(Québec) Un match de rugby féminin universitaire, une soirée froide de novembre, en pleine semaine de relâche, est un évènement difficile à promouvoir. En fait, même lorsque le soleil brille et que le campus grouille de monde, l’équipe du Rouge et Or de l’Université Laval peine à attirer une centaine de spectateurs – parenté comprise.

Alors imaginez l’allégresse des joueuses, mercredi soir, lorsque 3577 personnes se sont présentées à leur match contre les Thunderbirds de l’Université de la Colombie-Britannique, au stade Telus. Oui, oui, 3577 bien comptés. Du jamais vu ici. Pas juste pour cette équipe. Pour du sport féminin universitaire québécois tout court, nous a-t-on annoncé.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Menées 5-0 une bonne partie du match, les joueuses du Rouge et Or l’ont finalement emporté 7-5.

Comment expliquer cet engouement soudain ?

Tout a commencé en septembre à 2000 kilomètres d’ici, à l’Université du Nebraska. L’établissement a lancé une initiative pour battre le record mondial d’assistance pour un évènement sportif féminin. Plus de 92 000 spectateurs sont venus encourager l’équipe locale de volleyball. Un coup d’éclat remarquable. Deux jours plus tard, j’ai mis au défi les universités et cégeps d’ici de mobiliser leurs étudiants autour d’un match d’une de leurs équipes féminines.

La direction de l’Université Laval a répondu à l’appel. Elle a organisé un gros évènement autour de son équipe de rugby, qui défend cette semaine à Québec son titre de championne canadienne.

Envoi de courriels. Conférence de presse. Publications sur les réseaux sociaux. Le Rouge et Or a retourné toutes les pierres. Même le premier ministre François Legault a fait la promotion du match. Une heure avant le premier coup de sifflet, une cinquantaine de partisans étaient rassemblés dans le stationnement pour un barbecue, comme lors des matchs de l’équipe de football. Sauf qu’une demi-heure avant la rencontre, il n’y avait pas beaucoup plus de monde dans le stade. Et si le froid allait encabaner les gens chez eux ?

C’est alors que les spectateurs sont arrivés comme une vague.

Non.

Comme un tsunami.

Des enfants. Des étudiants. Des trentenaires. Des grands-parents. Emmitouflés. Maquillés. Assis sur les bancs glacés des sections sud, ou debout le long des lignes de côté. Il y avait aussi une file devant le camion de cuisine de rue de la Maison Smith, pour commander un café ou un chocolat chaud. Sur le terrain, l’équipe de cheerleading s’activait.

Puis les joueuses du Rouge et Or ont sauté sur le terrain, souriantes, motivées par les cris de la foule, le bruit des klaxons et le tintement des cloches à vache. Une ambiance survoltée, digne de Friday Night Lights.

« Quand on est rentrées dans le stade, la chaleur de la foule nous a réchauffées, m’a raconté Alice Théberge. Ça m’a encouragée. Ça nous a boostées. De voir des étudiants, des parents, des professeurs, autant de gens se déplacer, c’était touchant. J’ai ressenti une fierté pour toutes les filles qui ont joué avant, et pour toutes celles qui s’en viennent, de voir tous ces gens intéressés par le sport féminin. »

Sa coéquipière Laurence Chabot était tout aussi émue. « Notre équipe prend de plus en plus de place au sein de l’organisation et dans les médias. Ça démontre un intérêt envers le sport féminin. C’est très positif.

« Je viens de Victoriaville. Il y a plein d’autobus d’écoles secondaires de Victoriaville qui se sont déplacés à Québec pour le match. Ça me touche vraiment beaucoup. Mon école secondaire [Le Boisé] a fait de la pub pour que les gens viennent. Mon frère Julien travaille dans une école. Il a rempli deux autobus pour venir voir le match. À Québec, tu grandis avec le Rouge et Or. Tu parles du football. Tu viens voir le basket, le volley. Mais à Victo, on n’a pas d’université ni de sport universitaire. Alors de voir ça… »

Cloé Maranda, elle, était heureuse de croiser des gens qui assistent rarement à ses matchs. Notamment « des amis de [s]es parents, qui sont venus de Baie-Comeau ».

De Baie-Comeau ???

« Oui ! Ce match-là, c’est le happening chez les Maranda [rire]. »

Les organisateurs étaient évidemment ravis de la réponse du public. « On note une baisse de l’activité physique chez les adolescentes présentement, et les jeunes filles manquent parfois de modèles », souligne la directrice du service des sports de l’Université Laval, Julie Dionne. En effet. Selon les dernières études disponibles, les Québécoises sont les ados les moins actives au pays. « Un match comme celui-là peut augmenter leur intérêt pour le sport. »

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Le Rouge et Or poursuivra donc son parcours au Championnat canadien vendredi, à 19 h.

Et ce match, justement ? Qui l’a remporté ?

Ce fut longtemps 5-0 pour les visiteuses. Puis à la 60e minute, Léa Ouellet a inscrit un essai pour créer l’égalité. Audrey Champagne a ensuite réussi le converti pour donner une avance de 7-5 que le Rouge et Or aura conservée jusqu’à la fin. Dans les gradins, c’était l’euphorie. Plusieurs spectateurs se sont regroupés près du terrain, à la fin, pour prendre des photos des joueuses. C’était magique.

Le Rouge et Or poursuivra donc son parcours au Championnat canadien vendredi, à 19 h. Et si, pour ce deuxième match, il y a moins de monde, comment réagirez-vous, a demandé un collègue à Léa Ouellet ?

« On va tellement être déçues », a-t-elle laissé tomber, avec le plus beau sourire de la soirée.

Le Championnat canadien se poursuit jusqu’à dimanche au stade Telus.