Il est de bon ton, à Montréal, de lever le nez sur Pierre-Luc Dubois. Une réaction étonnante, considérant son profil.

Dubois, 24 ans, est un attaquant format géant. Il produit autant que Nick Suzuki. Les stats avancées démontrent que son jeu défensif est plus efficace que celui du capitaine du Canadien. En plus, il est Québécois, et il souhaite jouer dans sa province natale. Le gros lot, quoi.

Alors, pourquoi tant de dédain envers lui ?

Parce que malgré son jeune âge, Pierre-Luc Dubois a déjà réclamé deux transactions. La première aux Blue Jackets de Columbus, en 2021. La deuxième aux Jets de Winnipeg, la semaine dernière. Évidemment, ça paraît mal. À lire les commentaires de certains partisans du Canadien, il y a autant de drapeaux rouges à côté de son nom que dans les rues de Moscou pendant le congrès du Parti communiste soviétique de 1961. Or, Pierre-Luc Dubois mérite-t-il vraiment son étiquette d’enfant-roi ?

Non.

Replaçons les deux demandes dans leur contexte.

Commençons par la plus récente. Pierre-Luc Dubois est actuellement sans contrat. Il est joueur autonome avec restriction, et il aura droit à l’autonomie complète dans un an. Il a déjà indiqué aux Jets qu’il ne signerait pas d’entente à long terme. C’est son droit, inscrit dans la convention collective. Il n’est pas le seul joueur des Jets dans cette situation. Le gardien étoile Connor Hellebuyck, gagnant du trophée Vézina en 2020, a lui aussi informé les Jets qu’il quittera Winnipeg lorsqu’il obtiendra son autonomie complète, en même temps que Dubois.

Sauf que Dubois est allé plus loin. La semaine dernière, il a demandé aux Jets de l’échanger le plus rapidement possible. Encore là, il n’est pas le seul joueur de son équipe à formuler cette demande. Le défenseur Logan Stanley, un choix de premier tour, a exprimé le même souhait à la fin de l’hiver. Leurs noms ne sont que les derniers d’une longue liste de joueurs malheureux à Winnipeg.

Avant eux, Dustin Byfuglien, Jacob Trouba, Evander Kane et Jack Roslovic ont tous exigé d’être échangés. Les deux premiers ont même fait la grève.

Plus le temps passe, plus on découvre une organisation dysfonctionnelle, qui tolère depuis trop longtemps des leaders négatifs dans son vestiaire.

Des indices ?

Le capitaine Blake Wheeler et l’attaquant vedette Mark Scheifele faisaient la vie difficile au joyau de la franchise, Patrik Laine, a révélé un journal finlandais. C’est ce qui aurait été à l’origine de la transaction Laine-Dubois. Wheeler a reconnu, après coup, qu’il aurait pu mieux communiquer avec son jeune coéquipier. Trop tard.

Au bilan de fin de saison, le vétéran Paul Stastny a rebondi sur une réponse de Blake Wheeler, dans un point de presse, et déclaré : « On doit se respecter davantage [entre joueurs]. Lorsque vous ne le faites pas, lorsque vous ne vous souciez pas du coéquipier à côté de vous, lorsque vous vous préoccupez uniquement de ce que vous faites ou de certains gestes individuels, les effets se répercutent sur votre jeu. »

Quelques jours plus tard, l’entraîneur-chef du club junior de Winnipeg, James Patrick, a ravivé les braises du scandale en relayant les confidences de deux joueurs récents des Jets, Cody Eakin et Kevin Hayes. Ceux-ci lui avaient confié que le vestiaire des Jets était le « pire » qu’ils avaient fréquenté. « C’est un problème immense », a expliqué James Patrick, qui a lui-même joué 21 saisons dans la LNH. « Ça fait cinq ans que le vestiaire est divisé. » Donc bien avant l’arrivée de Pierre-Luc Dubois à Winnipeg.

L’ambiance était tellement lourde en 2021-2022 que l’entraîneur-chef Paul Maurice a remis sa démission en plein milieu de la saison. L’équipe a besoin d’une « nouvelle voix », disait-il. Son successeur, Dave Lowry, n’est resté que six mois, avant d’être remplacé à son tour par Rick Bowness.

Un des premiers gestes de Bowness ?

Découdre le C du chandail de Blake Wheeler.

Joyeux bordel.

Voilà l’environnement de travail auquel Pierre-Luc Dubois s’est greffé, en 2021. Et attendez. Ça, ce sont seulement les incidents connus. Imaginez tout ce qu’on pourrait apprendre, dans quelques années, si le préposé à l’équipement publiait ses mémoires…

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Pierre-Luc Dubois vient de connaître une bonne saison. Sa meilleure, en fait : 63 points en 73 parties. Les Jets misaient beaucoup sur lui pour le premier tour des séries, face aux Golden Knights de Vegas. Dubois a inscrit quatre points en cinq parties. Il a toutefois terminé la série avec un différentiel de - 4.

