Jean-Marc Dalphond et Marie-Joanne Boucher en conviennent : le projet de théâtre sur lequel ils planchent depuis quatre ans est le plus exigeant, le plus important de leur carrière.

En novembre 2023, les deux comédiens présenteront Projet Polytechnique, une pièce de théâtre documentaire sur la tuerie de Polytechnique. Et qui dit théâtre documentaire dit entrevues, dit confrontations, dit réflexions, dit analyse. Cette démarche, Marie-Joanne Boucher et Jean-Marc Dalphond la documentent dans l’émission balado Projet Polytechnique : Faire face, offerte depuis quelques jours sur Radio-Canada Ohdio.

En six épisodes d’une vingtaine de minutes, les auditeurs accompagnent les deux comédiens dans les entrevues qu’ils mènent pour mettre en lumière les problèmes sociaux derrière le drame de Polytechnique, qui demeurent d’actualité 33 ans plus tard. Le contrôle des armes à feu. La violence envers les femmes. Les discours antiféministes. Les deux complices font la rencontre du policier Jacques Duchesneau, d’une psychiatre, de chercheurs, mais aussi de gens qui ont des visions diamétralement opposées à la leur. Pour essayer de comprendre, pour établir un début de dialogue. Ils ont parlé à des militants proarmes à feu, mais aussi à des hommes qui ont été violents envers les femmes, dans leurs gestes ou dans leurs écrits.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Marie-Joanne Boucher

« Ce n’est pas juste un projet artistique ; c’est un projet de vie, dit Marie-Joanne Boucher. Ça nous a fait nous remettre en question, mais aussi beaucoup avancer. »

La pièce de résistance de la balado est sans doute cette rencontre (aussi décousue que surréelle) avec un admirateur de Marc Lépine jugé coupable d’avoir fomenté la haine envers les femmes. Cet homme a généré chez Marie-Joanne une émotion qu’elle jure n’avoir jamais ressentie auparavant. « C’était de la vraie pitié, dit-elle. Pas du genre “pauvre petit, il fait pitié” ; non. C’était une pitié de dégoût, une pitié d’aversion. » Si elle ne comprend toujours pas qu’un être humain en vienne à glorifier un geste aussi horrible que celui de Marc Lépine, elle comprend désormais qu’il y a une réelle souffrance derrière tout ça. Une souffrance de l’âme. « Et ça, je ne l’avais pas vu venir », dit-elle.

Pour Jean-Marc Dalphond, qui a perdu sa cousine Anne-Marie sous les balles de Marc Lépine le 6 décembre 1989, le projet a été éprouvant. Il a même ressenti le besoin de prendre une pause de plusieurs mois, au cœur de la pandémie, ébranlé par ce deuil qui n’était pas réglé et par ses lectures sur les sous-cultures misogynes. « En m’assoyant avec ces personnes-là, j’avais aussi le sentiment de cracher au visage de ma tante, de mon cousin et de mon oncle, qui ont vécu quelque chose d’innommable », dit-il. Mais cette quête, pour lui, a un effet cathartique (et sa tante Suzanne leur a dit avoir beaucoup aimé leur balado et sa lecture de la pièce à venir).

Questions et réflexions

Pour mieux comprendre « l’hydre à plusieurs têtes » que représente le drame de Poly, le duo a mené plus d’une centaine d’entrevues, au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde. Ces rencontres ont suscité des questions et des réflexions qui sont au cœur de l’émission balado et qui seront aussi au cœur de la pièce de théâtre. Est-ce plus confortable d’avoir un débat sur le contrôle des armes à feu que de parler franchement de misogynie, de radicalisation et d’accès aux soins en santé mentale ? Est-ce plus facile de traiter Marc Lépine de fou que de mettre les projecteurs sur ce désir de certains hommes de contrôler les femmes ?

Aujourd’hui, dans les coins les plus sombres de l’internet, Marc Lépine est considéré comme une rockstar, se désole Marie-Joanne Boucher.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Jean-Marc Dalphond

« Et il y a des gens à travers la planète qui lui rendent hommage en reproduisant son geste, souligne Jean-Marc Dalphond. Notre prétention, c’est que c’est en partie notre responsabilité. Parce qu’on n’a pas voulu faire face à ce qui s’est passé réellement à ce moment-là. Si on l’avait fait, peut-être qu’on aurait coupé les pattes de ce monstre-là. »

L’objectif du projet, dit-il, c’est d’éveiller les consciences, sans être moralisateur. « Il est temps qu’on réfléchisse et qu’on soit conscient que c’est toute cette panoplie-là de questions qui dépassent Polytechnique. »

Malgré toute la noirceur qu’il aborde, Projet Polytechnique est aussi un regard lumineux vers l’avenir. Mère de deux enfants, dont un garçon adolescent, Marie-Joanne Boucher craignait de perdre une partie de sa lumière et de sa bonne humeur en allant découvrir ce qui se passe sur l’internet. « Mais finalement, ça a eu l’effet contraire : ma lumière est encore plus forte, mon féminisme est encore plus gonflé. Et j’ai la certitude d’avoir une place et d’y avoir droit. »

L’émission balado Projet Polytechnique : Faire face est réalisée par Myriam Berthelet et produite par Picbois Productions et Productions Porte Parole.

Écoutez la balado Projet Polytechnique : Faire face