La recette d’une reconstruction est tout aussi facile à retenir que celle du pâté chinois de Thérèse, dans La petite vie.

1– Échangez vos vétérans ;

2- Coulez au classement ;

3– Repêchez tôt, et bien ;

4– Faites jouer les jeunes ;

5– Après cinq ans, redevenez compétitifs en embauchant des vétérans.

Cette recette a assuré les succès des Penguins de Pittsburgh, du Lightning de Tampa Bay et de l’Avalanche du Colorado. C’est pourquoi, depuis 2017, les Sénateurs d’Ottawa s’appliquent à suivre les mêmes instructions à la lettre.

Erik Karlsson, Mark Stone, Matt Duchene, Cody Ceci, Ryan Dzingel et Jean-Gabriel Pageau sont partis ailleurs, contre des choix et des espoirs. Sans surprise, les Sénateurs ont déboulé les marches du classement général : 30es, 31es, 30es, 23es, 26es, 21es. Ça leur a permis de repêcher parmi les premiers et d’acquérir Tim Stützle, Brady Tkachuk, Jake Sanderson, Drake Batherson, Shane Pinto et Ridly Greig. Jolie récolte.

En parallèle, les Sénateurs ont donné du temps de jeu de qualité aux jeunes pousses. Thomas Chabot a même atteint près de 38 minutes dans une défaite en prolongation. Dix secondes de plus, et il battait le record de la LNH pour un match de saison. Puis après cinq ans de reconstruction, les Sénateurs sont allés chercher du renfort pour soutenir leur noyau de jeunes. Ainsi sont arrivés Claude Giroux, Alex DeBrincat, Jakob Chychrun, Mathieu Joseph et Vladimir Tarasenko – entre autres.

Toutes les étapes ont été respectées.

Tous les ingrédients sont là.

Pourtant, la pâte ne lève toujours pas.

Pire : c’est en train de se transformer en pouding à l’arsenic. L’entraîneur-chef et le directeur général viennent d’être congédiés. Le nouveau DG n’est toujours pas trouvé. Thomas Chabot est souvent blessé. Shane Pinto est suspendu 41 matchs. C’est tout ? Non. Les Sénateurs viennent aussi de perdre un choix de premier tour pour avoir caché aux Golden Knights de Vegas des clauses du contrat d’Evgenii Dadonov, qu’ils leur avaient refilé il y a quelques années.

Ce fiasco nous rappelle brutalement qu’une reconstruction, ça ne fonctionne pas toujours. Seulement une fois sur deux.

Bien des gens estiment que les Sénateurs auraient dû couler plus longtemps, afin d’accumuler plus d’espoirs. Cette stratégie fonctionne peut-être sur la Xbox, au niveau débutant. La réalité est plus compliquée. Ce ne sont pas toutes les organisations qui peuvent se permettre de rebâtir pendant six, huit ou dix ans sans souffrir.

D’abord, si c’est trop long, il y a un risque de voir des joueurs du noyau se prévaloir de leur autonomie, comme l’a fait Tyler Bertuzzi à Detroit. Mais surtout, tant d’années sans séries finissent par éloigner les partisans.

C’est ce qui s’est produit à Ottawa. Pendant les cinq premières saisons de la reconstruction, les assistances aux matchs locaux se sont effondrées.

Assistances moyennes par match

  • 2016-2017 : 16 744 spectateurs
  • 2017-2018 : 15 829 spectateurs
  • 2018-2019 : 14 553 spectateurs
  • 2019-2020 : 12 618 spectateurs
  • 2020-2021 : COVID-19
  • 2021-2022 : 10 145 spectateurs

En 2022, seuls les Sabres de Buffalo – eux aussi en reconstruction – affichaient de pires assistances. La reconstruction devait prendre fin.

Après, comme toutes les équipes, les Sénateurs ont commis des erreurs. Devant le filet, ce sont les portes tournantes. Neuf gardiens en trois ans. Malheureusement, le meilleur d’entre eux, Filip Gustavsson, n’est plus là. Les Sénateurs ont perdu l’échange de Mark Stone (Erik Brännström, un choix devenu Egor Sokolov). Celui de Matt Duchene (Vitaly Abramov, Jonathan Davidsson, un choix devenu Lassi Thompson). Avec le 10e choix du repêchage de 2021, ils ont sélectionné Tyler Boucher, qui est constamment blessé.

Après, une reconstruction, c’est justement ça. Beaucoup d’instabilité. Beaucoup d’imprévisibilité. Plus qu’au sein d’une équipe arrivée à maturité. Quand on échange un joueur établi contre des espoirs, on se convainc qu’un tiens vaut moins que deux, trois ou quatre tu l’auras.

Les Sénateurs occupent présentement le dernier rang de la division Atlantique. Si la tendance se maintient, ils rateront les séries pour la septième saison consécutive. C’est long. Très long. Mais pas inédit.

Depuis le lock-out de 2004, les reconstructions durent en moyenne six ans. Par contre, ces dernières années, on constate que les équipes qui touchent les bas-fonds s’enlisent.

Qu’arrive-t-il lorsque les reconstructions s’éternisent ?

Cette fois, il n’y a pas de recette précise. Les Panthers de la Floride, qui ont raté les séries de 2001 à 2011, ont changé six fois de DG et sept fois d’entraîneur-chef. Les Sabres de Buffalo (2012-2019) ont fini par échanger leur noyau de jeunes, afin de se lancer dans une nouvelle reconstruction. Les Hurricanes de la Caroline (2010-2018) ont aussi laissé partir la plupart des joueurs acquis en début de processus (Jeff Skinner, Justin Faulk, Elias Lindholm, Noah Hanifin et Victor Rask) pour bâtir autour de joueurs plus jeunes.

Les Sénateurs iront-ils là ?

Je ne crois pas. Pas avec un nouveau propriétaire. Pas avec un projet de nouvel aréna. Pas avec une base de partisans qui est sensible aux résultats et qui souffre depuis déjà sept ans.

Cette équipe est parmi les cinq plus jeunes de la LNH. Elle possède des joueurs d’élite. Plus que bien des adversaires, dont le Canadien. Elle a aussi la chance d’avoir ses vedettes sous contrat à long terme. La pâte peut encore lever.

À Jacques Martin, maintenant, d’adapter la recette.