Le Canadien prendrait-il un grand risque en repêchant Matvei Michkov, celui qu’on surnomme le « Connor Bedard russe », au prochain repêchage ? Non.

Pourquoi ? Parce que la LNH a malheureusement prouvé son respect envers le Kremlin durant la dernière saison. Il a suffi que le Parlement russe restreigne encore davantage les droits de la communauté LGBTQ+ pour que des clubs du circuit, et non les moindres, sabrent leur engagement à cette cause.

L’exemple le plus probant est survenu lorsque les Blackhawks de Chicago, les Rangers de New York et le Wild du Minnesota ont abandonné l’idée d’endosser un chandail aux couleurs de la Fierté durant un échauffement d’avant-match cette saison. Les premiers craignaient d’éventuelles représailles envers leurs joueurs russes à leur retour au pays. Les deux autres n’ont pas précisé leurs motivations, mais tout indique qu’elles s’inscrivaient dans le même courant.

PHOTO PETER MCCABE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les joueurs du Canadien – sauf le seul Russe de l’équipe – ont porté le chandail de la Fierté durant un échauffement d’avant-match le 6 avril dernier au Centre Bell. Sur la photo : Chris Tierney.

Il aura donc suffi que Vladimir Poutine fasse voter une loi dégueulasse pour que Gary Bettman lézarde son engagement dans une cause qu’il défendait jusque-là avec énergie. Comme aplaventrisme face à une dictature, difficile d’imaginer plus éloquent.

Cette attitude a sûrement démontré au Kremlin que la LNH demeurait une excellente partenaire d’affaires. Après tout, voilà une ligue professionnelle qui taillade sa propre initiative en faveur des droits de la personne pour ne pas heurter une dictature responsable de crimes répugnants en Ukraine.

Dans ce contexte, pourquoi le Kremlin retarderait-il l’arrivée d’un joueur prometteur en Amérique du Nord ? Poutine compte sur le sport pour « normaliser » la réputation de son pays aux quatre coins du monde. Et il estime sûrement la LNH très serviable.

Vous me direz que les joueurs du CH – sauf le seul Russe de l’équipe – ont porté le chandail de la Fierté durant un échauffement d’avant-match le mois dernier. C’est exact et bravo à l’équipe. Mais cela ne change rien à la réaction institutionnelle de la LNH, beaucoup plus significative dans le grand ordre des choses.

Bettman et la LNH ne sont pas les seuls à jouer le jeu de Poutine dans le sport international. Au sommet de ce sombre classement, on retrouve Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO).

Malgré les pressions de nombreux pays – dont le Canada –, Bach multiplie les efforts pour favoriser la participation des athlètes russes et biélorusses aux Jeux de Paris en 2024. Il s’accroche à cette théorie absurde selon laquelle la politique doit demeurer à l’écart du sport.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Thomas Bach

Le sport et la politique sont pourtant indissociables depuis des décennies. Durant la guerre froide, les affrontements internationaux entre les équipes nationales des pays de l’Ouest et de l’Est comportaient une immense connotation politique. Rappelons-nous la Série du siècle de 1972, entre le Canada et l’URSS. L’enjeu allait bien au-delà du hockey. C’était le capitalisme contre le communisme.

Aujourd’hui encore, la plupart des pays, dont le nôtre, associent le succès sportif à une réussite nationale. La Russie ne fait pas exception à cette règle. Voilà pourquoi elle tient tant à ce que ses athlètes puissent être des prochains Jeux.

Je ne mets pas en doute la sincérité de Bach lorsqu’il défend son point de vue. En 1976, lors de sa participation aux Jeux olympiques de Montréal en escrime, il a été témoin du drame des athlètes africains forcés de rentrer à la maison avant la cérémonie d’ouverture en raison d’un boycottage. Quatre ans plus tard, un autre boycottage, celui des Jeux de Moscou par les pays de l’Ouest, lui a profondément déplu.

Je comprends donc ses sentiments. Et je ne suis pas en faveur d’un boycottage des Jeux de Paris si, en raison d’une erreur historique, des athlètes russes ou biélorusses y prennent part. Je crois néanmoins que dans le contexte actuel, il est impératif d’exclure tous les athlètes de ces deux pays.

Thomas Bach, hélas, peine à saisir l’enjeu fondamental. Il n’est pas question ici de « politique », mais plutôt d’une guerre d’agression qui a déjà conduit à des milliers de morts et provoque de nouvelles souffrances quotidiennes.

Une guerre lancée par un dictateur qui a mal mesuré la riposte de ses adversaires. Un dictateur qui croyait que Donald Trump, durant son triste passage à la présidence des États-Unis, avait complètement désolidarisé les pays de l’OTAN en multipliant les reproches à leur endroit tout en célébrant les mérites des leaders autocrates.

L’Ukraine ne demandait qu’à vivre en paix, mais Poutine en a décidé autrement. Heureusement, l’OTAN – sous le leadership du président américain Joe Biden – a serré les coudes. On ignore quand et comment le conflit prendra fin. Mais on sait déjà qu’une de ses conséquences directes est l’entrée dans l’OTAN de la Finlande, qui partage une longue frontière avec la Russie. La Suède devrait bientôt imiter sa voisine. Pour Poutine, il s’agit d’un échec majeur.

Non, ce n’est pas le temps de satisfaire les Russes et les Biélorusses sur le plan sportif. Ce n’est pas le temps d’inventer des règles complexes pour évaluer leur appui – ou non – à la guerre en Ukraine et, à partir de là, décider de leur éventuelle participation. Bien dommage pour ces athlètes, mais quand un pays agresseur affirme qu’il pourrait utiliser l’arme atomique, la possibilité de lutter pour une médaille d’or tombe en arrière-plan.

Bach a déjà réalisé qu’aucune équipe russe ou biélorusse ne pourrait participer aux Jeux olympiques en se maquillant derrière la notion « d’athlètes neutres ». Une équipe olympique est formée de compatriotes et même si on cache le nom du pays derrière une appellation de façade, comme ce fut le cas pour les Russes lors de récents Jeux, impossible de nier la réalité : il s’agirait bel et bien d’une équipe russe ou biélorusse.

L’objectif de Bach est plutôt d’admettre des athlètes en sports individuels au terme d’un processus d’analyse qui ne tient pas la route. Et qui, ironiquement, est en grande partie basé sur leurs croyances politiques : ont-ils ou non montré leur soutien à la guerre ? Curieuse approche de la part d’un homme qui dit vouloir dissocier sport et politique.

Aucune décision définitive n’est encore prise à propos de la présence d’athlètes russes et biélorusses à Paris. Chaque fédération évalue la question en attendant la recommandation finale du CIO.

Je souhaite que Bach choisisse le seul camp honorable, celui du refus de la guerre et de l’imposition de sanctions envers l’envahisseur. Une décision inverse serait une immense compromission qui entacherait à jamais son image et celle de son organisation.