Le Comité olympique canadien (COC) a fait son choix : il sera solidaire des athlètes russes potentiellement privés de participation aux Jeux de Paris 2024 en raison de l’agression de leur pays contre l’Ukraine, plutôt que des athlètes ukrainiens victimes de cette agression. Des athlètes qui vivent – et parfois meurent – sous les bombes lancées par le Kremlin.

À n’en pas douter, il s’agit d’un moment sombre de l’histoire olympique canadienne.

Dans une déclaration au Devoir la semaine dernière, le chef de la direction du COC, David Shoemaker, a expliqué que son organisation était disposée à « explorer un parcours » qui permettrait aux athlètes russes et biélorusses de participer aux Jeux de Paris, à l’été 2024, sous bannière neutre. Le COC se pose ainsi en fidèle laquais du Comité international olympique (CIO), qui vise cet objectif.

Shoemaker a ajouté que « la décision d’exclure des athlètes uniquement sur la base de leur nationalité va à l’encontre des principes qui sont au cœur du Mouvement olympique », une affirmation qui fait évidemment le jeu du président russe, Vladimir Poutine.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef de la direction du Comité olympique canadien, David Shoemaker

Saviez-vous, Monsieur Shoemaker, qu’un jeune athlète a récemment été privé à jamais de compétition sur la base de sa nationalité ? Il s’appelle Volodymyr Androschuk, un champion ukrainien du décathlon mort le mois dernier dans la bataille de Bakhmout.

Il n’est pas le premier athlète ukrainien victime de l’agression russe. Au moins 220 athlètes et entraîneurs ukrainiens ont perdu la vie depuis le début de l’assaut. Sans compter les installations sportives bombardées et les entraînements devenus impossibles, ou presque.

Mais pour le COC, attaquer un pays indépendant, et terroriser sa population civile comme le fait la Russie, n’est pas une atteinte suffisante aux principes « au cœur du Mouvement olympique ». Ce n’est pas suffisant pour envoyer un message clair aux agresseurs en interdisant à leurs athlètes l’accès aux Jeux.

Dans l’espoir de justifier cette absence de sensibilité face au drame humain en Ukraine, le Comité olympique canadien se drape dans la réconfortante notion de « l’athlète neutre ».

En clair, les athlètes russes et biélorusses à Paris ne seraient pas identifiés par leur nationalité et l’hymne de leur pays ne retentirait pas après une conquête de médaille d’or. Pour le COC, il s’agit là d’une ÉNORME sanction envers la Russie, une thèse ridicule dans l’état actuel des choses.

La fiction de « l’athlète neutre » ne cachera pas le fait qu’ils sont russes, comme l’a rappelé cette semaine la maire de Paris, Anne Hidalgo. Elle a plutôt suggéré que les athlètes russes dissidents du régime Poutine s’inscrivent dans la délégation des athlètes réfugiés. « On ne va pas faire défiler un pays qui est en train d’en agresser un autre et faire comme si ça n’existait pas », a-t-elle ajouté.

Cette fiction n’empêchera pas davantage le Kremlin de récupérer le succès de ses athlètes à des fins politiques. Elle donnera plutôt raison au ministère russe des Affaires étrangères qui, dans une déclaration récente, a soutenu que la tentative de restreindre l’accès des athlètes russes au sport international est « vouée à l’échec ».

Le ministre russe des Sports en a ajouté une couche cette semaine, dans un article publié sur le site Insidethegames.biz. Se réjouissant de la position du CIO, il a utilisé presque les mêmes mots que Shoemaker pour exprimer sa position : « Personne ne peut être interdit de compétition en raison de son passeport. Ce serait une violation directe des droits de la personne. »

Voilà qui est très embarrassant pour le COC : son désir d’admettre les Russes à Paris est une excellente nouvelle pour le Kremlin et une droite dévastatrice au visage de l’Ukraine.

* * *

Dans toute affaire, la voix de la raison s’est heureusement fait entendre. Celle de la ministre des Sports du Canada, Pascale St-Onge.

« Les athlètes russes et biélorusses ne devraient pas être autorisés à participer à des compétitions sportives internationales, a-t-elle déclaré à La Presse. Nous continuons de manifester notre solidarité à l’Ukraine, et j’encourage la communauté sportive internationale à faire de même. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Sports du Canada, Pascale St-Onge

Une partie de cette « communauté internationale » envisage de se faire entendre haut et fort. Sous le leadership de la Pologne et des trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), une coalition pourrait se former pour rappeler au CIO la décence.

La semaine dernière, le ministre des Sports de la Pologne a dit avoir bon espoir de créer un regroupement de 30 ou 40 pays qui s’opposeront à la présence des athlètes russes et biélorusses à Paris.

Une réunion des ministres des Sports des pays européens sera tenue pour discuter de cet enjeu. Déjà, le Danemark a donné son appui à la démarche.

Le CIO voit sûrement cette initiative d’un mauvais œil. Et oublie commodément qu’au moins neuf pays ont déjà été exclus des Jeux dans le passé, notamment après les deux guerres mondiales et plus tard en raison de politiques discriminatoires.

* * *

Si le CIO remporte ce bras de fer et que les Russes sont autorisés à participer aux Jeux de Paris, l’Ukraine envisage de les boycotter. Ce serait tout de même incroyable : les Russes seraient aux Jeux, mais pas les Ukrainiens.

Hélas, ceux-ci font face à un défi de taille pour convaincre les autres pays d’appuyer l’exclusion des athlètes russes.

Les États-Unis semblent prêts à vivre avec la fiction de « l’athlète neutre ». La France accueille les Jeux et, peu importe la position de la maire de Paris, se montrera sans doute prudente. L’Allemagne, longtemps hésitante à envoyer des chars d’assaut en Ukraine, hésitera à se mêler de l’affaire. Sans ces « gros » pays, la coalition risque de ne pas être suffisamment forte. Et le Kremlin gagnera.

Le CIO et le COC se réjouiront alors du triomphe de leur pathétique conception des « valeurs olympiques ».

Sources : Reuters, The Washington Post, France-Info, Insidethegames.biz