « Tu dois bien ça à la société », lui a dit Élise Guilbault, après avoir rappelé que Jay Du Temple avait animé Occupation double pendant six ans. J’ai ri.

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Jean-Michel Blais et Marie-Eve Janvier lors de l’hommage aux disparus

Il y avait aussi bien sûr de l’émotion dans ce gala anniversaire. Jean-Michel Blais a accompagné au piano l’hommage aux disparus, entrecoupé d’extraits de films. Véronique Le Flaguais a sorti un mouchoir après avoir revu la scène de C. R. A. Z. Y., de Jean-Marc Vallée, où l’inoubliable personnage de Gervais Beaulieu, incarné par son amoureux Michel Côté, chante Emmenez-moi, de Charles Aznavour, reprise ensuite de belle façon sur scène par Marie-Eve Janvier.

Dans la foulée, le fils de Côté, Maxime Le Flaguais, ainsi que celui qui incarnait son fils dans C. R. A. Z. Y., Marc-André Grondin, ont annoncé que le prix du public du Gala Québec Cinéma avait été rebaptisé le prix Michel-Côté, en l’honneur du grand comédien qui s’est éteint en mai dernier. Cela tombait sous le sens. Michel Côté était un champion du film grand public.

Plusieurs des longs métrages dans lesquels il tenait la vedette ont connu d’énormes succès populaires, de Cruising Bar à De père en flic en passant par Piché, entre ciel et terre.

« L’industrie attend avec impatience la nouvelle du maintien du budget de Téléfilm Canada. On ne demande pas plus d’argent, juste le respect d’une promesse », a déclaré le distributeur Patrick Roy au moment de recevoir ce premier prix Michel-Côté pour Les hommes de ma mère, d’Anik Jean. Il faisait écho à quelque 250 réalisateurs, scénaristes, comédiens, producteurs et artisans signataires d’une lettre publiée samedi qui reproche au gouvernement Trudeau de ne pas tenir une promesse faite en 2019 de pérenniser une aide annuelle de 50 millions à Téléfilm Canada, portant la proportion de son financement de productions francophones à 40 %.

« Quand on se voit à l’écran, on existe », a dit Jay Du Temple en conclusion de son monologue d’ouverture. Une phrase qui a été reprise, en de multiples variations, au cours de la soirée. « Merci de prendre soin de notre culture », a déclaré Stéphane Lafleur aux artistes dans la salle, en allant cueillir le prix Iris de la meilleure réalisation pour Viking. Cette brillante comédie dramatique douce-amère sur une simulation de mission spatiale a aussi remporté l’Iris du meilleur film, du meilleur scénario et du meilleur acteur dans un premier rôle pour le toujours excellent Steve Laplante. Finaliste dans 18 catégories, un record des Jutra/Iris, Viking en a remporté 11 au total depuis le Gala Artisans, jeudi.

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Rémy Girard

C’est à l’animateur du premier gala des Jutra en 1999, Rémy Girard, que le 25Gala Québec Cinéma a rendu hommage dimanche soir. « C’est comme si c’est lui qui avait écrit les répliques », a déclaré Yves Jacques à propos du jeu toujours juste et crédible de Girard. Plusieurs comédiens, dont Dominique Michel, Hélène Bourgeois Leclerc, Michel Charette, Denis Bouchard, ainsi que le cinéaste Denis Villeneuve, ont souligné la contribution au cinéma québécois du plus grand acteur de sa génération.

« Je suis heureux qu’on soit ici ce soir pour une fête qui a failli ne pas se renouveler. Un cinéma national sans gala, imaginez ? Je ne sais pas quelle mouche a piqué qui », a dit Girard, très ému et élégant dans ses remerciements, en soulignant que « le cinéma n’est pas un art éphémère ». Il a joué dans une soixantaine de films, dont certains des plus marquants de notre cinématographie : Jésus de Montréal, Le déclin de l’empire américain, Les invasions barbares, Incendies, etc. Et il compte bien continuer. Rémy Girard est comme un bon vin : il se déguste avec encore plus de plaisir avec le temps.