Lorsqu’ils évoquent la zone d’exploitation contrôlée (zec) des Martres, les randonneurs pensent à de beaux sentiers de randonnée comme ceux du mont du Lac à l’Empêche et du mont du Four, alors que les grimpeurs se représentent les belles voies du mont du Dôme. Plusieurs autres zecs conjurent de telles images. Or, les amateurs de plein air réalisent-ils qu’il y a 45 ans, ces territoires étaient essentiellement consacrés à la chasse et à la pêche et réservés aux membres de clubs privés ?

Le 22 décembre 1977, le ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, Yves Duhaime, se lève à l’Assemblée nationale pour annoncer la fin des droits exclusifs de chasse et pêche sur les terres publiques au Québec, entraînant ainsi ce qu’on a appelé le « déclubage ».

« Avec le recul, je dirais que c’était un des très bons coups du gouvernement Lévesque, se rappelle Yves Duhaime depuis son coin de pays, la Mauricie. Je suis assez fier de ça même si à l’époque, cette mesure était considérée par certains comme une révolution pilotée par un malade. »

Cela faisait quand même un bon moment que les gouvernements successifs, qu’ils soient libéraux ou de l’Union nationale, cherchaient à régler le cas de ces clubs privés. À l’époque, il y avait 1164 clubs privés de chasse et pêche qui couvraient un territoire de 150 000 km⁠2. « C’est cinq fois le territoire d’un pays comme la Belgique, ou 320 fois la superficie de l’île de Montréal », précise M. Duhaime.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le Club House de la pourvoirie du Triton est un des bâtiments d’origine d’un ancien club de chasse et pêche privé fondé à la fin du XIXe siècle.

Contrairement à l’idée reçue, les membres n’étaient pas essentiellement des Américains. « La vaste majorité d’entre eux étaient des résidants du Québec. Ce n’étaient pas uniquement des capitalistes et de la grande bourgeoisie. Il y avait des hommes d’affaires, mais aussi des travailleurs, des salariés. » Toutefois, ils veillaient tous jalousement sur leur territoire et érigeaient des barrières au besoin.

À partir des années 1960, des groupes de citoyens ont commencé à manifester contre ces clubs privés. Il y a eu du grabuge. Le gouvernement libéral a réagi en 1971. « Claire Kirkland-Casgrain, entre autres, a refusé d’accorder de nouveaux baux, note M. Duhaime. C’était déjà un grand pas en avant. »

Pour donner accès à la population, les libéraux et l’Union nationale ont cherché à agrandir les parcs et à créer des réserves fauniques. « Ça coûtait beaucoup d’argent, il fallait payer pour des expropriations. »

À son arrivée au ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, Yves Duhaime a constaté la difficulté : comment mettre fin au système des clubs privés sans dépenser une fortune ?

La solution s’est révélée plutôt simple : éliminer des baux le concept d’exclusivité. Les clubs pouvaient conserver leurs infrastructures, comme les chalets et les camps, mais ils ne pouvaient plus jouir d’une exclusivité sur le territoire.

Évidemment, ça n’a pas été au goût de tout le monde.

Dans ma famille, j’avais sept beaux-frères, dont cinq étaient membres de clubs privés. Avez-vous une idée de quoi on a jasé le jour de Noël 1977 avec les beaux-frères ? Une chance que j’étais parent avec eux !

Yves Duhaime, ex-ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche

Pour la gestion de ces territoires, le ministre s’est inspiré d’une initiative conçue sur la Côte-Nord par le gouvernement libéral précédent, soit la création d’une association chapeautée par des administrateurs bénévoles.

Mais les Québécois allaient-ils répondre à l’appel et s’impliquer dans la gestion de leur territoire ?

« Imaginez-vous donc que ça a marché ! s’enthousiasme M. Duhaime. En un mois, dans un temps record, on a créé 36 associations à travers le Québec. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

De superbes sentiers de randonnée pédestre parcourent la zec des Martres, dans Charlevoix.

On compte aujourd’hui 63 zecs au Québec. Le concept a perduré et a évolué.

« Le réseau a grossi, il est maintenant chapeauté par une fédération, indique François Garon, directeur général du Réseau Zec. On a encore la clientèle traditionnelle pour les activités de chasse et pêche, mais on voit maintenant qu’il y a beaucoup de petites familles qui viennent profiter des terres publiques. »

Autre développement, les zecs sont plus nombreuses à ouvrir leurs portes en hiver, notamment avec des activités de pêche blanche. « Le réseau est là pour rester, affirme M. Garon. Il reste à le développer correctement. Au-delà de la chasse et de la pêche, il y a un potentiel énorme. »

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Bleu glacier

En Patagonie, une portion du glacier Grey se détache dans des teintes de bleu.

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Le chiffre de la semaine 

17

C’est le nombre de secondes que les Montréalais gagnent en clarté aujourd’hui. C’est peu, mais c’est de bon cœur.