Il y a exactement 25 ans prenait l’affiche Les Boys, de Louis Saïa. À la belle époque où les films québécois attiraient des centaines de milliers de spectateurs dans les salles de cinéma. Cette comédie populaire a touché une corde sensible : il y était question non seulement de notre sport national, mais aussi de cette camaraderie entre hommes qu’on retrouve à l’état brut dans le vestiaire.

Ce qui se passe dans le vestiaire reste dans le vestiaire. À moins qu’il y ait un préposé à l’équipement, mais ça, c’est une autre histoire. Vous pourrez en débattre avec mon collègue Mathias Brunet. Je parle de la « chambre des joueurs » où il n’y a pas de préposé à l’équipement, celle de la ligue de garage.

J’ai toujours joué dans des ligues de garage. Surtout au soccer dans la vingtaine, au hockey cosom dans la trentaine et au hockey sur glace dans la quarantaine. Si vous vous posez la question : oui, c’est une progression naturelle. On se blesse moins au hockey sur glace qu’au hockey cosom et surtout qu’au soccer, un sport de contact bien plus qu’il n’y paraît.

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Le vestiaire de nos ligues de garage est un microcosme de la société masculine québécoise.

Même si ma fracture de la clavicule, subie sur la glace lorsque j’ai perdu pied avant de percuter la bande, tout seul comme un grand sans l’intervention du moindre adversaire, peut laisser croire le contraire...

Ce qui se passe dans la chambre reste dans la chambre, disais-je. Ce que j’ai toujours trouvé ironique à ce propos, c’est que les discussions de vestiaires de hockey ne sont pas toujours autant au ras des pâquerettes que certains pourraient l’imaginer.

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Le film Les Boys est sorti en 1997, il y a 25 ans.

Je me souviens être rentré tard du hockey, jadis, en me disant qu’on ne me croirait pas si je racontais qu’avec les boys, on venait de refaire le monde autour d’une bière et d’une discussion éclairante sur l’impact du microcrédit en Afrique subsaharienne.

Avant que vous ne me réduisiez à ma caricature, la plupart du temps, bien sûr, on ne discute pas de géopolitique mondiale. Mais à l’aréna, on ne parle pas seulement de hockey. On parle souvent de nos enfants, d’éducation, d’actualité, de culture. On parle de Nic, qui vient d’avoir un bébé, d’Éric, qui est parti vivre en Afrique, ou de Sylvain, qui s’est fait remplacer la hanche.

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On trouve des gens de tous les horizons dans les ligues de garage.

Une chambre de hockey a un ton, cela dit. Il n’y a pas plus ironique qu’une douzaine de gars s’apprêtant à jouer ou venant de jouer un match. Récemment, JP a osé dire qu’il regardait OD avec ses filles, parce que c’était un moment privilégié passé avec elles. J’ai répondu quelque chose qui a fait ironiser Big Dave sur mon niveau de connaissances de la téléréalité québécoise, suspicieusement élevé, selon lui. Dans une chambre, on chambre.

J’en discutais récemment avec le cinéaste Ricardo Trogi : le vestiaire de nos ligues de garage est un microcosme de la société masculine québécoise. Mon équipe de ligue de garage, la même depuis une douzaine d’années, est formée de gars qui viennent de tous les coins de la grande région montréalaise : Rive-Sud, couronne nord, Laval, Ahuntsic, Villeray, Saint-Michel, Saint-Laurent, Saint-Bruno... Notre arbitre, toujours le même, habite Côte-des-Neiges. Au milieu, en bon médiateur.

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Les sujets de discussion sont diversifiés sur le banc.

La majorité des joueurs a maintenant entre 40 et 55 ans. Il y a eu du roulement depuis 12 ans, mais c’est resté un groupe éclectique. Il y a eu des gars qui travaillaient en technologies de l’information ou à la voirie, des profs de cégep et d’université, des éducateurs spécialisés, des musiciens, un cuisinier, un documentariste...

Il y a un gardien graphiste, un défenseur assureur, un attaquant sociologue avec un doctorat et un bon coup de patin. Des gars qui travaillent de jour et de nuit, des marathoniens, des gars qui font de l’embonpoint (de plus en plus, moi y compris). Plusieurs dont je ne connais pas le métier. Il n’y a pas de préposé à l’équipement, mais un gars qui conçoit des équipements de hockey.

Le dimanche à 22 h 15, on se divise en deux équipes, différentes chaque fois. Les pâles contre les foncés. À une époque, nous étions commandités par une brasserie comme celle de Stan des Boys. Par hasard, la couleur des chandails — beige, noir et bourgogne — est la même que celle de mes gants. Quand je joue avec les pâles, j’ai l’air du gars coquet qui a agencé son équipement avec la couleur de ses bas.

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Après le match ? La bière attend les joueurs, bien entendu.

Il y a 10 ans, on jouait dans une vraie ligue, mais certains se prenaient trop au sérieux. Déjà que de me motiver à m’extirper de mon sofa le dimanche soir, en sachant que je ne serais pas de retour à la maison avant minuit et demi, me prenait tout mon petit change, la perspective de me faire rentrer dans la bande par un quadragénaire revivant son midget BB ne m’enchantait guère.

Après avoir gagné le championnat aux tirs de barrage (exercice auquel mon frère, ancien gardien de but émérite, excelle), on a adopté cette formule plus conviviale. Le niveau va de l’intermédiaire-débutant à l’ancien joueur de bantam « deux lettres » qui a perdu depuis longtemps sa pointe de vitesse. On joue avec nos frères, nos beaux-frères, nos amis. C’est l’occasion pour moi, quand ils sont remplaçants, de renouer avec mes meilleurs chums du secondaire.

Et depuis deux ou trois ans, on accueille des joueurs de « deuxième génération ». Les fils de 20 ans des gars avec qui je joue depuis 12 ans. Mon neveu, qui a des mains si agiles qu’on ne croirait jamais qu’il a passé tout son hockey mineur dans les buts. Le fils de ma blonde du secondaire (!), qui venait me voir jouer à 16-17 ans, mon manteau de hockey de feutre avec des manches en cuir sur le dos, comme dans les films américains.

Il y a des clichés auxquels on n’échappe pas, évidemment. Il n’y a rien de plus satisfaisant que la première gorgée de bière — comme l’écrivait Philippe Delerm — après la game.

On peut excuser un gars d’avoir mal joué, d’avoir mangé le puck, de s’être emporté contre un adversaire. Ce que l’on ne tolérerait pas, c’est que le gars chargé d’apporter la bière oublie la bière...

La bière, presque de manière symbolique, est notre liant. Lorsqu’on se retrouve à l’extérieur du hockey parce que Pat donne un show, parce qu’on a organisé un souper de Noël, parce que c’est le Super Bowl. Ce n’est pas pour rien que les anglos appellent la ligue de garage la beer league.

La veille de l’Action de grâce, sachant que le lendemain était férié, on a pris une bière plus longtemps dans le parking. Les gars racontaient des blagues. Certaines, peut-être, qui ne se racontent qu’entre gars. L’air était doux, la bière était froide. On a bien ri.