(Pékin) Un retard d’une heure. Des rumeurs de forfait. Des joueuses masquées. Des explications alambiquées. La partie de hockey entre les Canadiennes et les Russes, lundi à Pékin, fut à l’image de ces Jeux.

Opaque.

Bizarre.

Surréaliste.

Que s’est-il passé, exactement ? Des intrigues dignes de Lance et compte, soutenues par des explications aussi tortueuses que celles d’un enfant de 5 ans qui tient une balle de baseball à côté d’une fenêtre brisée. Allons-y avec les faits.

Tôt lundi matin, comme chaque jour depuis leur arrivée à Pékin, les hockeyeuses ont subi un test de dépistage de la COVID-19. D’habitude, les résultats sont connus rapidement. En moins de trois heures. Sauf que cette fois-ci, il y a eu du retard. Au moment d’amorcer la partie, à midi, les Russes attendaient toujours.

Les Canadiennes n’ont pas voulu prendre de risque. De peur de tomber malades ? Pas tant. Plutôt de peur d’être contaminées, exclues du tournoi et transportées dans un centre d’isolement supervisé par le gouvernement chinois. Une expérience qui, vous le devinerez, est moins agréable qu’une semaine dans un tout-inclus aux îles Turquoises.

Les Canadiennes étaient d’autant plus préoccupées que les Russes sont toujours aux prises avec une éclosion. La semaine dernière, six de leurs joueuses ont été placées sur le protocole de la COVID-19. Lundi, trois joueuses étaient rayées de leur alignement, dont Olga Sosina, qu’on sait infectée par le virus.

« Nous voulions juste nous assurer qu’elles reçoivent leurs résultats, et que nous puissions jouer en toute sécurité », a indiqué l’attaquante canadienne Natalie Spooner.

Après l’échauffement, les Canadiennes sont donc restées dans le vestiaire. D’abord, 5 minutes. Puis 10. Puis 20. Les Russes, elles, les attendaient sur la patinoire. Dans les gradins, journalistes, descripteurs, bénévoles et spectateurs – tous privés d’explications – tentaient de comprendre le vaudeville qui se déployait sous leurs yeux.

À 12 h 40, l’arbitre a transmis un message aux Russes. À leur tour, elles sont sorties. Selon une joueuse russe interviewée après la rencontre, à un certain moment, il a été question de reporter la partie. Une information que personne, à Hockey Canada ou à la Fédération internationale, n’a voulu confirmer.

À 13 h 15, les joueuses ont finalement sauté sur la glace – masquées. Une mesure inédite, introuvable dans les protocoles du Comité international olympique, à laquelle les deux formations ont consenti pour dénouer l’impasse. Du jamais-vu, pour un match à ce niveau.

Quoique les Canadiennes, après une éclosion importante en décembre, s’étaient déjà entraînées avec des masques, a raconté Marie-Philip Poulin.

« Après Noël, on avait quelques cas dans l’équipe. Pour être sûres que tout était sain, on a pratiqué pendant une semaine avec un masque. Oui, c’est différent. Oui, on est habituées. Mais aux Olympiques, ça change les choses. »

« Nous étions prêtes à embarquer sur la glace et à amorcer la partie. Notre DG, Gina [Kingsbury], est entrée dans le vestiaire et nous a expliqué la situation. Il fallait prendre des précautions. Ça a pris 45 minutes, une heure pour prendre la décision. Éventuellement, [les deux équipes] sont venues ensemble pour jouer le match. »

***

Les Canadiennes ont amorcé la partie avec aplomb. Elles ont marqué deux buts dans les trois premières minutes de jeu. Puis nous avons noté des modifications dans les trios annoncés par Équipe Canada. Quelque chose ne fonctionnait pas.

Il manquait une joueuse.

La numéro 26, Emily Clark.

Son nom figurait bel et bien sur la feuille de match. Sauf que la partenaire de trio de Marie-Philip Poulin ne se trouvait ni sur la glace ni sur le banc. Et elle n’avait effectué aucune présence dans les premières minutes.

Pourquoi ?

Hockey Canada n’a pas fourni d’explication immédiate. Ce n’est qu’après la partie que nous avons appris que le résultat de son test matinal n’avait pas été concluant. « Pour des raisons de santé et de sécurité, nous l’avons rayée de l’alignement, a expliqué l’entraîneur-chef, Troy Ryan. Je ne pense pas que c’était obligatoire. »

Théoriquement, oui. Une athlète aux prises avec un test non concluant doit subir un nouveau test PCR. Entre-temps, si elle est symptomatique, elle doit aller à l’hôpital. Si elle est asymptomatique, elle doit être isolée du reste du groupe.

Des journalistes ont alors eu un doute. Et si la décision d’imposer le masque était liée au résultat du test d’Emily Clark…

PHOTO DAVID CERNY, ARCHIVES REUTERS

Emily Clark, mercredi dernier, avant le début du tournoi olympique

Troy Ryan a contesté cette thèse sur-le-champ. « La situation d’Emily Clark est survenue après notre décision de retarder le match et notre décision de porter des masques », a-t-il affirmé. Or, Clark a été retirée par Équipe Canada pendant la séance d’échauffement. Personne, sur la patinoire, ne portait alors de masque. Pressé de questions, Troy Ryan n’a jamais voulu spécifier la raison exacte pour laquelle ses joueuses ont porté le masque. Ni pourquoi elles l’ont conservé, en troisième période, après la réception des résultats négatifs des Russes, qui ont retiré leurs N95, elles.

Pendant le point de presse de Troy Ryan, la directrice des opérations hockey d’Équipe Canada, Gina Kingsbury, se tenait à quelques mètres derrière lui. Nous lui avons demandé de venir nous rejoindre pour clarifier la situation.

Elle s’est sauvée par la porte d’en arrière.

***

Ce match Canada-Russie nous a donné un aperçu des défis posés par le variant Omicron à ces Jeux. Pour les organisateurs, c’est un ennemi invisible. Pour les athlètes, c’est un adversaire redoutable. Le plus craint d’entre tous. Celui qui peut mettre fin à votre rêve olympique, mais aussi à celui de vos coéquipiers.

Samedi, en courte piste, une patineuse polonaise a appris son exclusion 45 minutes avant sa course. Elle s’est effondrée en larmes, inconsolable. Dimanche, une équipe australienne de curling a subi le même sort – avant d’être réintégrée in extremis, quelques heures plus tard.

Pour le moment, les cas positifs dans l’environnement protégé sont l’exception. Tant mieux. Souhaitons vivement que la bulle continue de résister à Omicron. Sinon, les intrigues comme celle de lundi voleront la vedette aux performances.

D’ailleurs, j’avais oublié de vous transmettre le pointage final.

Canada 6, Russie 1.

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