Petite, quand Pascale n’arrivait pas à s’endormir, elle s’assoyait à la table de sa grand-mère pour placer quelques morceaux de casse-tête à ses côtés. C’est Marthe qui lui a refilé sa passion pour le passe-temps. Et si plusieurs d’entre nous ont laissé ce jeu dans l’enfance, Pascale, elle, sait toujours en profiter.

Il y a quatre ans, Pascale Simard a fondé le groupe Facebook « Accros des casse-têtes (province de Québec) ». L’objectif était noble : créer un lieu d’échange et de revente de produits pour que son loisir favori soit plus écologique et moins coûteux. Si le principe demeure, l’offre s’est rapidement bonifiée. Aujourd’hui, les 8600 membres du groupe s’échangent aussi des conseils et des félicitations (plusieurs publient des photos de leurs réalisations), certains se donnent rendez-vous dans des espaces publics pour pratiquer leur divertissement ensemble et d’autres annoncent les compétitions à venir. (Parce que oui, il y a des concours de casse-tête dans plusieurs régions du Québec !)

Pascale Simard, 43 ans, se fait souvent taquiner avec son « passe-temps de matante ». Pourtant, elle est loin d’être la seule travailleuse active qui se tourne vers cet outil pour ralentir. Un sondage mené par Ipsos en 2019 pour l’entreprise de jeu Ravensburger avance que 48 % des adultes américains réalisent un casse-tête au moins une fois par année. Dans le top 3 des raisons citées : la relaxation, le plaisir et la diminution du niveau de stress.

PHOTO FOURNIE PAR PASCALE SIMARD

Pascale Simard

C’est un moyen de s’évader à travers l’image et de prendre un moment pour soi. C’est aussi un excellent anxiolytique sans effet secondaire.

Pascale Simard

Un anxiolytique, que vous vous dites ? (C’est ce que moi, personne qui n’a pas fait de casse-tête depuis 25 ans, je me suis dit, en tout cas.)

Cette idée est étonnamment revenue souvent dans les témoignages que j’ai reçus de la part de plus de 200 abonnés du groupe « Accros des casse-têtes (province de Québec) ». Quand je les ai sondés sur leurs motivations, ils m’ont évidemment parlé de détente, de méditation, de sérénité, de patience améliorée et de fierté. Plusieurs passionnés ont aussi affirmé ne plus voir le temps filer, arriver à se vider la tête et enfin décrocher des maudits écrans (voire réussir à réunir toute la famille autour d’autre chose qu’un maudit écran !). Mais nombre de répondantes ont du même coup souligné le pouvoir calmant de l’activité…

« J’ai découvert le casse-tête dans un de mes (nombreux) moments de vulnérabilité, écrit Véronique Vaillancourt. Étant une personne anxieuse, performante et intense, je n’avais pas vraiment de “temps” pour un hobby. Pour améliorer ma santé mentale, j’ai essayé la musique, le dessin, les mandalas, l’écriture, le sport… name it ! J’ai réalisé que ces passe-temps contribuaient à mon anxiété parce qu’ils nourrissaient mon besoin de performance. Mon mandala devait être beau, ma phrase bien écrite, ma compétence dans le sport impeccable… Le casse-tête me permet de mettre ma switch à Off. »

En lisant ça, j’ai pensé aux stratégies que j’ai employées pour ralentir, jusqu’à maintenant. Yoga, méditation, exercices de respiration, cuisine intense le dimanche, bains de glace, fixage de mur. Toujours, j’ai cherché à m’améliorer. Mais pourquoi ? (Pour rien.) L’anxiété de performance jusque dans le ralentissement.

Je note de me mettre aux casse-têtes.

C’est aussi en cherchant à se sortir d’elle-même qu’Anne-Claude Séguin a eu le béguin pour le jeu. La femme de 32 ans se préparait pour une compétition internationale de parachutisme quand la pandémie… Vous connaissez la chanson. La déprime s’est invitée jusqu’à ce qu’Anne-Claude déniche un casse-tête chez ses parents. « Je le regardais et je le trouvais très laid, mais je me suis dit que ça pourrait peut-être m’occuper. Finalement, réorganiser les pièces, faire un contour et organiser le chaos de 1000 morceaux, ça a été extrêmement thérapeutique ! »

Anne-Claude a découvert avec soulagement qu’il existe plusieurs styles de casse-têtes et des créateurs qui sauraient davantage la faire vibrer (parmi lesquels l’artiste ontarienne Nicolle Lalonde).

J’ai un TDAH horrible, mais à la seconde où je suis devant un casse-tête, tout se calme. Ça me permet de ralentir la cadence.

Anne-Claude Séguin

Anne-Claude est devenue passionnée au point d’importer des produits qui ne se trouvaient pas au Québec : des casse-têtes en matière recyclable frappés d’une encre moins dommageable, tels qu’ils sont conçus du côté de Trevell et de Cloudberries, par exemple. Aujourd’hui, elle les vend en ligne par l’intermédiaire de sa propre entreprise, RoseWillie.

Toujours sur le plan thérapeutique, des accros du casse-tête m’ont aussi dit aimer les résoudre pour entretenir leur dextérité, travailler leur mémoire ou soutenir leur cerveau dans le tourbillon de la maladie. C’est le cas de Dominique Lebel, qui connaît une récidive de cancer du sein. Elle sent les effets cognitifs de la chimiothérapie s’amoindrir quand elle s’attelle à son casse-tête, en plus de profiter d’une brève évasion : « J’ai vraiment besoin de me changer les idées afin de stopper le hamster qui roule sans fin. Je choisis des modèles très colorés ou des paysages où j’aimerais me retrouver. »

Et si, à ce point-ci, vous n’avez pas encore envie d’étaler quelques pièces sur votre table pour découvrir les effets que celles-ci pourraient avoir sur le rythme de votre tête ou de votre cœur, laissez-moi vous refiler l’argument massue de Magalie Barsi, mère de sept enfants : « Ça me donne l’impression de commencer quelque chose et de pouvoir le terminer ! Ça fait changement du reste : le ménage, le lavage, les rénovations et l’épicerie, qui sont toujours à recommencer… »