Il est de bon ton, sur les réseaux sociaux, d’exiger le congédiement de Dominique Ducharme pour l’atroce début de saison du Canadien.

L’entraîneur-chef du Canadien n’est pas parfait. Il a sa part de responsabilité dans les déboires de l’équipe. Notamment en raison des insuccès en supériorité numérique, une phase de jeu où il est possible d’organiser des schémas, le club étant assuré de posséder la rondelle.

Mais peut-on le blâmer pour les carences de talent dans l’équipe ? Pour les trop nombreuses erreurs d’exécution ? Non. Ce n’est pas lui qui dirige les patins d’Alexander Romanov. Qui prend les mises en jeu à la place de Nick Suzuki ou de Cédric Paquette. Mérite-t-il d’être plumé et goudronné si un de ses deux centres de confiance a terminé le match de jeudi avec un différentiel de - 5 ?

La formation déployée cette semaine était l’une des plus faibles du club depuis 25 ans. Le tiers des joueurs seraient davantage à leur place dans un circuit inférieur. C’est d’ailleurs où ils se trouvaient le printemps dernier.

Nombre de matchs dans la LNH la saison dernière

  • Adam Brooks : 11
  • Sami Niku : 6
  • Alex Belzile : 2
  • Samuel Montembeault : 0
  • Michael Pezzetta : 0
  • Chris Wideman : 0

Alexander Romanov, qui a été retranché pour 18 des 22 parties du Canadien en séries, n’est pas prêt pour un poste de titulaire dans la LNH. Les renforts embauchés pour pallier la perte de Shea Weber et de Phillip Danault en arrachent terriblement en défense. David Savard mène la ligue pour les buts accordés en infériorité numérique, et Christian Dvorak affiche un différentiel de - 10, le pire de la formation.

Un chirurgien pourrait probablement vous opérer avec des ciseaux à volaille. Mais il serait possible qu’il y ait quelques complications…

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Ducharme a connu du succès dans le junior majeur. Avec Équipe Canada Junior. Avec le Canadien, aussi, qu’il a mené à la finale de la Coupe Stanley dès sa première saison à la barre de l’équipe. Sauf que comme tous les entraîneurs-chefs du monde, tous sports confondus, il reste à la remorque du talent de ses joueurs.

D’excellents coachs ont connu des années pitoyables avec des formations lamentables. Je couvrais le Canadien, en 2001, lorsqu’Alain Vigneault était en poste. Croyez-moi, c’était pénible. Cet hiver-là, le Tricolore avait utilisé 15 défenseurs. Un seul, Patrice Brisebois, avait réussi plus de 25 points. En attaque, seul Brian Savage avait marqué plus de 20 buts. Était-ce en raison de l’incompétence de Vigneault ? Bien sûr que non. Dans les années suivantes, il a eu la chance de diriger de meilleures formations. Soudainement, il s’est mis à gagner. Souvent. Très souvent. Tellement qu’il s’est rendu deux fois en finale de la Coupe Stanley, et qu’il occupe aujourd’hui le huitième rang des entraîneurs les plus victorieux de l’histoire de la LNH.

Un autre cas ? Celui de l’entraîneur-chef des adversaires du Canadien jeudi soir, Barry Trotz. Une légende. Deux fois élu entraîneur de l’année. Saviez-vous que lors de ses cinq premières saisons dans la LNH, ses équipes n’ont jamais joué pour ,500 ? Parce qu’il n’était pas bon ? Non. Parce qu’il dirigeait les Predators de Nashville, qui étaient alors une équipe d’expansion au talent limité.

Un petit dernier ? Alger Arbour. Quatre fois gagnant de la Coupe Stanley à la tête des Islanders de New York. En 1991, son club n’a gagné que 25 parties. Là encore, ce n’est pas parce qu’Arbour était devenu mauvais du jour au lendemain. Allez plutôt jeter un coup d’œil à sa formation. Il pouvait compter sur Pat LaFontaine… et c’est à peu près tout.

Certains observateurs sont convaincus qu’un entraîneur-chef n’a pas d’impact sur les résultats de son équipe. Je ne suis pas de cette école. La preuve : un patron toxique peut mener son club au naufrage.

Ducharme contrôle ses trios. Ses paires de défenseurs. Son gardien. Leur temps de jeu. Le déploiement en supériorité numérique. Les confrontations sur la patinoire. Il est aussi responsable, en partie, de la motivation des joueurs et de la formation des leaders dans le vestiaire.

Beaucoup de partisans souhaitent qu’il soit plus dur envers ses joueurs. Qu’il préfère le bâton à la carotte. Son discours passif, après la cuisante défaite de jeudi, n’a pas fait l’unanimité. D’accord. Mais qu’aurait-il gagné à encore détruire ses joueurs ? Comme il l’a si bien expliqué samedi dernier : « Je ne peux pas les ramasser aux deux jours. »

C’est vrai. Il y a des limites à planter publiquement des joueurs qui occupent la mauvaise chaise. Ou qui sont limités par rapport à leurs adversaires. La bonne question à poser, c’est plutôt : pourquoi ces joueurs ont-ils tant de responsabilités ?

La réponse est simple : Ducharme n’a pas d’autres options.

Car le pipeline ne fournit pas assez d’espoirs de qualité.

De 2011 à 2020, le Canadien a repêché 76 joueurs. Seulement 9 ont disputé un match dans la LNH cette saison. Le seul qui a un impact offensif significatif avec son équipe cette saison, c’est Mikhail Sergachev.

Production cette saison des joueurs repêchés par le Canadien (2011-2020)

  • Mikhail Sergachev, Lightning : 2-4-6
  • Jesperi Kotkaniemi, Hurricanes : 2-1-3
  • Victor Mete, Sénateurs : 0-3-3
  • Alexander Romanov, Canadien : 1-1-2
  • Jake Evans, Canadien : 1-0-1
  • Nathan Beaulieu, Jets : 0-1-1
  • Cole Caufield, Canadien : 0-1-1
  • Artturi Lehkonen, Canadien : 0-1-1
  • Michael Pezzetta, Canadien : 0-0-0

Au total, l’ensemble des joueurs repêchés par le Canadien de 2011 à 2020 n’ont compté que six buts cette saison. Six ! C’est franchement insuffisant. J’ai fait le même exercice avec toutes les autres organisations de la LNH. J’ai laissé de côté les Golden Knights de Vegas et le Kraken de Seattle, qui n’ont pas pris part aux 10 séances.

Devinez où se classe le Canadien avec ses six buts…

Dernier.

Avec trois fois moins de buts que la moyenne des autres clubs (18 buts).

Nombre de buts marqués cette saison par les joueurs repêchés (2011-2020)

  • 1. Hurricanes de la Caroline : 43
  • 2. Sharks de San Jose : 28
  • 3. Ducks d’Anaheim : 27
  • 3. Blue Jackets de Columbus : 27
    […]
  • 28. Predators de Nashville : 9
  • 29. Penguins de Pittsburgh : 8
  • 30. Canadien de Montréal : 6

Le vrai problème du Tricolore, il est là. Dans son incapacité à trouver et à former des espoirs de qualité en quantité suffisante pour donner de meilleures options aux entraîneurs.

Le coupable, ce n’est pas Dominique Ducharme.

Les coupables, ce sont les responsables du recrutement.