Après l’élimination rapide des Jets, Rick Bowness a piqué une colère. « Je suis dégoûté », a-t-il affirmé, en condamnant le manque de hargne des joueurs vedettes de l’équipe – sans les nommer.

Plusieurs observateurs au Québec y ont vu une critique du jeu de Pierre-Luc Dubois. C’est une possibilité. Mais une certitude ? Non. Les statistiques indiquent plutôt que Dubois et Kyle Connor étaient les hommes de confiance de leur entraîneur.

Parmi les attaquants, ce sont eux qui ont joué le plus de minutes à forces égales, en supériorité numérique ainsi qu’en prolongation. Dubois a aussi terminé en tête des attaquants des Jets, avec 130 présences. Si Rick Bowness était insatisfait de l’implication de Dubois, mettons qu’il a très bien caché son jeu.

Selon Jonathan Marchessault, des Golden Knights, Dubois était le meilleur joueur des Jets dans cette série. « Il travaillait fort. Il était impliqué physiquement. Sincèrement, je n’ai que des bons mots à dire sur lui. Je trouve que c’était leur joueur le plus dangereux et le plus complet. Il aurait pu avoir plus d’aide des autres coéquipiers », a-t-il confié à TVA Sports.

Voilà qui clôt le chapitre Winnipeg.

Et à Columbus, que s’est-il passé ?

Au début de la saison 2021, Pierre-Luc Dubois a réclamé une transaction. Cette décision a déplu à l’entraîneur-chef John Tortorella, qui l’a cloué au banc deux fois dans les quatre premiers matchs. C’est à partir de ce moment que Dubois a acquis une réputation de diva.

Dubois a toujours nié être parti à cause de Tortorella. « J’ai grandi avec un père qui était entraîneur, a-t-il expliqué à CBC. Mon père m’a toujours dit que si un coach te défie, ce n’est rien de personnel. Il souhaite simplement le meilleur pour toi. C’est comme ça que je vois Torts. Je n’ai que du respect pour lui. » Par ailleurs, Dubois a toujours refusé d’expliquer les raisons de sa demande d’échange. Avec le recul, plus de transparence l’aurait mieux servi.

Ce qu’on sait, par contre, c’est que Pierre-Luc Dubois n’était pas le seul joueur insatisfait chez les Blue Jackets. C’était le cas, notamment, d’un joueur que vous connaissez bien.

Josh Anderson.

C’était avant la saison 2017. L’attaquant ontarien avait alors 23 ans. Selon Sportsnet et The Athletic, son agent avait réclamé une transaction. Le DG des Blue Jackets avait nié l’histoire. Anderson avait quand même raté tout le camp d’entraînement, avant de signer in extremis, au début d’octobre. À moins que j’aie raté un épisode du feuilleton, personne ici ne le qualifie d’enfant-roi.

PHOTO NICK WASS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Josh Anderson avec les Blue Jackets de Columbus en 2019

Après les séries de 2019, Sergei Bobrovksy, Artemi Panarin et Matt Duchene ont tous refusé de rester en Ohio. « Il n’y avait aucune chance que je signe une prolongation de contrat avec les Blue Jackets, avait expliqué Bobrovsky. J’ai été suspendu par l’équipe. Il y avait des conflits au sein du club, plusieurs réunions, certaines à cause de moi. Je n’étais pas à l’aise. »

Panarin, lui, souhaitait briller sur une plus grande scène – New York. Après leurs départs, Dubois est devenu le meilleur marqueur des Blue Jackets, tant en saison qu’en séries. Mais plus les mois passaient, plus les perspectives de succès de la franchise à long terme s’amenuisaient. Les Jackets ont d’ailleurs raté les séries lors des trois dernières saisons. C’est dans ce contexte que Dubois est parti à Winnipeg.

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Alors, Pierre-Luc Dubois à Montréal, oui ou non ?

Oui. Absolument. Le Canadien a besoin de joueurs avec son profil.

Maintenant, est-ce plausible à court terme ? J’ai des doutes. Le Canadien a suffisamment d’espoirs et de choix au repêchage pour présenter une offre alléchante. Or, les Jets ont exprimé leur désir d’acquérir des joueurs actifs de la Ligue nationale. Et des joueurs de la trempe de Dubois, le CH n’en a pas deux pelletées.

Autre point de litige : ses exigences salariales. Dubois peut rêver d’un contrat de huit saisons, avec un salaire annuel supérieur à 8 millions. Ça le placerait toutefois légèrement au-dessus de Nick Suzuki. Lui consentirais-je ? Oui. Après, est-ce que Jeff Gorton et Kent Hughes oseront ?

La réponse à cette question pourrait déterminer si le meilleur marqueur québécois de la dernière saison poursuivra sa carrière à Montréal – ou pas.