(Tokyo) Difficile de dire ce qui était le plus sensationnel du 200 m des femmes.

Il y a bien sûr la Jamaïcaine Elaine Thompson-Herah, qui a accompli ce qu’une seule autre personne avait fait dans l’histoire olympique : remporter l’or au 100 m et au 200 m, deux Jeux de suite. Cette autre personne est Usain Bolt, qui a poussé le bouchon jusqu’à un triplé, et attendez-vous à revoir Mme Thompson-Herah à Paris. À 29 ans, elle a enregistré un chrono de 21,53 s, soit le meilleur depuis les Jeux de 1988, l’année de « FloJo ».

Tout juste derrière elle est arrivée une athlète junior qui non seulement est en train de réécrire le livre des records, mais aussi va forcer les médecins de la Fédération internationale d’athlétisme à retourner à leurs éprouvettes.

Elle s’appelle Christine Mboma, elle a 18 ans à peine, elle vient de Namibie et c’est une spécialiste du 400 m.

Il y a trois semaines, alors qu’elle était dans ses derniers préparatifs, la Fédération l’a avisée qu’elle n’aurait pas le droit de courir le 400 m, pour cause de testostérone trop élevée.

Les scientifiques de la Fédération ont établi que, passé un certain seuil de testostérone naturel chez la femme, il s’agissait d’un avantage musculaire indu. Les cas de Caster Semenya, Sud-Africaine médaillée d’or à Rio et championne du monde, ainsi que de Francine Niyonsaba, dont j’ai parlé, sont identiques.

Les savants de l’athlétisme international ont établi toutefois que cet avantage indu n’existait que pour les distances de 400 m au mile anglais (1609 mètres). Plus long, ça va, plus court, c’est OK.

Comment en sont-ils arrivés à cette conclusion étonnante, avec somme toute assez peu de cas ? Allez savoir.

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Shelly-Ann Fraser-Pryce, Beatrice Masilingi et Dafne Schippers

À la dernière minute, donc, la jeune Namibienne s’est inscrite au 200 m. Tout comme sa compatriote Beatrice Masilingi, qui a aussi 18 ans, et qui est aussi atteinte d’hyperandrogénie – production « excessive » d’hormones mâles.

Et voilà-t’y pas que les deux jeunes femmes se rendent en finale ! Et que Mboma remporte la médaille d’argent ! Nouveau record du monde junior, ça va de soi, avec un 21,81 s fumant. C’est la deuxième athlète de l’histoire de ce pays à remporter une médaille olympique (après Frank Fredericks, deux argents à Barcelone, deux argents à Atlanta au 100 m et au 200 m). Déjà une vedette en Namibie, où son exclusion a créé un scandale, et où elle sera reçue en triomphe.

En conférence de presse, l’athlète a timidement refusé de commenter la controverse et accueilli modestement sa nouvelle gloire.

Mais cette histoire n’est pas terminée. Les règles d’exclusion 400-mile ont été écrites après le podium entier accaparé à Rio par trois femmes « hyperandrogènes » qui, aujourd’hui, sont exclues de leur épreuve. Et on a vu, par le passé, la Fédération changer ses règles sur l’avantage indu quand les cas limites avaient un peu trop de succès.

La piste la plus rapide

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L’Allemande Malaika Mihambo

J’étais dans le stade, l’hymne national d’Allemagne venait de retentir pour Malaika Mihambo, championne du saut en longueur. Un homme s’approche.

 « Auriez-vous un fil pour recharger mon téléphone ? »

Il s’appelle Ulrich Kapp et est entraîneur d’athlétisme en Allemagne pour les sports « d’explosion » : sprints, sauts. En 40 ans, il « revendique » 10 médailles olympiques. Ce n’est pas vrai, il ne revendique rien du tout, c’est moi qui l’ai forcé à avouer.

 « Le meilleur athlète que vous ayez entraîné ?

– C’est elle [Mihambo]. Elle a le gène de la championne. C’est très rare. Sous la plus grande pression possible, ces gens font les meilleures performances. »

Je me suis branché sur l’expert pendant quelques minutes. Pendant qu’il remplissait son appareil d’électricité, je remplissais mon calepin.

« On parle beaucoup de cette piste, on dit qu’elle est très rapide. C’est vrai ?

– Oui, c’est vrai. J’étais à la piste d’entraînement, qui est identique, et je chronométrais une athlète [de 400 m] sur 80 m, 100 m, 120 m, et elle faisait des temps bien meilleurs que ses temps habituels. Au lieu d’un 8,60 s ou 8,70 s sur 80 m, par exemple, c’était 8,4 s. »

Le matin, on a pu voir une performance hallucinante du Norvégien Karsten Warholm, qui a bouffé le record du monde du 400 m haies comme on ne l’avait jamais vu. Une course d’anthologie. Il a couru l’épreuve en 45,94 s, soit trois quarts de seconde plus vite que son propre record, établi il y a un mois (et qui récrivait une marque vieille de 29 ans). Sur 400 m, 76 centièmes de seconde, c’est une éternité. Ça n’arrive tout simplement pas, ce genre de choses.

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Karsten Warholm

« Si quelqu’un était venu me voir hier pour me dire : tu vas courir en 46,17 s, mais tu ne gagneras pas, je lui aurais cassé la gueule et je l’aurais sorti de ma chambre », a dit l’Américain Rai Benjamin, encore sous le choc avec sa médaille d’argent.

« Il y a d’autres facteurs, comme le vent, qui a circulé de manière parfaite dans le stade », me dit l’entraîneur allemand. Il me montre une oriflamme sur la pelouse qui indique la direction du vent. Puis le drapeau du Japon et celui des Jeux, dans le coin opposé du stade. Et me dit que le vent a été de dos sur 300 m.

« Aussi, 30 °C pour les sports d’explosion, c’est parfait pour les muscles. »

Il n’en reste pas moins que tous ses athlètes le disent : la piste a un rebond formidable.

Le fabricant de la piste, Mondo, prétend que la nouvelle évolution de la surface, exclusive à Tokyo pour le moment, donne un gain de 1 % à 2 %, par un effet de retour d’énergie, selon leurs tests en laboratoire.

D’autres parlent de l’effet des « super crampons » de Nike (et autres), qui donnent un effet de trampoline.

Warholm ne s’est pas gêné pour dire que ces souliers (que portait Benjamin) étaient de la bullshit et minaient la crédibilité du sport. Sur les longues distances, ça passe toujours, mais sur 400 m, ça n’a pas sa place, a-t-il affirmé.

Cela dit, même si les siens ne sont pas gonflés et ressemblent aux souliers classiques à crampons très plats, il a tout de même fait savoir que ses Puma avaient été développés avec Mercedes, qui a fabriqué la plaque de carbone qui les structure. Chacun son labo.

Comme quoi au rayon de la propulsion, ce qui est de la bullshit pour l’un est une avancée légitime pour l’autre. Encore des soucis pour la Fédération, qui essaie de déterminer où finit le perfectionnement de l’équipement et où commence l’« avantage indu » qui dénature le sport.

Il est trop tôt pour faire la part des avancées technologiques dans les résultats de Tokyo. Le 200 m féminin, s’il a été très rapide, n’a pas effacé le record vieux de plus de 30 ans de FloJo. Le 200 m des hommes, mercredi soir (8 h 55, heure du Québec), qu’Andre De Grasse nous promet rapide, ajoutera une pièce au dossier.

N’allez tout de même pas penser que cette piste fait « bong » quand on saute dessus. Il faut quand même la courir, la course…