Les inscriptions chutent. Les infrastructures vieillissent. Les entraîneurs et les arbitres sont en nombre insuffisant. D’où le grand projet annoncé jeudi par François Legault : relancer le hockey québécois.

J’entends les critiques. Un premier ministre n’a pas à se préoccuper de l’avenir du hockey. Encore moins de la vie dans nos arénas. Je ne suis pas de cette école. Au contraire. Tant mieux si le sport amateur a enfin trouvé un porteur de ballon influent. Tant mieux si le gouvernement cherche à améliorer l’encadrement des jeunes hockeyeurs. Et tant mieux si le gouvernement fait preuve d’une ouverture pour moderniser les infrastructures. Il y a quand même une limite au nombre de barres de chocolat que nos enfants peuvent vendre pour financer de nouveaux vestiaires ou un nouvel aréna…

Dans la foulée, François Legault a énoncé un autre souhait : voir plus de hockeyeurs québécois dans la Ligue nationale de hockey. Bon, ici, son jupon de partisan dépasse peut-être un peu. OK, beaucoup. Le gouvernement ne peut quand même pas convaincre les Canucks de Vancouver ou les Blues de St. Louis d’embaucher plus de joueurs québécois. Ni de déployer plus de recruteurs ici.

Alors, mission impossible ?

Non. Car il existe bel et bien une façon d’augmenter la représentation québécoise dans la LNH.

Comment ?

En initiant plus de jeunes au hockey. C’est mathématique : vous trouverez plus de pépites d’or dans un bassin de 200 000 joueurs que dans un bassin de 80 000 joueurs. Sans surprise, les États les mieux représentés dans la LNH sont aussi ceux qui comptent le plus de membres fédérés.

JOUEURS FÉDÉRÉS EN 2020
Entre parenthèses, le nombre de joueurs ayant disputé un match dans la LNH cette saison

États-Unis 561 000 (224)
Ontario 213 000 (169)
République tchèque 129 000 (28)
Russie 100 000 (47)
Québec 87 000 (51)
Alberta 78 000 (47)
Suède 73 000 (83)
Finlande 71 000 (47)
Colombie-Britannique 58 000 (37)
Saskatchewan 35 000 (23)
Suisse 30 000 (10)
Manitoba 29 000 (28)
Allemagne 21 000 (6)
France 21 000 (3)

Sources : Fédération internationale de hockey, Hockey Canada et QuantHockey

Maintenant, comment faire pour augmenter le nombre de joueurs dans la province ?

Il faut rendre le hockey plus accessible – et plus amusant.

L’accessibilité

Dans plusieurs régions du Québec, surtout en milieu urbain, il manque d’arénas. C’est pourquoi les entraînements sont programmés à des heures impossibles. Comme 6 h 30 le dimanche matin. Ou 16 h 30 un jour de semaine. Pour beaucoup de parents, c’est un gros non. Leurs enfants ne joueront jamais au hockey.

Ce n’est pas le seul impact négatif de la pénurie d’arénas. Comme la demande est élevée et l’offre, limitée, la location d’une glace coûte cher. Très cher. Ça explique les coûts d’inscription élevés.

Au niveau récréatif, une saison coûte quelques centaines de dollars – sans l’équipement. Dans les niveaux compétitifs, la facture peut atteindre quelques milliers de dollars, s’il faut embaucher un entraîneur. Dans le AAA ? Appelez votre banquier et demandez-lui un nouveau chéquier. J’ai vu des équipes exiger 6500 $. Je n’ose même pas imaginer la facture pour un jeune en pension qui évolue dans une équipe en région éloignée. Rendu là, le hockey est un sport de riches.

Dans une lettre publiée l’hiver dernier dans La Presse, le défenseur Samuel Girard, de l’Avalanche du Colorado, a illustré le problème en racontant sa propre histoire.

« Il est arrivé un moment où ma famille ne pouvait plus se permettre le hockey organisé pour moi et mon frère Jérémy. Nous jouions tous les deux au hockey midget AAA, ce qui est très coûteux. Il s’agit d’un engagement financier important et d’un obstacle majeur pour de nombreuses familles au Québec. Mon frère Jérémy a généreusement offert de cesser de jouer pour que je puisse continuer à poursuivre mon rêve de jouer au hockey. »

Lisez la lettre de Samuel Girard

Remarquez la liste des pays émergents au hockey. Le Danemark. L’Allemagne. La Suisse. La France. Tous des pays riches. Ce n’est pas un hasard. Pour former un joueur d’élite, lui offrir des cours privés, des heures de glace supplémentaires, il faut avoir les poches profondes. Même chose pour les fédérations. Celles qui réussissent mieux que les autres financent la recherche et le développement. Si le Québec veut rester dans le peloton de tête, ça va prendre des sous. Il faudra réduire les freins à l’inscription. Stimuler la participation. Construire de nouveaux arénas. C’est ici que l’intervention du gouvernement peut changer la donne.

