La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Philippe*, début quarantaine

Attention, ça ne saute pas aux yeux : la jeune quarantaine, Philippe a un profil décontracté tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Sauf que dans l’intimité, il n’a pas un comportement stéréotypé. Oubliez le genre entreprenant ou dominant, Philippe est plutôt un doux, un sensuel, en quête de connexion avant tout. Et en ce sens, il réalise qu’il ne « correspond » pas aux « normes » hétéronormatives. Explications.

Son discours vous en rappelle un autre ? C’est qu’il nous a écrit dans la foulée de la nouvelle année, à la suite du témoignage d’une certaine Sarah*, qui cherche elle aussi à s’affranchir de ces « codes » hétéronormés. « Je veux trouver la clé, nous disait-elle dernièrement, dans une société hétéronormative, pour avoir des relations satisfaisantes, quand on n’a pas été éduqués à ça. »

Lisez le témoignage de Sarah*

« J’ai l’impression de vivre un peu la même chose, mais d’un point de vue masculin », dit Philippe, rencontré au début de janvier, dans un café en ville, sur sa pause du midi. C’est-à-dire ? « Les femmes s’attendent à ce que j’agisse selon des normes qui ne me correspondent pas... »

Avant d’y venir, il faut savoir que notre interlocuteur a été victime d’abus dans son enfance. Il ne souhaite pas s’épancher sur le sujet, mais confie porter à ce jour certaines « blessures », glisse-t-il. « J’aimerais consulter. Ça a certainement entraîné des difficultés sur le plan des relations interpersonnelles. » À preuve : « J’ai toujours gardé une crainte des autres et une crainte du jugement », dit-il.

Il vit aussi une adolescence « difficile », plutôt « isolée », avec toujours cette « difficulté à entrer en contact », comme il dit. « Je n’ai pas embrassé une fille avant d’avoir 18 ans... »

Sa première relation sexuelle, c’est avec une amie du cégep que ça se passe, et c’est elle qui prend les devants : « Elle a embarqué par-dessus moi et j’ai suivi. » À la même époque, il se fait aussi une copine, une histoire sans histoire qui dure deux ans. Au lit ? Ses souvenirs sont flous.

Il se rappelle par contre très bien une collègue de travail, au début de la vingtaine, qui lui tombe par la suite clairement dans l’œil. « Mais j’ai énormément de difficulté à parler à quelqu’un que je ne connais pas », répète-t-il. « Est-ce que c’est une norme hétéronormative ? » Est-ce qu’on s’attend à ce que ce soit l’homme qui fasse les premiers pas ? En tout cas, lui, il n’y arrive pas. Ni à l’époque ni davantage aujourd’hui. D’où ce sentiment d’être hors « normes ».

Ça fait des années que je sens un malaise […] par rapport à ce que les femmes attendent de moi.

Philippe

Et puis voilà que lors d’un souper d’amis, au début de la vingtaine toujours, notre Philippe rencontre une femme mémorable : « Super jolie, charismatique, extrovertie, c’était impossible que je puisse intéresser quelqu’un comme ça... », croit-il.

Or, ses amis l’incitent à la raccompagner chez elle, et c’est madame qui fait alors les premiers pas (parce que lui en est incapable, on l’aura compris).

« Et ç’a été une personne charnière, dit en souriant Philippe. Elle était très libérée, sans complexe, elle assumait ses désirs, et ç’a été très libérateur. » Pensez : échanges de fluides, stimulations anales, etc. « Ce sont des choses qu’on faisait, qui ne sont pas dans les normes hétérosexuelles », illustre-t-il. Et puis la femme était plus âgée, « et ça, encore, c’est hors des normes, on est plus habitués à l’inverse, socialement ».

Elle avait en prime déjà exploré avec d’autres femmes et a même dit un jour à Philippe qu’il faisait l’amour « comme une femme ». « Je l’ai pris comme un compliment ! », dit-il en riant.

On s’en doute, il en garde à ce jour un excellent souvenir. « Elle stimulait tout mon corps ! Pas seulement mes organes génitaux. » Et ça, Philippe n’a pas connu ça souvent. Malheureusement, la connexion ne suffisant pas, leur histoire fait son temps et se termine au bout de six mois.

Philippe passe les 10 années suivantes seul. Il vit aussi cette solitude difficilement. « Et d’ailleurs, j’ai encore des problèmes de cannabis pour m’aider à étouffer la solitude », confie-t-il. C’est à ce moment qu’il commence à se questionner sérieusement, notamment en matière d’identité. « À cause de ma difficulté à entrer en relation, je me suis demandé : est-ce que je suis vraiment hétéro ? », justifie-t-il.

J’ai l’impression d’avoir un côté féminin développé. J’ai beaucoup d’empathie, je suis très sensible, toutes ces choses qu’on associe plus souvent aux femmes.

Philippe

Il finit par explorer de ce côté à deux reprises, avec deux hommes différents, mais sans jamais aller bien loin. « J’étais curieux des sensations, résume-t-il, mais je pense que c’est plutôt de l’ordre du fantasme. » Verdict ? « Sans plus, répond-il. J’ai toujours préféré faire l’amour que baiser. [...] J’ai besoin d’une connexion. » Et puis les hommes ne l’attirent pas. Bref : fin du questionnement.

Au tournant de la trentaine, « désespéré » d’être toujours célibataire, notre Philippe se prend en main. « J’arrête de fumer, je change mon alimentation, je me mets au vélo », énumère-t-il. Il s’inscrit surtout sur un site de rencontres. Il y trouve enfin quelqu’un avec qui il vit beaucoup de « plaisir » au lit, mécaniquement parlant, mais il manque quelque chose, sent-il. « J’étais en manque de sensualité », réalise-t-il au bout de quelques mois. « J’ai tout un corps qui peut être stimulé, dit-il, mais je ne suis pas capable de lui en parler... » Si vous voulez tout savoir, oui, il s’en veut : « Peut-être que j’aurais pu lui en apprendre sur ce que j’aime ? »

Toujours est-il qu’il rencontre sur ce même site une deuxième femme, mais ça ne marche pas davantage. Pourquoi ? Madame aime ça « rough », se souvient-il, or Philippe est un doux, souvenez-vous, et il ne « peut pas ». « Tirer les cheveux, illustre-t-il, ça ne marchera pas. » « Je ne peux pas ! »

Juste avant la pandémie, il rencontre une dernière femme, une vieille connaissance du cégep. Avec elle, il se confie enfin : « J’aime mieux quand la femme prend le contrôle », dit-il. Rebelote, malheureusement : elle aussi, visiblement, aime ça « rough ». Dans le feu de l’action, elle lui demande une claque sur les fesses. « Je peux comprendre, j’ai essayé, mais c’est tellement bizarre », dit-il en riant. Il essaie, mais c’est tout sauf naturel. Bref : « Elle avait des besoins auxquels je ne suis pas capable de répondre... », tranche-t-il.

C’est sa dernière histoire jusqu’à maintenant. Mais pas la fin de sa réflexion. « Je pense qu’on apprend des codes dont on a du mal à se libérer quand ils ne nous correspondent pas », analyse-t-il avec le recul. « J’ai fait une grande introspection cette semaine, enchaîne-t-il. C’est épuisant, ça a brassé beaucoup. Mais j’en suis venu à une meilleure compréhension de moi-même. Sans doute à une meilleure acceptation. Même si entre savoir quelque chose rationnellement et le vivre, il y a un pas à franchir... », dit-il en souriant.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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