La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Caroline*, 55 ans.

Caroline est avec le même homme depuis 30 ans. Après des années de réflexions, discussions et autres remises en question, son couple a décidé de se donner un peu d’espace et de liberté, en un mot : de s’ouvrir.

« On est un couple ouvert », confirme tout bas la dynamique quinquagénaire, rencontrée dernièrement dans un Starbucks de la Rive-Sud. On devine que la décision est récente, et pas forcément consommée, et on devine juste. Mais la réflexion, elle, semble longuement mûrie.

Notre interlocutrice, discrète, mais volubile, nous a d’ailleurs écrit en réaction au témoignage d’un certain Louis*, jeune soixantaine, très heureux dans son couple, mais pas exactement dans son lit⁠1.

« Ça m’a fait de la peine, merde ! Il est pogné ! [...] Parce qu’il vit, et on vit tous, dans le carcan du couple ! »

Il faut dire que Caroline n’a été quant à elle qu’une seule fois en couple (avec son conjoint d’aujourd’hui), et ce, de toute sa vie. En effet, après une première expérience « plutôt décevante » à 18 ans, elle enchaîne les fréquentations, sans jamais entrer véritablement en relation. Avant de rencontrer son conjoint, fin vingtaine, elle n’a « jamais laissé [sa] brosse à dents nulle part ! ».

Et non, ces amourettes qui se suivent ne la comblent pas vraiment. Chaque fois, Caroline se revoit s’occuper de l’autre et mettre son plaisir à elle de côté. « Dans ma tête, il fallait que je sois bonne au lit pour qu’on m’aime », se souvient-elle en grimaçant.

À l’époque, elle a aussi une aventure avec une copine, où là, oui, elle prend enfin son pied. « C’est évident, une femme avec une femme, on sait comment ça marche », dit-elle d’un air entendu. L’aventure s’étire même sur plus d’un an, mais non, Caroline ne se questionne pas sur son orientation pour autant. « On se donnait du plaisir. » Point à la ligne.

Tout cela pour dire que quand elle rencontre son conjoint actuel, fin vingtaine, il est officiellement son tout premier amoureux. Détail : il est aussi son collègue, et déjà en couple par-dessus le marché. « Moi, mes parents sont séparés, confie-t-elle ici. Dans ma tête, tu ne brises pas un ménage. »

Sauf qu’ils sont « fusionnels », et ce qui devait arriver arrive : il finit par devenir son amant. « Oui, c’était excitant, confirme-t-elle les yeux pétillants. Il y avait l’attente, on ne pouvait jamais se voir, et le lundi matin, je savais qu’il débarquait… »

Les premiers temps dans l’interdit sont « complètement fous ». « Chaque fois, c’était la dernière fois ! » Et puis, ils se complètent bien. « Lui, il se plaignait de ne pas en avoir assez dans son couple, et moi, je n’en avais juste pas ! »

Au bout de quelques mois, monsieur finit par quitter sa conjointe et, 30 ans plus tard, Caroline et lui sont toujours aussi complices.

On se rend compte que c’est rare ! On a une ouverture, une complicité, une communication ! Des couples qui sont encore ensemble au bout de 30 ans ? Il n’y en a plus !

Caroline

Et puis ? « Et puis, l’usure du temps, les habitudes, la vie qui devient plus intense que la vie sexuelle, résume-t-elle. Les années se sont empilées. »

Elle s’entend dire à son conjoint : « je suis fatiguée ». « Mais tu sais, quand tu es amant ou maîtresse, tu n’es jamais fatigué ! Tu ne sais jamais s’il y aura un lendemain ! »

Or, voilà que depuis 10 ans, l’âge et la ménopause aidant (« j’ai eu une chute drastique d’hormones, ça a sûrement une influence sur ma libido »), son conjoint commence à sous-entendre une certaine insatisfaction, sexuellement parlant.

Si c’est dur à entendre ? « Mais oui ! Je ne me sens pas adéquate ! Merde, il a laissé l’autre femme parce qu’il n’avait pas assez de sexe, et moi, je suis rendue celle qui n’en donne pas assez ! », s’inquiète Caroline.

Elle n’aime pas le mot, mais c’est un fait : oui, il lui est donc arrivé de « faire l’effort » de coucher avec lui. « Ça marche. C’est correct. Mais... pas plus que ça », laisse tomber celle qui ne s’est jamais non plus considérée comme une grande « orgasmique », comme elle dit. « De vrais gros orgasmes ? Ça m’est peut-être arrivé 15-20 fois ? J’ai 55 ans ! »

À force de ne pas se « sentir dedans », il lui est même arrivé de proposer à son conjoint d’aller voir ailleurs. « Dans ma tête, moi, je n’en ai pas besoin, mais toi, vas-y ! » Monsieur refuse, mais la réflexion n’en demeure pas moins amorcée.

Pas besoin ? C’était jusqu’au jour où, tout récemment, Caroline a réalisé qu’elle plaisait. Un type s’est intéressé à elle. L’a carrément draguée. « Il ne s’est rien passé, mais cela m’a fait sentir en vie ! dit-elle en souriant. Ça a éveillé un bout laissé endormi ! Ma vie de femme ! »

Toutes sortes d’idées se bousculent tout à coup dans sa tête. Pêle-mêle, Caroline nous paraphrase Esther Perel (L’intelligence érotique), nous résume l’importance de la distance dans l’intimité et les dangers de trop de proximité (« on est un, on se connaît tellement ! »), réalise qu’elle a sans doute laissé de côté sa féminité (fini les jupes courtes et les décolletés), bref, conclut que ces légers papillons l’ont carrément ranimée. « Ça a donné un coup de vent sur une braise ! Ça a éveillé ce côté-là : regarde donc ça, je plais encore. [...] Ç’a ramené un côté excitant ! »

Une énième conversation plus tard et voilà que Caroline et son conjoint ont osé nommer les choses et même se donner des règles (pour l’instant : les jeudis soir sont libres, sans compte à rendre à l’autre), pour vivre ce qu’ils ont à vivre, et ce, chacun de leur côté. « On est un couple ouvert », répète-t-elle.

« Je sais très bien que ces papillons-là ne dureront pas 20 ans, mais moi aussi, mon désir sexuel que j’avais mis de côté, il existe encore ! », réalise Caroline.

S’il ne s’est rien passé encore de ce côté (ni du sien ni, à ce qu’elle sache, de celui du conjoint), cette nouvelle évolution dans leur couple lui donne des ailes.

« Ça change tout ! », dit celle qui a en outre changé ses mots de passe sur ses appareils, dans ce nouveau mode de vie, et ses petits « jardins secrets ». Et savez-vous quoi ? Contre toute attente, « je fais plus attention à lui et plus que jamais, je sens que je le choisis ! [...] Du fait qu’on est ouverts, que j’ai la liberté d’aller voir ailleurs [...], ça me donne cette impression-là : plus que jamais, je le choisis ».

Caroline se demande d’ailleurs si l’ouverture n’est pas la prochaine étape « standard » dans l’évolution sociale du couple de longue durée. Si un jour, cela ne deviendra pas une sorte de « norme ». En attendant, si elle ne veut pas du tout mettre ce qu’elle a de plus « précieux » en danger, insiste-t-elle, elle souhaite tout simplement ceci : « Juste du plaisir de part et d’autre. J’espère que ça va juste être du bonheur... »

* Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat

1. Lisez le témoignage de Louis Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire