Jusqu’où doit aller la course effrénée aux investissements et aux touristes ? La question divise les élus dans Charlevoix, région confrontée à une augmentation fulgurante des résidences de tourisme. Après le développement du Massif et l’arrivée du Club Med, voilà que le projet de GéoLAGON relance ce débat émotif : quel avenir pour Charlevoix ?

(Charlevoix) « La réaction a été émotive pour tout le monde au début. »

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Pierre Tremblay, maire des Éboulements et préfet de la MRC de Charlevoix

Installé dans un bureau à l’hôtel de ville des Éboulements, le maire Pierre Tremblay pèse ses mots. Tout autour s’étire un paysage de carte postale, ponctué de petites montagnes arrondies et bordé par le fleuve.

L’homme pèse ses mots, car il est préfet de la MRC de Charlevoix. Et il sait que ses maires sont divisés sur la question d’un nouveau développement annoncé pour Petite-Rivière-Saint-François.

IMAGE FOURNIE PAR LOUIS MASSICOTTE

Une image du concept de village hôtelier élaboré par Louis Massicotte autour des énergies propres

Le projet GéoLAGON prévoit la construction d’une énorme piscine hors terre de 120 000 pi2 – soit deux terrains de football – chauffée à 38 °C toute l’année et entourée de 600 unités de location à court terme du genre Airbnb.

Le promoteur, issu du monde du marketing touristique, promet que le tout sera alimenté par des énergies propres, notamment grâce à une nouvelle technologie brevetée.

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Louis Massicotte, promoteur du projet GéoLAGON

« Je veux pouvoir démontrer que c’est possible de vivre une expérience de baignade même en hiver grâce à l’énergie du soleil et de la terre », assure l’homme derrière le concept, Louis Massicotte.

Le village hôtelier serait conçu pour accueillir un maximum de 2000 personnes, soit le double de la population permanente de Petite-Rivière-Saint-François au dernier recensement.

Quand le projet a été dévoilé le 7 juin dernier dans un journal, des élus locaux ont sursauté. Ils n’avaient jamais entendu parler du projet, contrairement au maire de Petite-Rivière, qui était cité dans l’article donnant son appui.

« J’ai trouvé l’annonce incroyable. Il n’y avait rien de fait. Aucune analyse, aucune vérification. Rien », lâche la mairesse de Saint-Urbain, Claudette Simard.

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Claudette Simard, mairesse de Saint-Urbain

Est-ce qu’on a besoin d’un tel projet qui n’a rien à voir avec Charlevoix, avec ce qu’est Charlevoix, sa nature, ses paysages, son fleuve, ses rivières, ses lacs, ses parcs ? Que va apporter une grosse piscine ?

Claudette Simard, mairesse de Saint-Urbain

Une semaine après l’annonce de juin, Mme Simard a décidé de faire connaître publiquement ses réserves quant au projet. Mais elle n’était pas la seule dans Charlevoix avec des questions.

« L’acceptabilité sociale, honnêtement, elle n’est pas là actuellement », lâche le préfet Pierre Tremblay.

« On demande un permis pour un cabanon »

La croissance de Petite-Rivière-Saint-François a été fulgurante. Quelque 300 maisons ont été construites depuis 12 ans dans la petite municipalité de 953 habitants. Le Club Med, ouvert il y a un an, compte 302 chambres. Le Massif veut construire 118 nouveaux appartements au pied des pentes.

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Grande-Pointe sur mer, projet immobilier estimé à 14 millions à Petite-Rivière-Saint-François

« Moi, je suis un passionné de développement », lance d’emblée le maire, Jean-Guy Bouchard.

Le septuagénaire vient de terminer sa tournée matinale de conducteur d’autobus scolaire au moment de rencontrer La Presse. Il confirme que le conseil municipal avait donné son accord de principe au projet de GéoLAGON.

Mais selon lui, l’annonce de juin dans les médias et les efforts de vente « très agressifs » du promoteur ont pu laisser croire que le projet irait de l’avant coûte que coûte.

« Les gens ont pensé qu’on avait donné les clés de la ville au promoteur, que c’était réglé. Ce qui n’est pas du tout le cas », lâche M. Bouchard. « On demande un permis puis un plan pour un cabanon. Faque imagines-tu qu’on va demander des précisions pour un projet comme ça ? Naturellement. »

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Ouvert il y a un an, le Club Med compte 302 chambres. Le Massif veut construire 118 nouveaux appartements au pied des pentes.

Les réactions négatives sont venues « sans connaître le projet », dit-il. « La controverse, oui, il y en a eu, mais pas tant que ça au niveau de mon village comme tel. »

Le maire admet que la question des résidences de tourisme fait débat. À Petite-Rivière-Saint-François, 38 % des logements sur le territoire sont des résidences de tourisme. C’est le taux le plus important au Québec, et même au Canada, selon la municipalité.

