Un entraîneur demande à ses athlètes de lui montrer leurs photos personnelles enregistrées dans leur téléphone. « C’est pour mieux connaître les joueurs », fait-il valoir. Ça peut vous sembler anodin. Attentionné, même. Ce geste a pourtant forcé Mike Babcock à quitter son poste d’entraîneur-chef des Blue Jackets de Columbus.

Conflit générationnel ? Excès de wokisme ? Hypersensibilité des joueurs ?

Non, non et non.

La demande de Mike Babcock était déplacée. Malaisante. Inacceptable. Surtout venant d’un homme qui traîne une réputation d’intimidateur et d’entraîneur toxique depuis 10 ans. Rappelez-vous les déclarations de Johan Franzén et de Mike Commodore, qui s’étaient retrouvés dans ses mauvaises grâces avec les Red Wings de Detroit.

« [Babcock] est une terrible personne », a confié Franzén au journal Expressen il y a quelques années. « La pire personne que j’ai rencontrée. C’est un intimidateur qui attaque les gens. Il pouvait s’en prendre autant au concierge à Detroit qu’à n’importe qui d’autre. Il tombait sur les gens sans aucune raison. »

Commodore est allé encore plus loin. Il a qualifié son ancien entraîneur de « sociopathe narcissique ».

« La Ligue nationale est-elle vraiment une place pour tout le monde, ou est-ce un endroit où un pervers sociopathe narcissique de 60 ans peut intimider, embarrasser et attaquer des adolescents qui sont sous son autorité ? », a-t-il écrit sur le réseau social X.

Je ne suis ni psychiatre ni psychologue. Je ne me suis jamais retrouvé non plus sous les ordres de Mike Babcock. Je ne peux donc pas confirmer qu’il souffre d’un trouble de personnalité narcissique, comme l’a fait Mike Commodore. En revanche, si j’étais un entraîneur-chef qui souhaite se défaire de sa réputation d’intimidateur narcissique, je m’assurerais de ne poser aucun geste pouvant laisser croire que j’en suis un…

Mike Babcock a fait exactement le contraire.

Les narcissiques cherchent l’attention. L’admiration. Le sentiment d’être puissant, brillant, unique. Pour y parvenir, ils emploient plusieurs stratégies. Le mensonge. L’embellissement. L’exploitation des points sensibles des autres. Pensez à l’antipathique patriarche de la série Succession, Logan Roy, qui manipule et humilie ses enfants pour atteindre ses objectifs.

« Une personne avec un trouble narcissique va glaner de l’information sur l’autre pour être en mesure d’utiliser l’autre à sa guise, au moment où il en aura besoin », explique le DHubert Van Gijseghem, psychologue à qui j’ai demandé de m’expliquer les traits d’un narcissique, sans égard au cas spécifique de Mike Babcock.

« Pour le narcissique, les autres ne sont que des outils à jeter après usage. Pour utiliser une personne comme il faut, il doit évidemment connaître cette personne. Il doit établir des liens qui rendront l’autre vulnérable [par rapport à lui]. »

Maintenant, mettez-vous dans les patins d’un joueur des Blue Jackets de Columbus. Vous avez appris plus tôt cet été que Mike Babcock sera votre nouvel entraîneur-chef. Votre premier réflexe ? Vous allez lire à son sujet. « Sociopathe narcissique. » Drapeau rouge. Vous appelez des gars qui ont joué pour lui. D’autres drapeaux rouges. Puis dès vos premiers contacts, il vous demande de partager avec lui des informations très intimes.

Peut-être auriez-vous contacté votre agent. Ou votre représentant syndical. Ou les gars de la balado Spittin’ Chiclets, d’anciens joueurs de la Ligue nationale qui ont sorti l’information en premier.

Certains de nos joueurs n’étaient pas à l’aise avec ses méthodes, et c’était inquiétant.

Jarmo Kekäläinen, directeur général des Blue Jackets de Columbus

Vous auriez pu aussi refuser la demande de Mike Babcock. Or, c’est plus facile à dire qu’à faire. Même le capitaine Boone Jenner et l’ailier vedette Johnny Gaudreau, qui n’ont rien à craindre pour leur poste, ont obtempéré. Ils sont même allés jusqu’à défendre publiquement le geste de leur entraîneur. D’après ce qui a filtré dans les médias depuis dimanche, ce sont les jeunes joueurs de l’équipe qui auraient éprouvé le plus grand malaise. Rien d’étonnant. Ce sont eux les joueurs les plus vulnérables du club.

« Nous sommes dans une relation de pouvoir », explique le psychologue Bruno Ouellette, qui a accompagné une trentaine de médaillés olympiques au cours des 30 dernières années.

« Même si tu es un athlète professionnel, tu restes sous le contrôle de ton entraîneur. Quand un nouvel entraîneur arrive et qu’il veut voir tes photos, c’est un peu bizarre. Vraiment bizarre, en fait. Tu es bien mal placé pour refuser. Pourquoi ? Parce que c’est ton coach. C’est lui qui te donnera du temps de jeu. Ça peut avoir plusieurs impacts, notamment financiers. Ça me paraît être une forme d’abus de pouvoir. »

J’ai partagé avec Bruno Ouellette la citation de Mike Commodore sur le narcissisme. Évidemment, le psychologue ne pose pas de diagnostic sur le cas de Mike Babcock. Il note toutefois le manque d’empathie de l’ancien entraîneur des Blue Jackets, un trait commun aux narcissiques.

« S’il n’est pas conscient du problème, comme il l’a dit, eh bien c’est ça, le problème. À un moment donné, tu penses que tout est correct. Tu ne te mets pas dans les souliers des autres. Ça t’amène à poser de drôles de gestes. Celui-là était questionnable. D’autres gestes posés dans le passé, également. »

Par exemple, en 2016-2017, Mike Babcock avait demandé à Mitchell Marner, 19 ans, d’établir un classement de ses coéquipiers, en fonction de leur éthique de travail. Babcock avait ensuite partagé les résultats avec des joueurs des Maple Leafs de Toronto. Une fois sa démarche rendue publique, il l’avait expliquée ainsi : « J’essayais de me concentrer sur l’éthique de travail avec Mitch, en parlant de modèles. Finalement, ce n’était pas une bonne idée. Je m’en suis excusé. »

Terrible idée, en effet.

« Ça ne lui enlève pas son expertise ni ses succès passés », explique Bruno Ouellette. Mike Babcock a gagné l’or aux Jeux olympiques et la Coupe Stanley.

« Mais ultimement, ce qui s’est produit n’était pas seulement une erreur de jugement. Il est dans un trip de pouvoir. Il a une confiance suprême [en ses capacités]. Il se place au-dessus des autres et se comporte tel quel. Sauf que le monde a changé. Lui ne s’est pas adapté. C’est rendu un dinosaure. »

Un dinosaure qui voit l’astéroïde foncer vers lui.