La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Il a un parcours « peu commun ». Pas « typique ». Assurément différent. Entretien avec un jeune malentendant au récit bourré de rebondissements, sans lien avec son handicap. Quoique peut-être bien que si.

Simon*, 30 ans, nous a donné rendez-vous dans un Starbucks du centre-ville. Assis un peu à l’écart — troubles auditifs obligent —, le jeune homme se livre dans la bonne humeur et une transparence désarmante. Il faut dire qu’il n’a jamais lu de récit comme le sien. D’où le soin (et le plaisir !) qu’il prend à se raconter. « Je suis malentendant, et j’ai eu beaucoup de craintes, au niveau social, au début », commence-t-il dans un français impeccable. Pourtant, et avec ses appareils quasi invisibles, rien ne laisse, a priori, deviner son handicap.

Mais longtemps, tout le primaire, en fait, il a été complètement renfermé. Agressif. « Je me suis forgé un mur, à cause de tous les élèves qui se moquaient de mon handicap. Ça m’a beaucoup nui au niveau social. »

Heureusement, avec le secondaire, la dynamique se transforme. Il change d’école, se fait des amis, même une première amoureuse, avec qui il passe deux belles années. Sa première fois ? Vers 16 ans. « C’est le septième ciel, dit-il en souriant. C’était une belle relation, on avait une belle chimie ! »

Vers 18 ans, sa famille déménage et ainsi meurt la relation. « Ça m’a pris plusieurs semaines à m’en remettre. » Rapidement, toutefois, Simon s’inscrit sur les réseaux sociaux (où la communication lui est plus favorable), et rencontre sa prochaine copine, avec qui il reste cinq ans. « Ça, c’est la partie traditionnelle de mon parcours », dit-il en souriant. « Je suis plutôt dominant, très dominant, à bien y penser, et elle est timide. […] Au lit, il n’y a pas d’autres mots à part : classique, banal », tranche-t-il, avant de se raviser.

De la visite d’Europe

C’est que dans la dernière année de leur relation atterrit par hasard une connaissance, venue d’Europe découvrir le pays. Il vit à l’époque dans un petit appartement d’une chambre, avec sa copine soi-disant « traditionnelle ». Simon rit encore en se remémorant la scène. Ils ne savent pas trop où faire coucher leur invitée, alors faute de chambre d’ami, ils achètent « bêtement » un petit lit militaire qu’ils placent carrément à côté de leur grand lit.

Vous devinez la suite ? Croyez-le ou non, mais au bout de deux nuits, ils se sont retrouvés tous ensemble sous la couette, dans une aventure à trois qui a duré plusieurs mois !

« On n’a jamais dit qu’on était en trouple, ça n’a jamais été officiel, toujours caché », précise Simon. N’empêche que l’affaire l’a drôlement changé. Émancipé, disons. En matière de pratiques, mais aussi de communication. « Elle avait plus de connaissances, résume-t-il. Elle nous a montré des trucs qui nous ont libérés. » Exemple ? « Le cunnilingus ! Je pensais avoir le contrôle, mais non. […] Où je dois mettre ma langue, mes doigts, la fréquence, elle nous a donné des outils ! »

Et ce faisant, sa copine, alors une fille plutôt « timide », s’est tout à coup « relâchée ». « Et ça a été le septième ciel ! »

Fait à noter, l’amie en question, bisexuelle, a toujours refusé de se faire pénétrer. C’était la « règle » : « Elle était vierge et voulait que ça reste comme ça. »

« C’était wow, poursuit-il. Il n’y avait plus de dominant, dominé, c’était mutuel, chacun son tour, c’était fou. […] Quelle expérience. […] Ça m’a appris beaucoup sur la sexualité des femmes. »

Mi-vingtaine, et pour toutes sortes de raisons, Simon se sépare. Il se retrouve célibataire, mais ses aventures sont loin d’être finies. « Je commence par où ? » C’est qu’un soir, et un peu par hasard, il sort dans un bar du Village avec des amis. « À ce moment, je suis hétérosexuel, machin, dit-il en riant. Wow, ça ramène des souvenirs. » C’est que non seulement il est hétéro, mais en prime « naïf ». Ses amis sont gais, mais il ne le sait pas. Et non, ça ne l’a jamais trop intéressé. « Je ne connais personne de gai, c’est totalement nouveau pour moi. » Mais visiblement, il n’est pas trop fermé, puisqu’il finit dans le lit d’un ami.

À noter : le type en question est également malentendant.

Les deux, on a un handicap. Et oui, ça joue sur la confiance. Lui aussi, il a un bagage, un vécu en termes d’intimidation, on a une confiance partagée, ce qui nous a permis d’accepter les avances de l’autre !

Simon, 30 ans

Monsieur le « dégêne », un « geste à la fois », et c’est finalement très « fluide ». « Ce n’est pas si mal, dit-il en riant de plus belle. Ça fait mal derrière, mais ce n’est pas si mal ! »

Si l’affaire le confronte ? Aucunement. « Ça m’a apporté une liberté. Une ouverture d’esprit sur un autre monde, sur la communauté LGBTQ, de laquelle j’étais complètement ignorant. »

Une courte introspection plus tard et Simon s’assume totalement : « Je suis bisexuel à partir de ce moment-là. » Et pas gai ? « Oh non ! J’aime les femmes ! »

C’était il y a trois ans. Il n’est toutefois pas au bout de ses explorations. Après les hommes, les bi, Simon découvre alors « le monde des hommes trans ». « Je suis en mode découverte. » Cette fois, oui, c’est un peu plus confrontant. Il s’explique : « L’homme trans a le corps d’une femme, mais les poils d’un homme ! Ce n’est pas un blocage, mais c’est nouveau. La seule chose qui me déplaît, et que je réalise : je n’aime vraiment pas… les personnes qui fument ! »

Il n’a pas fini de nous surprendre. C’est qu’à la suite de cette aventure, et en « élargissant ses recherches », Simon finit par rencontrer une fille de Québec. Coup de théâtre (et en résumé) : ils ne se lâchent plus depuis. Au lit ? « Elle a le contrôle, sans trop contrôler. On a une synergie de contrôles. » Et croyez-le ou non, mais oui, il est « comblé », dans un couple ici « fermé », de loin le plus traditionnel qu’il ait connu. « C’est drôle, hein ? Je retourne vers une source sûre. […] Ça va bien avec elle, c’est une perle rare. Et je suis prêt à ça, à ne pas aller voir chez les hommes ni chez les femmes. » Il ne le cache pas, oui, parfois, une envie lui prend. « Mais aujourd’hui, avec internet, je comble… »

Et puis il n’est pas fou : « On est encore aux débuts, chaque chose en son temps… »

La morale de tout ça ? Simon ne cherche pas longtemps : « Défonce tes murs. Moi, si je les avais gardés, je n’aurais jamais été vers les femmes ni vers les hommes. Ni vers moi-même… »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat