La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Sarah*, début quarantaine

Finis les rêves de prince charmant, Sarah* veut désormais multiplier les amants. Cinq « amitiés sensuelles », vise-t-elle, et en même temps, carrément. Un souhait formulé telle une résolution, qui est en fait le fruit d’une longue réflexion, individuelle, féministe, et surtout assumée. La voici.

« J’ai été vachement culpabilisée par la sexualité dans ma famille », commence notre interlocutrice, début quarantaine, rencontrée virtuellement dernièrement, pour cause de COVID. Élevée en France, on l’aura deviné, elle raconte avoir été traitée d’« allumeuse » par son père et sa grand-mère, très jeune, et à répétition. « J’étais jolie, je plaisais, se souvient-elle, et au lieu de culpabiliser les autres, c’est moi qu’on culpabilisait. »

Un exemple ? « Je marchais, on me regardait, et on me disait : arrête de rouler des fesses ! » Et c’est sans doute là que sont nés sa fibre féministe et son projet – pardon : son « expérimentation », comme elle dit –, actuel. « L’idée de me taper cinq mecs en même temps vient de là », confirme-t-elle, dans un témoignage partagé à la vitesse grand V, en une heure tout juste, tel un récit longuement réfléchi, certes plus théorique que pratique, quoique visiblement mûr à point.

Je veux trouver la clé, dans une société hétéronormative, pour avoir des relations satisfaisantes, quand on n’a pas été éduqués à ça.

Sarah

Permettez une légère digression. Il faut savoir qu’avant d’en arriver là, Sarah s’est aussi longtemps « fait chier » au lit. Chier ? « Je n’ai jamais appris les codes hétéronormatifs », explique-t-elle. Alors « le gars qui prend les choses en main, et la fille qui doit être plus passive », très peu pour elle. Au contraire : « Moi, j’ai toujours été plutôt volontaire [...], mais on me culpabilisait au lit. » Encore ? Sarah n’entre pas vraiment ici dans les détails, mais on comprend que lorsqu’elle prenait certaines initiatives, les hommes qu’elle a connus ont toujours été un peu pris de court et ils ont ce faisant éteint son élan.

« Woh ! qu’est-ce que tu fais ? », lui a-t-on souvent répliqué. « Et si moi, j’avais des demandes, ce n’était jamais entendu. » Quel genre de demandes ? On ne le saura pas trop, seulement qu’en gros : « On ne se rencontrait pas dans nos désirs, résume-t-elle. Alors j’arrêtais de coucher avec. » Et ainsi mourait, lentement mais sûrement, la sexualité de son couple. De tous ses couples, de l’adolescence, à toute sa trentaine. Jusqu’à aujourd’hui. « J’ai été en couple plein de fois [...], et toutes mes relations se sont passées de cette manière-là. »

Sarah a même été mariée 10 ans et ça n’a rien changé. Rien ? « Moi, je veux un échange, un désir qui monte. Or, j’ai juste devant moi un gars qui arrive et qui veut m’étaler sur une table pour me prendre en levrette, sans préliminaire, sans échange, sans jeu ! », illustre-t-elle.

En a-t-elle déjà parlé avec ses partenaires ? « Il y a des gens avec qui tu ne peux pas discuter. »

Et puis il y a des périodes où je n’étais peut-être pas prête en en discuter non plus.

Sarah

Seulement voilà, aujourd’hui, elle est prête. Plus que prête, en fait. La quarantaine sonnée, Sarah, divorcée depuis quelques années, s’est donc mise à dater, comme on dit dans la langue de Tinder. Et elle a décidé qu’elle ne voulait plus qu’une chose : « des relations sexuelles avec des hommes qui soient satisfaisantes ». Certes, elle en a trouvé. Mais pas nécessairement dans le « long terme ».

« Alors j’ai appris à accepter les séducteurs avec leurs points positifs et leurs points négatifs. » Et cette acceptation est décisive : ces types effectivement « super bons dans la connexion et dans les jeux sensuels » sont par ailleurs « incapables de tenir le long terme, a-t-elle constaté. D’où mon idée d’en avoir cinq en même temps ! » Vous suivez le raisonnement ? « Bon, peut-être que c’est beaucoup, cinq, admet-elle en riant, disons trois gars qui ont peur de l’engagement, mais qui sont très bons dans la connexion ! »

Ce genre de « séducteurs », enchaîne-t-elle, il y en a aussi à la pelle sur les applications de rencontre. « Tu en vois plein qui disent : je cherche une connexion forte. Et généralement ils sont très bons ! Mais tu ne peux pas savoir si ça va durer une nuit, une semaine, ou deux semaines. Ils veulent une connexion, et après, ils paniquent. L’idée, c’est d’en entretenir trois ou quatre ! »

Parce qu’un seul, sait-elle, et elle risque de retomber dans ce piège du « lien dominé-dominant ». Non merci, elle a donné : « Les réflexes hétéronormés de domination, ça ne me tente plus, confirme-t-elle. Je veux un truc amicalo-sensuel pour ne pas rentrer dans un couple où tu es la maman ou le papa de l’autre. Je n’ai pas envie qu’un gars me dise quoi faire, et je ne veux pas non plus être sa mère. »

Sarah, visiblement, sait désormais ce qu’elle veut. Ou plutôt ce qu’elle ne veut plus. « Je veux une relation respectueuse [...] où on se pousse à grandir, et où le sexe est le fun ! »

Mais j’ai l’impression que je n’aurais pas ça avec un gars dans la société aujourd’hui, parce qu’on est trop préprogrammés à faire les choses d’une certaine manière.

Sarah

Comment, concrètement ? : « à ne pas être à l’écoute d’un partenaire au point de vue du rythme », illustre-t-elle. À preuve, Sarah, dont la langue se délie enfin ici, a vu des hommes « débander quand tu es par-dessus », ou carrément « faire semblant de faire un cunnilingus, pouffe-t-elle de rire. Ils savent que c’est bien, mais ça ne leur tente pas ! »

« Et ça, intellectualise-t-elle, c’est un manque de connexion quand tu es dans une dynamique de consommation. »

Et si sa quête en était une par défaut, ose-t-on ? Faute d’avoir eu une relation saine et équilibrée, Sarah souhaite-t-elle ici jongler avec plusieurs fréquentations « sensuelles » ? Négatif. « J’essaie de me créer la vie dont j’ai envie, rétorque-t-elle. Même si ça ne correspond pas à ce que la société veut. »

Certes, plus simple à dire qu’à faire. Si Sarah a ces jours-ci des conversations virtuelles avec quelques hommes, elle n’a pas encore trouvé la poignée de « séducteurs » avec qui elle aimerait poursuivre l’aventure. « Ce n’est pas évident de rencontrer des gens qui soient ouverts, qui connectent bien, dit-elle. J’ai des exigences ! Je veux que les gars m’apportent quelque chose, je veux grandir avec ! » « Expérimentation » à suivre, donc.

* Prénom fictif, pour préserver son anonymat

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