(Pékin) Il y a de ces tout petits trucs qui reviennent après une médaille d’or, qu’on aurait oubliés autrement.

Comme trois petits « billets pour une médaille d’or », découpés dans du papier de construction jaune et glissés en dessous de la porte de chambre d’hôtel de Valérie Maltais et d’Ivanie Blondin, après leur (autre) deuxième place à la poursuite par équipes, aux Championnats du monde, l’an dernier.

« J’avais ce papier dans ma chambre aux Pays-Bas, et j’ai écrit dessus : ticket pour une médaille d’or, valable jusqu’au 15 février 2022 », nous a dit Isabelle Weidemann après cette course historique, mardi, à l’anneau de patinage de vitesse national de Pékin.

Les trois riaient en se rappelant l’épisode de motivation-bricolage.

Weidemann est celle qui dit toujours : on refait nos devoirs. Il n’était pas question d’être les éternelles deuxièmes.

Elles n’ont pas gaspillé le billet.

Pour Maltais, c’était une deuxième médaille olympique au relais 3000 m. Sauf que l’autre, en argent, date de 2014 et s’est faite en courte piste.

Comme un clin d’œil à l’ancienne vie athlétique de Maltais, la finale de la poursuite par équipes au patinage de vitesse sur longue piste a connu une fin tragique dans le plus pur style courte piste.

Les Japonaises, tellement stylées, filaient vers l’or comme dans un seul corps à trois têtes, avec une faible avance sur les Canadiennes… Mais il a fallu que Nana Takagi décroche à la toute fin, s’effondre dans le dernier coin.

Pendant qu’elle pleurait dans le matelas, l’entraîneur canadien Remmelt Eldering sautait de joie sur la glace tout juste devant.

Les patineuses canadiennes, de l’autre côté, n’avaient pas encore bien compris ce qui s’était passé. Sauf un truc : elles venaient de battre le record olympique et de gagner l’or.

Miho Takagi, la plus jeune des deux sœurs championnes du trio vainqueur aux Jeux olympiques à PyeongChang, est allée voir Nana. Il n’y avait rien à dire. Juste tendre les bras.

« Je ne pouvais pas trouver les mots, je voulais juste rester près d’elle, la serrer un peu », a-t-elle expliqué plus tard en conférence de presse.

Nana, elle, semblait se confondre en excuses pour le Japon tout entier.

Pendant que les Japonaises séchaient leurs pleurs, les Canadiennes jubilaient. Elles ont tellement bûché depuis quatre ans, sans jamais arriver au sommet lors des grands rendez-vous.

« Ça fait quatre ans qu’on court après les Japonaises, elles ont une telle synchronicité, une telle allure… Elles ont mené la poursuite à un niveau supérieur, nous a dit Weidemann en zone mixte. Heureusement qu’on a terminé deuxièmes aux derniers Championnats du monde ; au fond, ça nous a poussées encore plus pour ce soir ! »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Valérie Maltais, Isabelle Weidemann et Ivanie Blondin

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La question de tous les journalistes : auriez-vous gagné si Nana Takagi n’était pas tombée ?

À cela, les athlètes répondent oui, car elles avaient l’impression d’être passées devant dans le dernier demi-tour. Et c’est vrai que le trio canadien, spécialiste des fins de course fortes, grugeait les dixièmes de seconde depuis quelques tours. Mais à un tour de la fin, elles avaient 0,39 seconde de retard ; et à 200 m de l’arrivée, les Japonaises avaient encore 0,32 seconde de coussin. Il est loin d’être certain qu’elles auraient pu y parvenir à ce rythme.

Mais c’est sans doute mal poser la question, comme a expliqué l’entraîneur Eldering, après la course. Dans une poursuite, le temps de la dernière du trio est le chrono de l’équipe. Et c’est justement à la fin que ça craque. Le simple fait de mettre de la pression sur l’autre équipe dans cette course d’endurance peut causer ce genre d’incident. Le corps faiblit, est déstabilisé, attaqué, ne peut plus tenir.

