C’est la fin du monde à tous les jours, chante Lou-Adriane Cassidy.

Elle n’a pas tort. Au-delà des petits renoncements et des peines banales, il y a ces guerres et cette crise climatique et ces menaces planétaires. Chaque jour.

On a beau être optimiste, on lit La Presse en se réveillant et on se rappelle qu’on est « à 90 secondes de l’apocalypse »1. C’est écrit dans le journal : « Les tendances continuent de pointer de façon inquiétante vers une catastrophe mondiale. » La débarque plane, on le sent. Reste à savoir si elle sera économique, politique, climatique, pandémique, ou tout ça à la fois.

Alors, on fait quoi ?

Dans mon arsenal d’outils d’évasion, il y a la fiction. Et dans les derniers mois, j’ai justement consommé un nombre disproportionné de récits sur… l’apocalypse.

Le monde après nous, The Last of Us, Station Eleven, Last Light ; si je me fie au succès de ces œuvres et autres Silo ou La servante écarlate, je ne suis pas la seule qui profite de ses temps libres pour plonger dans des dystopies.

Est-ce qu’on fuit vers l’avant ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Richard Bégin, professeur de cinéma à l’Université de Montréal

Je pense qu’il y a un côté un peu fantasmatique là-dedans. Ce qui recoupe la plupart des films apocalyptiques, c’est l’idée qu’on perd nos repères et que les lois n’existent plus. Ça répond à une espèce de fantasme de voir le monde auquel on est habitué ne plus fonctionner et, de par cette dysfonction, trouver un nouveau sens à la vie.

Richard Bégin, professeur de cinéma à l’Université de Montréal

Le professeur de cinéma à l’Université de Montréal aime se pencher sur la question du désastre. Pour lui, il y a dans ce thème l’idée attirante de faire table rase. Marie-Ève Thuot parle quant à elle d’une « tension entre angoisse et espérance ».

L’autrice du formidable roman La trajectoire des confettis a voué son doctorat en littérature aux récits de fin du monde. Dans le cadre de ses recherches, elle a été marquée par l’idée de Kant selon laquelle on s’attend à la fin du monde quand on sent que ledit monde est injuste et qu’il ne mérite pas de durer d’une telle manière.

Fantasmer la fin d’un système pour en faire naître un plus juste, voilà une réponse logique à nos temps fous. Quoique le réflexe ne date pas d’hier.

Richard Bégin me fait remarquer que le film catastrophe s’adapte à toute époque. Les technologies modernes ont angoissé les spectateurs des années 1960, l’apocalypse nucléaire a traversé les années 1980 et les zombies – synonymes de la perte de repères symboliques dans nos sociétés – ont dévoré la décennie 1990.

Selon le chercheur et compositeur (qui s’inspire de la catastrophe dans ses pièces dark ambient !), les récits de fin du monde nous en apprennent beaucoup sur la relation entre l’humain et son milieu : « On nous met en plein visage ce qu’on risque de perdre et le fait que ce qu’on croit être permanent ne l’est pas. » C’est pourquoi on a aujourd’hui droit à l’apocalypse médiatique dans des films tels que Leave the World Behind, où nos canaux de communications sont pris en otage.

D’ailleurs, je me demande si je ne regarde pas tout ça pour acquérir un certain savoir qui s’est perdu au fil des générations… Pour avoir une idée d’où me cacher en forêt et de la manière dont on trappe un animal sans avoir recours à l’internet. En même temps, j’ai une très mauvaise coordination et un piètre sens de l’orientation, il n’y a pas un seul film qui va me permettre d’être parmi les rares humains survivant à une catastrophe. Internet ou non.

Je devrais peut-être me rallier à la théorie de Marie-Ève Thuot, qui voit plutôt dans notre soif de récits apocalyptiques une quête de sens. Si c’était jadis les textes religieux qui nous aidaient à imaginer nos fins du monde, disons qu’on a pas mal perdu le réflexe de se pencher sur des mythes pour comprendre ce qui nous attend…

Je pense que les films et les romans de fin du monde remplissent ce besoin de se représenter des catastrophes, mais aussi d’y trouver un certain sens. La plupart des récits ne montrent pas une destruction totale du monde, on voit des humains en lutte pour rebâtir les choses. Il y a toujours un espoir.

Marie-Ève Thuot, autrice

L’espoir se cache peut-être même dans le simple intérêt qu’on porte à ce genre d’œuvres. Marie-Ève Thuot cite le philosophe Jean-Pierre Dupuy et sa notion de catastrophisme éclairé : « Pour lui, la fin du monde est inévitable, mais le fait de se représenter des choses si atroces peut aussi agir comme repoussoir et éveiller les consciences. »

J’aime bien l’idée. Mais bon, je l’écrivais plus tôt : je suis une optimiste.

1. Lisez l’article « À 90 secondes de l’apocalypse »