Le plaisir

Près du quart des hockeyeurs québécois cessent de jouer au niveau bantam. Donc à 13 ou 14 ans. Ç’a été le cas du fils de la ministre responsable des Sports, Isabelle Charest.

« Il avait perdu le plaisir de jouer, m’a-t-elle raconté. Il était très grand. Très bâti. Il se faisait tout le temps défier. […] Des parents voulaient se battre avec. Il n’avait plus de fun du tout, du tout. »

C’est aussi l’âge où les ados découvrent qu’ils sont capables de lancer un ballon dans un panier de basket. De smasher au volleyball. De réussir un service au tennis. Les nouvelles possibilités sont nombreuses, et amusantes. Ça pose un défi aux associations de hockey : comment retenir les jeunes à l’aréna ?

En s’assurant qu’ils ont du plaisir. Oui, c’est gnangnan. Mais c’est la réalité.

Vous souvenez-vous du tableau en début de chronique ? Celui avec la liste des pays ? Notez que la Suède fait très bonne figure. Eh bien, c’est entre autres parce que là-bas, on accorde beaucoup d’importance au plaisir de jouer. La fédération suédoise de hockey vient d’ailleurs tout juste de mener une étude avec une professeure de l’Université George Washington, Amanda Visek. Le sujet : la place du plaisir dans le développement des joueurs.

Il y a une quinzaine de recommandations, notamment :

• Donner suffisamment de temps de jeu

• Toucher souvent à la rondelle

• Bâtir la confiance d’un joueur

• Organiser des activités à l’extérieur

• Jouer sur des glaces en bon état

• Disputer des matchs à équipes égales

Des évidences, me direz-vous. En effet. Sauf que trop souvent, ces concepts ne sont pas appliqués. Ces 15 dernières années, j’en ai vu, des entraîneurs, couper leur banc après le premier but. J’en ai vu, des glaces molles. J’en ai vu, des parents dingues, s’en prendre à des joueurs, des entraîneurs ou des arbitres. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai croisé quatre policiers devant un aréna, à 23 h. Ils venaient d’être appelés pour une bagarre dans le hall. Pendant ce temps, les joueurs étaient confinés dans le vestiaire.

Est-ce un environnement plaisant ?

Pas vraiment, non. Le premier ministre a raison de souligner qu’il faut « retrouver le plaisir de jouer au hockey, enlever une couche de pression aux jeunes. Je pense que c’est comme ça qu’on va attirer plus de petits gars et petites filles qui vont vouloir jouer au hockey. »

Un spécialiste du développement des athlètes m’a souligné, jeudi, que pour obtenir du succès, une fédération doit réunir les trois P. « Good People. Good Places. Good Program. » En français : de bonnes personnes, de belles infrastructures, un bon programme.

Le gouvernement peut améliorer les infrastructures. Il peut aussi créer un nouveau programme plus performant. Jeudi, François Legault et Isabelle Charest ont chargé un comité d’experts de formuler des recommandations. Il y a d’excellentes têtes dans ce groupe de travail. D’anciens joueurs professionnels, mais aussi des entraîneurs, des chercheurs et des gens qui connaissent le réseau aussi bien que leur sous-sol. Notamment le nouveau DG de Hockey Québec, Jocelyn Thibault, et le président du comité, l’ancien gardien de la LNH et analyste à RDS Marc Denis.

« Mes garçons ont joué au hockey au Québec, a raconté Marc Denis. Aux niveaux participatif, compétitif, dans les structures intégrées. Dans le hockey scolaire. Dans le RSEQ. Dans la LHPS. Ils ont joué dans le midget AAA. Ils sont aujourd’hui dans la Ligue junior AAA. Ils ont été repêchés dans la LHJMQ. J’aime le modèle du hockey québécois, ce qui ne veut pas dire qu’aujourd’hui, on n’est pas capables de réaliser qu’on se dirige éventuellement dans un mur. »

Si on a collectivement une chance de relancer le hockey québécois, c’est maintenant. Les bonnes têtes sont au travail. La volonté du gouvernement est là. C’est déjà mieux qu’avant-hier.