« Est-ce que les Canadiennes auraient gagné sans la chute ? J’ai le goût de dire oui », a dit l’entraîneur néerlandais de l’équipe canadienne.

(Tout le monde a son entraîneur néerlandais, évidemment. Celui du Japon s’appelle Johan de Wit.)

« Il manquait trois dixièmes dans les derniers 200 m, mais elles ont mis tellement de pression sur les Japonaises, et dans la poursuite, tu perds un peu de vitesse, et c’est foutu. De toute manière, peu importe : elles ont gagné. »

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Dans ce trio disparate, la Québécoise est le liant. « Je suis celle qui va voir les autres pour savoir comment elles se sentent ; Izzy [Weidemann] est plus réservée, Ivanie, je la connais depuis toujours, on a fait de la courte piste ensemble, c’est la plus émotive, celle qui réagit le plus sur le moment », expliquait Maltais, tout sourire.

Les trois reviennent de loin à leur manière. Weidemann a dû revoir complètement sa façon de s’entraîner, pour ne pas dire sa vie.

« Jeune, plus tu travailles, plus tu vas vite, tu découvres ça et tu penses que tu as trouvé la recette. Mais plus tard, au niveau où on est, ça ne marche plus. Plus, ce n’est pas mieux, c’est juste s’approcher du burn-out, et tu ne peux pas continuer. J’ai dû changer mon état d’esprit, et ça m’a rendue seulement plus heureuse. »

Maltais, elle, avait quitté l’équipe de courte piste, mais voulait demeurer une athlète. Elle avait 27 ans, en 2018, quand elle a essayé la longue piste à l’anneau de Calgary. Elle n’en est jamais partie. « Je ne suis pas partie du courte piste amère, je suis restée proche de l’équipe, mais j’avais fait ce que j’avais à faire. »

Pour Blondin, les Jeux de 2018 n’avaient pas donné les résultats voulus.

Disons donc que ce n’était pas du tout gagné d’avance, cette médaille d’or.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Valérie Maltais, Isabelle Weidemann et Ivanie Blondin sur le podium

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Weidemann, la leader de l’équipe, devient la seule Canadienne à obtenir l’or, l’argent (5000 m) et le bronze (3000 m) dans les mêmes Jeux.

Et Maltais est maintenant l’une des trois patineuses au monde à avoir obtenu une médaille en courte et en longue piste.

Dans ce trio, Maltais, la plus puissante en explosion, partait devant. Ivanie Blondin, spécialiste du demi-fond, suivait, et Weidemann, géante de 1,87 m, la plus endurante des trois, finissait le travail en coupant le vent pour tout le monde. C’est elle qui fait entrer le train en gare. Et à plus de 50 km/h, prendre la résistance de l’air pour le groupe n’est pas un détail.

Depuis que cette épreuve olympique à trois contre trois existe, en 2006 à Turin, on a toujours pensé que la meilleure recette était de se relayer le plus possible pour répartir le travail.

Mais l’entraîneur Eldering a profité de la pandémie pour tester une nouvelle théorie avec les athlètes canadiennes. Dans la multiplication des relais, ce qu’on gagne en repos en répartissant la charge aérodynamique, on le perd un peu en déplacement. Jusqu’à quel point ?

« Chaque relais fait perdre 0,2 seconde ; j’ai essayé de leur faire faire seulement deux changements. Valérie commence pour 600 m, Ivanie continue pour 600 m, et Isabelle fait le reste. On a eu tellement de succès que tout le monde nous imite maintenant. Les Norvégiens [en or pour la deuxième fois de suite] gardent le même patineur devant tout au long ! »

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Avant de se rendre en finale, les Canadiennes avaient dû battre les Néerlandaises, parmi lesquelles la patineuse la plus titrée de l’histoire olympique, Ireen Wüst (13 médailles), seule athlète à avoir remporté l’or dans cinq Jeux.

« J’ai dit aux filles : il y a une seule course aujourd’hui, c’est la demi-finale contre les Néerlandaises, a dit l’entraîneur. Après, on verra ! »

Bien vu. Bien joué. Bien gagné.

Le ticket en papier était échangeable contre du métal jaune bien sonnant.