La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
AUJOURD’HUI : NICOLAS*, FIN VINGTAINE

Il a grandi dans la « ouate », dans un milieu très « safe », pour sortir du placard sans faire de vague. Depuis, Nicolas papillonne d’homme en homme, parce qu’être en couple, c’est sans doute trop « compliqué ». Explications entre deux travaux de fin de session.

Le jeune homme, fin vingtaine, nous a écrit plus tôt à l’automne, à la suite du témoignage d’une certaine Catherine*, mère de famille hétéro, qui a mis la littérature au service de sa libido. « J’aime la littérature », explique notre interlocuteur, rencontré finalement en décembre, dans un chaleureux petit café du Plateau, rempli d’étudiants rivés sur leur ordi. « Mais la littérature érotique, je ne voyais pas ça comme un genre pertinent. Or, ce texte m’a sensibilisé à ça. » S’il a plongé dans le genre depuis ? « Oh non, je ne suis pas rendu là, répond-il en riant. Je suis en fin de session ! »

Lisez le témoignage « La littérature au service de la libido »

« J’ai découvert mon homosexualité avant de découvrir ma sexualité », débute Nicolas, qui a accepté de prendre un moment ici pour se raconter. C’est à l’adolescence, autour de 14 ans, que ça se passe. Il s’en souvient clairement : il est dans un lit avec son meilleur ami et sa copine, et les trois jouent « à s’embrasser ». « J’ai vraiment aimé ça ! Je dois être bi, c’est clair. »

Bi ? C’est que plusieurs jeunes se déclarent « bis » dans son entourage, puis se « rétractent », dit-il en riant. « Surtout les filles. Pourquoi ? Parce que c’est tendance, être bi, en secondaire 2 ? Je ne sais pas ! »

Le climat de mon école était tellement open, c’était presque hot de se déclarer, le coming out avait quelque chose de edgy

Nicolas, fin vingtaine

N’empêche : « moi, c’était peut-être plus sérieux que les autres », ajoute-t-il. Ça lui prend aussi plus de temps. Certes, les filles ne l’intéressent pas, mais il ne s’affirme pas non plus avant l’année suivante. Il a 15 ans et se revoit jouer à « vérité ou conséquence ». On lui demande son orientation. Nicolas gèle. « Je n’étais pas complètement assumé, analyse-t-il. Ça m’a laissé sans mot et mal à l’aise. » Comme quoi l’environnement douillet ne suffit pas. Il part réfléchir une heure dans la salle de bain, « fait du chemin » et quelques mois après cet épisode, « c’est clair », dit-il, il est « gai ».

Et puis ? C’est finalement en quatrième secondaire, à 16 ans, qu’il se fait son premier copain, rencontré dans un cours. Un travail d’équipe plus tard et les voilà « en couple ». « On a couché ensemble », poursuit-il, et par « coucher », Nicolas entend « les préliminaires, les fellations, et tout ». Verdict ? « J’ai aimé ça, c’était le fun, heureux. […] Et on s’est affichés sur Facebook dès le premier soir. On a cliqué “en couple” ! », dit-il en souriant. On comprend que ça va se compliquer à cet égard plus tard. Il confirme : « C’était un milieu très safe. J’ai grandi dans la ouate ! C’est à l’âge adulte que c’est devenu plus compliqué… »

Leur amourette dure quelques semaines, puis Nicolas passe deux années plutôt tranquilles. Pas évident de rencontrer à cet âge : « Je n’avais pas les outils, j’étais mineur, Tinder n’existait pas encore. Il n’y avait pas de momentum ! »

C’est finalement à 19 ans, après une courte fréquentation avec un ami d’ami, puis surtout l’apparition de la fameuse application, que Nicolas fonce enfin. « Je voulais vivre des expériences sexuelles ! […] Cet été-là, j’ai dû avoir une quinzaine de partenaires. » Il n’a pas arrêté depuis.

« Je voulais vivre des expériences et me sentir moins seul », poursuit-il, d’une confidence qu’on n’avait pas vue venir. Parce que ça ne paraît pas nécessairement, mais Nicolas est quelqu’un de « seul dans la vie », dit-il ici. « J’ai appris à l’apprivoiser, mais à 19 ans, c’est plus difficile. […] Et puis j’ai des problèmes de santé mentale. »

Ce n’est pas toujours facile de socialiser pour moi. […] Alors la sexualité, c’est un bon moyen.

Nicolas, fin vingtaine

En quoi ça aide, exactement ? « Les baises, c’est plus accessible que les amis, répond-il candidement. Les amis ne sont pas toujours disponibles, alors que le bassin d’hommes qui veulent coucher avec toi est quand même grand quand tu as une certaine jeunesse. Ça fait de la compagnie ! »

De la « compagnie » de la part de qui, au juste ? Des types de son âge, mais souvent aussi des hommes plus vieux. « Dans la trentaine ou la quarantaine. Ils aimaient ma jeunesse. » C’est d’ailleurs à cet âge, et de la part d’un ingénieur, qu’il se fait « dévierger anal », entre autres agréables « nouvelles découvertes », dit-il.

« À une époque où mon estime de moi était faible, microscopique, poisson rouge, poursuit-il, le sexe n’amène pas une guérison, mais un soulagement. Ça me valorisait. Me faisait me sentir vivant. Et puis ça me reliait avec mon corps », ajoute Nicolas, plutôt du type cérébral.

À travers toutes ces aventures, notre homme, un « romantique », a aussi fait quelques mémorables rencontres. Des histoires qu’il n’aurait pas détesté voir durer un peu de temps, mais qui ont toutefois avorté, pour toutes sortes de raisons.

Il cite un certain « prince », rencontré mi-vingtaine, avec qui la connexion a été particulièrement forte. Il mentionne également un « super ami » avec qui il a flirté quelques mois aussi, plus récemment.

À noter que ces histoires sont toujours demeurées au stade du flirt, lire : non exclusives. « La norme, confirme Nicolas, c’est que tant que tu n’es pas en couple et que tu ne dis pas que tu es exclusif, par défaut, on continue de voir d’autres gens. […] Mais moi, je suis conservateur, alors je vois d’autres gens, mais je ralentis. »

« Conservateur » et un brin « romantique », ça veut dire qu’il rêve de quoi, au final ? « J’aimerais ça une relation de proximité, de désir et de chaleur », résume-t-il. Être en couple, quoi ? Non, pas un couple, nuance-t-il. « C’est tellement compliqué, à mon sens, être en couple ! C’est engager une charge mentale que je n’ai pas. Déjà que j’ai du mal à me tenir en santé et avancer dans mes études ! » Non, ce qu’il souhaite, ce serait plutôt une « fréquentation, avec un plus ». Et il garde espoir. Il nous quitte aussi avec cette citation lumineuse, citée presque à la perfection, d’un des films de son réalisateur préféré (Rois et Reine, Arnaud Desplechin, 2004) : « Il faut toujours prévoir, que, évidemment on a raison, mais que c’est toujours possible que l’on ait un peu tort en plus. […] C’est une très bonne nouvelle, ça veut dire qu’on n’a pas déjà toute la solution, et que la vie va être bien plus étonnante et pleine de surprises que ce que l’on croyait. »

* Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat