Les fins de règne sont rarement plaisantes. Le chef perd son influence. Ses collaborateurs fuient. Les langues se délient. Tout le monde spécule sur les candidats à la succession. Vient un point où le processus est irréversible, et le chef est détrôné.

Ainsi furent les dernières heures de Marc Bergevin avec le Canadien de Montréal. Isolé du club en raison de la COVID, il a appris dans les médias que son patron rencontrait des prétendants à son poste, a révélé Louis Jean, de TVA Sports.

Une situation gênante.

Et injuste.

Oui, le Canadien traverse une saison misérable. Oui, le club a besoin d’un nouveau leadership. Oui, le divorce était inévitable. Il reste que pendant neuf ans et demi, Marc Bergevin a consacré sa vie au Tricolore. Il a géré le club dans un environnement difficile, l’émergence des réseaux sociaux, qui en a fait le DG le plus exposé à la critique de l’histoire du club. « Je ne vous apprendrai rien en disant que ce parcours n’a pas été un long fleuve tranquille, et que par moments, on aurait cru être dans un bon épisode de télésérie », a-t-il écrit dimanche.

Marc Bergevin avait ses torts. Ne vous inquiétez pas, j’y arrive. Mais il méritait quand même une sortie de scène plus honorable que celle qui lui a été imposée ce week-end.

Marc Bergevin était un évaluateur de talent hors pair. Pendant son séjour à la tête du Canadien, il a acquis Phillip Danault, Jeff Petry, Paul Byron, Joel Armia, Joel Edmundson et Brett Kulak pour trois fois rien. Ses embauches de Tyler Toffoli, Ben Chiarot et Corey Perry, à faible coût sur le marché des joueurs autonomes, ont permis au Tricolore d’atteindre la finale de la Coupe Stanley. Il a aussi obtenu de bons retours pour Max Pacioretty et P. K. Subban.

A-t-il perdu l’échange Mikhail Sergachev-Jonathan Drouin ? A-t-il mal prévu la succession d’Andreï Markov ? Probablement. Mais personne ne frappe des circuits à tous les coups. L’important, c’est la moyenne. Celle de Bergevin était très bonne.

C’était quoi le problème, alors ? Le recrutement et son frère jumeau, le développement. Le bilan des dix derniers repêchages du Canadien est désastreux. J’ai déjà abondamment chroniqué sur le sujet. La dernière fois, c’était au début du mois. Vous trouverez le lien ci-dessous.

Lisez « Le problème, ce n’est pas Dominique Ducharme »

Bien sûr, Marc Bergevin ne passe pas son hiver dans les arénas de Moose Jaw et de Pardubice. Il y a des limites à lui imputer toutes les erreurs de recrutement. Par contre, il a maintenu en poste trop longtemps son recruteur en chef, Trevor Timmins, congédié dimanche lui aussi. Sa loyauté lui aura été fatale.

Pendant des années, Bergevin a masqué les mauvaises décisions de Timmins grâce à des transactions judicieuses. Sauf que le rafistolage ne peut pas devenir une stratégie d’entreprise. À long terme, c’est voué à l’échec. Le Canadien vient de frapper le mur. Oui, des jeunes ont rejoint la formation pour remplacer des vétérans partis ou blessés. Onze joueurs de 25 ans ou moins ont porté l’uniforme bleu-blanc-rouge cet automne. C’est beaucoup.

La quantité est là.

La qualité ? Pas vraiment.

Le DG est parti. Le DG adjoint est parti. Le recruteur en chef est parti. La maison est rasée, il faut la reconstruire.

La question que doit se poser Geoff Molson, c’est comment reconstruire. Selon les plans d’origine, ou sur un nouveau modèle ?

Dans la première option, le Canadien embaucherait un DG spécialisé dans l’évaluation de talent. Ce qu’était Marc Bergevin. Ce qu’était, avant lui, Pierre Gauthier. Et avant, avant lui, André Savard. Idéalement, ce candidat serait issu du recrutement. Comme l’ex-DG des Rangers de New York, Jeff Gorton, justement embauché par le Canadien comme vice-président exécutif, opérations hockey, « pour assurer la continuité des opérations quotidiennes du secteur hockey » pendant le processus d’embauche du futur DG. On devrait connaître la nature exacte de son rôle par rapport au futur DG lundi. Gorton a trouvé son lot de pépites dans les repêchages et les transactions. De plus, il a vécu le début de la reconstruction des Rangers. Un atout, le Canadien étant empêtré malgré lui dans un virage jeunesse qui ne se passe pas très bien.

Dans l’autre option, Geoff Molson embaucherait plutôt une personne ayant des connaissances en hockey, évidemment, mais aussi en gestion des entreprises. Un visionnaire. C’est le modèle privilégié au baseball, où seulement un des 30 directeurs généraux est un ancien joueur des ligues majeures.

Je préfère la deuxième option. J’espère fortement que c’est ce que Geoff Molson avait en tête, lorsqu’il a déclaré dans son communiqué de dimanche : « Le moment est venu de procéder à un changement de leadership dans notre département hockey, qui sera porteur d’une nouvelle vision. »

La personne qui succédera à Marc Bergevin devra être douée. Rassembleuse. Positive. Bien au fait des dernières avancées scientifiques, notamment en psychologie. Elle devra définir l’identité de l’équipe sur la glace. Pas juste pour l’année prochaine. Ni la suivante. Pour la prochaine génération. Comme les dirigeants des Cardinals de St. Louis l’ont fait, en 2011, en accouchant d’un guide de travail de 117 pages, The Cardinal Way.

Comme Theo Epstein, qui n’est pas un ancien joueur, l’a fait à Chicago, avec The Cubs Way. Comme Pep Guardiola, un ancien joueur lui, l’a fait comme entraîneur-chef à Barcelone, Munich et Manchester.

Qui est le joueur type du Canadien ? Quelles sont ses valeurs ? Comment repérer ces valeurs chez les espoirs dans le junior ? Quelle place accorder à la science ? Dans le recrutement, dans les négociations, dans le cadre d’un match ? Qu’est-ce qui distingue le Canadien des autres équipes sur la patinoire ? Comment favoriser le travail entre les recruteurs et les développeurs ? Comment installer une culture d’entreprise positive au sein des opérations hockey, dans un contexte qui s’annonce difficile pour les cinq prochaines années ?

Oui, le Canadien a besoin de bons évaluateurs de talent.

Mais empêtré comme il l’est, le Tricolore a surtout besoin d’un DG visionnaire.

À Geoff Molson, maintenant, de trouver son Theo Epstein.