(Pékin) En temps normal, une Chinoise terminant 43e dans une épreuve de ski de fond passerait inaperçue.

Mais ce ne sont pas des Jeux ordinaires, et Dinigeer Yilamujiang, 20 ans, a atteint la célébrité internationale à Pékin en allumant la vasque olympique.

Car à part être jeune et avoir des résultats prometteurs (sur de courtes distances), Yilamujiang a une autre caractéristique : elle est née en Altaï, dans le Xinjiang, là où la Chine touche à la Russie, la Mongolie et le Kazakhstan.

Eh oui, elle est d’ethnie ouïghoure.

Au moment où le monde dénonce la persécution de cette ethnie par le gouvernement chinois, ce n’était évidemment pas innocent. Aux gouvernements qui ont boycotté ou boudé la cérémonie, un doigt d’honneur. Aux Chinois, une démonstration d’inclusion multiethnique.

Il suffit de suivre des journalistes des médias officiels chinois au cas où il y aurait un doute sur les messages du régime.

« Vas-y, ma fille ! Cette fille #Ouïghour est aussi l’allumeuse de la vasque de Pékin 2022 […]. Tellement fière », a écrit sur Twitter la journaliste du Global Times News Chen Qingqing, en publiant une photo de l’athlète en action samedi.

Bref, les Ouïghours, on les traite bien…

On ne manquera pas de noter, en lisant ses notes biographiques officielles, au chapitre « langues parlées », la seule mention « mandarin ».

Or, les Ouïghours sont turcophones et majoritairement musulmans. Et un des objectifs de la campagne de répression chinoise est précisément de leur faire abandonner langue maternelle et leur religion.

Entendons-nous bien : Dinigeer Yilamujiang est une vraie athlète débutante de niveau international.

Elle n’en a pas moins été l’instrument d’une mise en scène de propagande cynique de calibre, disons, olympique.

Réaction du CIO ? C’était « charmant », a dit le porte-parole.

* * *

Que sait-on vraiment de la situation des Ouïghours ?

Le 9 décembre, à Londres, un « Tribunal ouïghour » a conclu que le gouvernement chinois avait commis des actes de torture, de crimes contre l’humanité et même de génocide à l’endroit de cette minorité.

Ce « tribunal » n’a aucune valeur juridique, mais il était composé de plusieurs juristes réputés, qui ont entendu des témoins, des experts, analysé des rapports, administré une preuve documentaire – vidéos de camps, images satellites, etc.

L’avocat britannique réputé Geoffrey Nice présidait cette commission d’enquête bénévole. Ce n’est pas le premier venu. J’ai eu l’occasion de le voir à La Haye comme procureur du Tribunal international sur l’ex-Yougoslavie, au procès de Slobodan Milošević.

Généralement, quand on parle de génocide (littéralement : « tuer un peuple »), on réfère à des tueries de masse envers un groupe ethnique ou religieux. On pense à la Shoah perpétrée par l’Allemagne nazie.

Il ne s’agit pas de ça dans le cas des Ouïghours. Certains ont perdu la vie en détention, soit après de mauvais traitements, de la négligence, l’absence de traitements. Mais il n’y a pas de preuve de tueries de cette minorité, et pour Amnistie internationale, qui n’en dénonce pas moins la répression, le terme n’est pas approprié.

Ce que fait le gouvernement chinois, c’est une campagne d’assimilation forcée et violente. Le but n’est pas de faire disparaître physiquement les individus, mais de les « rééduquer », pour leur faire abandonner leur langue, leur religion, et les assimiler à l’ethnie dominante chinoise – les Han. Tuer l’Ouïghour en eux, en somme…

Comment ? En interdisant l’usage de la langue ; en exerçant une surveillance extrême, soit au moyen de systèmes de reconnaissance faciale, soit en imposant un « ami de la famille » dans les maisons ; en ordonnant des avortements ; en pratiquant des stérilisations forcées ; en détenant des leaders religieux, politiques, d’affaires, dont certains ont été torturés ; en faisant adopter des enfants par des familles han ; en déplaçant des individus.

Selon les médias officiels chinois eux-mêmes, des centaines de milliers sont internés dans des camps de travail forcé – 611 500 dans le seul district d’Hotan.

Des images satellites révèlent la présence de centaines d’installations de camps de travail. Elles révèlent aussi la destruction de 65 % des mosquées de la province.

Les familles des exilés qui témoignent de tout ça aux journalistes ou autrement sont tourmentées, menacées, emprisonnées.

L’ensemble de ces pratiques constituent des crimes contre l’humanité. Et si aux yeux du tribunal il s’agit aussi d’un « génocide » au sens de la Convention de 1948 sur le sujet, c’est par les stratégies de stérilisation.

Que répond le gouvernement chinois ? Que c’est de la propagande antichinoise et « le mensonge du siècle ». Tous les membres de ce tribunal bénévole sont maintenant interdits de séjour en Chine – l’avocat Geoffrey Nice note d’ailleurs que les grands bureaux londoniens, dont plusieurs font des affaires en Chine, n’ont pas voulu dire un mot à ce sujet.

En toile de fond de la répression et de la « rééducation » intense, il y a un mouvement autonomiste qui a fait connaître à la Chine une série d’attentats terroristes ouïghours il y a une dizaine d’années, dans le Xinjiang et ailleurs – même place Tiananmen, où une voiture piégée pleine d’explosifs a tenté de se faire exploser sous le portrait de Mao. Le gouvernement les a attribués à des séparatistes ouïghours – la région « autonome » ayant été annexée, puis séparée, puis annexée à nouveau depuis 150 ans. Et depuis cinq ans, le rouleau compresseur communiste est en marche.

Si vraiment c’est le mensonge du siècle, on peut se demander pourquoi les reportages y sont maintenant impraticables.

Pourquoi, surtout, on n’autorise pas une inspection internationale indépendante.

Ce serait plus convaincant que la mise en scène politique de la fondeuse Yilamujiang, à qui on souhaite bonne chance néanmoins.