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Le site sur lequel doit voir le jour le projet GéoLAGON.

Mais les 600 unités de location à court terme du GéoLAGON n’inquiètent pas le maire. Le projet doit être construit en bordure de la route 138 dans l’axe de la rue Principale. « C’est un endroit éloigné. Quand ils vont se déranger, ils vont se déranger entre eux », dit-il.

Le projet soulève toutefois plusieurs questions. Comment évacuer les eaux usées ? Comment alimenter en eau une si grande piscine loin du réseau municipal ? Comment la chauffer en hiver ?

« Même si Hydro-Québec sera sur les lieux, même si des études confirment qu’on aura accès là à toute l’eau qu’on voudra, notre but, c’est de démontrer un modèle d’autosuffisance », note Louis Massicotte. Le projet doit avoir son propre réseau de distribution d’eau et d’égouts et mise notamment sur la récupération de l’eau des douches.

2023, l’année des réflexions

Les réactions et la complexité du projet ont toutefois poussé la municipalité à chercher conseil. Elle a mandaté la Réserve de la biosphère de Charlevoix (RBC) et un géographe afin d’analyser le projet.

La coordonnatrice de la Réserve, Julie Campeau, a refusé une demande d’entrevue « par respect pour [son] client, la municipalité ». Le rapport de l’organisme est très attendu dans la région.

Le maire de Petite-Rivière-Saint-François maintient son opinion favorable envers le projet GéoLAGON.

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Jean-Guy Bouchard, maire de Petite-Rivière-Saint-François

La mission de Charlevoix, c’est une mission touristique. Si vous allez dans le Sud, vous voulez vivre des activités hors de l’ordinaire, vous voyez des cabanes dans l’eau avec les piquets, vous dites que ça, chez nous, ce serait l’enfer, et pourtant, vous y allez. Des milliers de personnes vont là parce que le concept est innovateur.

Jean-Guy Bouchard, maire de Petite-Rivière-Saint-François

Il soutient par ailleurs que le projet représenterait une source intéressante de taxes foncières. « Le Club Med rapporte 800 000 $ de taxes par année », dit-il, rappelant que Petite-Rivière-Saint-François « est la municipalité avec le plus bas taux de taxes dans la région de Charlevoix ».

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La municipalité de Baie-Saint-Paul compte un peu plus de 7300 habitants.

Les élus avoisinants sont moins friands du projet. La mairesse de Saint-Urbain est carrément contre, alors que les maires des Éboulements et de Baie-Saint-Paul émettent des réserves importantes.

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La municipalité Les Éboulements est membre de l'Association des plus beaux villages du Québec.

« C’est un projet qu’il faut analyser dans toutes ses facettes, et non pas seulement de dire que ça amène X montant d’argent de richesse foncière. La réflexion va plus loin que ça », indique Pierre Tremblay.

La MRC devra décider si le projet est conforme à son schéma d’aménagement. Mais plus largement, la mairesse de Saint-Urbain est convaincue qu’une large réflexion doit avoir lieu en 2023 sur l’avenir de Charlevoix, qui devient selon elle saturé de résidences de tourisme.

« On va devoir penser à notre avenir, à notre qualité de vie. Comment on voit Charlevoix ? Ce sont des questions qu’on va devoir se poser, dit Claudette Simard. La population générale est concernée. Moi, on a beau me dire que c’est seulement pour Petite-Rivière, je m’excuse, mais c’est beaucoup plus que ça. »

Le directeur général de Tourisme Charlevoix, Mitchell Dion, reconnaît que « les gens sont en quête d’un meilleur équilibre dans la région en termes de développement ». « On aura un rôle ensemble pour mieux analyser les projets dans Charlevoix, pour voir s’ils s’insèrent dans cette vision ou non », note Mitchell Dion.

Selon les chiffres les plus récents, la région de quelque 30 000 habitants reçoit 1 million de touristes par an.

D’ici là, Petite-Rivière-Saint-François attend le rapport de la Réserve de la biosphère. La municipalité veut aussi tenir une soirée d’information pour les citoyens. Aura-t-elle lieu cet hiver, d’ici le printemps ? « C’est proche, le printemps 2023… », répond le maire Jean-Guy Bouchard, sans s’avancer davantage.

Le promoteur, lui, est plus pressé. Il parle d’une première pelletée de terre avant le 21 juin prochain.

Que pense-t-il du débat que son projet a relancé dans Charlevoix ?

« Ce débat est très sain. Je trouve ça très sain. Il aurait peut-être dû avoir lieu au moment où la réglementation municipale et les zonages ont été faits dans le passé », répond Louis Massicotte.

« Le terrain privé sur lequel on fait une entreprise privée aujourd’hui fait déjà l’objet d’une réglementation, dit-il. Ç’a été choisi par la communauté pour ce type d’usage. »