(Tokyo) Le règne de Mo Farah a pris fin et, pour la première fois, un Canadien était parmi les prétendants légitimes du titre du 10 000 m.

L’Ontarien Mohammed « Mo » Ahmed, meilleur coureur de fond que le pays ait connu, visait rien de moins que l’or. Et au neuvième kilomètre, il a attaqué, pour se placer tout à l’avant de ce peloton extraordinairement relevé. Ça n’a pas tenu. Il a terminé sixième, quatre secondes et demie derrière Selemon Barega, jeune sensation qui redonne à l’Éthiopie le titre que se sont passé comme un relais les grands Haile Gebreselassie (1996 et 2000) et Kenenisa Bekele (2004 et 2008).

Barega a 21 ans, mais ce n’est pas un inconnu : à 19 ans, il a pris l’argent au 5000 m au championnat du monde… devant le Canadien.

« Je suis déçu, je n’avais plus assez de jus dans les 300 derniers mètres… Peut-être que j’ai été un peu gourmand, en attaquant avec quatre ou cinq tours à faire », a dit Mo après cette course éreintante dans la moiteur tokyoïte.

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Mohammed « Mo » Ahmed

Mais, hé, il n’y a pas de quoi avoir honte. Je veux dire : ces gars, c’est la crème de la crème… Juste pouvoir rivaliser avec eux à un moment donné, il faut en être reconnaissant.

Mohammed « Mo » Ahmed

« J’ai fait exactement ce que je devais faire, a ajouté l’athlète. J’ai décidé que je serais dans la conversation, il fallait faire une attaque pour gagner. J’ai toujours couru comme ça, et si vous regardez Mo Farah, qui a dominé pendant huit ans, il courait exactement de la même manière les cinq, six ans avant. On a tous nos manières, c’est comme au basket. »

Farah était connu pour ses finales brutales sur le dernier tour et demi. À Londres, puis à Rio, il était intouchable en fin de course, au 5000 m comme au 10 000 m.

Le grand favori était bien sûr Joshua Cheptegei, l’Ougandais qui a battu les records du monde du 5000 m et du 10 000 m l’an dernier. Lui, au contraire, a trop tardé pour attaquer et a dû se contenter de l’argent. Le suivait de près son compatriote Jacob Kiplimo, confirmant que l’Ouganda est la puissance montante de l’athlétisme, jouant maintenant du coude avec le Kenya et l’Éthiopie.

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Je me souviens de l’atmosphère électrique au Stade olympique de Londres, où Farah gagnait l’or à la maison. Je me souviens de son double doublé de Rio, qui a soulevé la foule.

Courir dans un stade vide, c’est comment ?

« Honnêtement, ça ne me dérange pas du tout, a dit Mo. J’ai couru dans des situations comme ça depuis longtemps. [Dans les compétitions d’athlétisme en Amérique du Nord], les seuls qui sont là, ce sont des mordus solide, des entraîneurs, du personnel technique, des gens qui comprennent le sport. C’est comme ça tout le temps. Alors ça ne change rien. »

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Il n’y a effectivement aucune honte à cette sixième place, qui est au fond l’une des plus brillantes jamais réalisées en athlétisme canadien ces dernières années.

Il reste maintenant le 5000 m, qui est davantage la spécialité de Mo : séries mardi, finale vendredi.

La partie ne sera pas plus facile, avec les mêmes gros rouleurs, qui, quand ils ne sont pas recordmen du monde sur la distance, le sont sur le 10 km sur route, ou courent le demi-marathon sous les 58 minutes, ou sont d’ex-champions d’Afrique de cross-country, etc.

Mais deux choses sont absolument certaines : 1) Mo Ahmed va se tenir tout en avant à la fin ; 2) il aura une nouvelle paire de souliers.

« Il y a carrément des bouchées qui sont parties sur ceux-là », nous a-t-il confié avec un sourire, comme si de rien n’était.

Ça ne paraît peut-être pas, mais la course de fond est aussi un sport de contact. Les coudes, les épaules, les bras, mais aussi les crampons de métal du voisin ne sont jamais bien loin.

On sait depuis un bout que Mo sait se faire une place.