Ce n’est pas sur la patinoire que surviennent les évènements les plus étonnants dans la LNH cette saison.

Le plus frappant, c’est l’attitude de plusieurs joueurs, qui affirment avec énergie et succès leurs droits.

Dans ce circuit où le commissaire Gary Bettman et les directions d’équipe exercent un pouvoir souvent absolu, il s’agit d’une mini-révolution.

Avant même le camp d’entraînement, les jeunes porte-couleurs des Blue Jackets de Columbus ont donné le ton en rejetant Mike Babcock comme entraîneur-chef. N’ayant tiré aucune leçon de ses erreurs passées dans la gestion des relations personnelles, Babcock a voulu s’immiscer dans la vie privée des joueurs en exigeant de voir des photos de leur famille.

La rébellion a été vive. L’information a été divulguée à une émission balado spécialisée (Spittin’ Chiclets) et Babcock a quitté son poste.

Puis un défenseur des Coyotes de l’Arizona, Travis Dermott, a envoyé paître les dirigeants du circuit en s’opposant à la nouvelle directive interdisant l’utilisation du ruban arc-en-ciel sur les bâtons.

En adoptant cette politique, la LNH a atteint un sommet d’hypocrisie. Après avoir fait de la défense du « hockey inclusif » un cheval de bataille, elle a plié les genoux la saison dernière quand des joueurs russes ont refusé d’endosser un maillot spécial en appui à la communauté LGBTQ+ lors d’échauffements d’avant-match. D’autres joueurs les ont ensuite imités en invoquant des motifs religieux.

PHOTO MARTIN KEEP, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Travis Dermott

La Russie, on le sait, a adopté une loi restreignant sévèrement les droits des membres de cette communauté et la LNH a réagi par une gênante opération d’aplaventrisme, comme je l’ai écrit en mai dernier. Il ne fallait surtout pas déplaire aux joueurs russes du circuit et compromettre les liens avec ce pays.

Il y a une dizaine d’années, je doute que des joueurs auraient eu le culot de prendre position comme ils l’ont fait à propos de Babcock et du ruban arc-en-ciel. La LNH prétend que ses joueurs sont ses partenaires. C’est une vue de l’esprit.

Gary Bettman et les propriétaires décident et les joueurs sauvent les meubles de leur mieux.

Au fil des années, à coups de lock-out, leur part des revenus générés par l’industrie a chuté de 57 % à 50 %. Leur désir de participer aux Jeux olympiques de PyeongChang en 2018 n’a pas été exaucé parce que Bettman n’y voyait aucun avantage financier. Sans compter l’imposition d’un plafond salarial « dur », qui limite leurs revenus.

Ce plafond n’a guère augmenté depuis cinq ans. Selon le site capfriendly.com, il est passé de 81,5 millions US en 2019-2020 à 83,5 millions US cette saison. Ah oui, c’est vrai, j’oubliais : la pandémie a fait très mal à la LNH et les joueurs ont dû collaborer pour maintenir sa bonne santé financière.

Vous savez quoi ? Cet argument ne me convainc pas entièrement. Pourquoi ? Parce que pendant que les joueurs se serraient la ceinture, les propriétaires ont vu la valeur de leur concession exploser.

Ainsi, en 2016, Las Vegas a versé 500 millions US pour obtenir une équipe.

En 2021, Seattle a déboursé 650 millions US pour arracher la sienne.

Toujours en 2021, les Penguins de Pittsburgh ont été vendus près de 900 millions US, selon les informations ayant alors circulé.

Et cette année, les nouveaux propriétaires des Sénateurs d’Ottawa ont acheté l’équipe 950 millions US.

Oui, les Sénateurs d’Ottawa ! Je ne manque pas de respect à leurs fans en rappelant qu’il s’agit d’un marché de taille modeste dans la LNH par rapport aux géants de New York, Toronto, Los Angeles et même Montréal. Pourtant, l’équipe vaut près de 1 milliard US !

Compte tenu de ces chiffres, voici ma question : croyez-vous que la pandémie a eu des effets durables sur la valeur des équipes de la LNH ? Ces récents achats d’équipe ont évidemment entraîné à la hausse celle de tous les clubs. Et, sur la base de ce seul actif, les propriétaires valent des dizaines de millions de plus qu’il y a cinq ans.

Voilà pourquoi je ne suis guère impressionné par le nouveau contrat d’Auston Matthews avec les Maple Leafs de Toronto. Il a signé une prolongation de quatre ans qui lui vaudra 13,25 millions annuellement dès la prochaine saison. C’est 1,6 million de plus que son entente actuelle, une augmentation modeste compte tenu de son palmarès.

Matthews joue pourtant dans le plus gros marché de hockey au monde et il est la tête d’affiche de son équipe. À mon avis, il représente une aubaine pour les Maple Leafs, qui peuvent dire merci au plafond salarial.

J’ajoute ceci : si Québec avait, comme Las Vegas, obtenu une équipe lors de l’expansion de 2016, sa valeur serait aujourd’hui beaucoup plus élevée que les 500 millions US réclamés. À l’époque, cette somme semblait pourtant gigantesque avec le taux de change défavorable de notre devise face au dollar américain.

Bien sûr, l’idée n’est pas de pleurer sur le sort des joueurs, qui gagnent super bien leur vie. Mais ces faits rappellent à quel point la LNH est guidée par les intérêts des propriétaires.

Au baseball majeur, les joueurs ont battu en brèche toute idée d’imposer un plafond salarial. Dans la NBA, des aménagements à la convention collective permettent à des vedettes de toucher 60 millions US par saison.

Même dans la NFL, où les contrats ne sont pas pleinement garantis, les choses changent. Plusieurs excellents quarts-arrières ont récemment signé des contrats de longue durée de 50 millions US par saison, en majeure partie garantis.

Qui sait, peut-être qu’en s’affirmant à propos d’enjeux touchant leur environnement de travail (le cas Babcock) ou des causes importantes leur tenant à cœur (le ruban arc-en-ciel), les joueurs de la LNH développeront une attitude plus combative dans leurs négociations collectives.

C’est la seule manière dont la mini-révolution actuelle deviendra plus significative.