Presque huit ans séparent le précédent livre de Mélissa Verreault de La nébuleuse de la Tarentule. Des années bien occupées pendant lesquelles l’autrice a enseigné, traduit, élevé ses triplées, s’est impliquée à l’UNEQ… et a aussi écrit un roman entier qui est resté dans ses tiroirs.

« Le titre était d’ailleurs Le dernier mur, pas de joke ! », lance Mélissa Verreault lors d’un riche entretien téléphonique. « C’était prémonitoire, je savais que j’allais rentrer dedans solide… » Il faut parfois faire de longs détours avant de trouver la bonne route, et l’autrice ne regrette pas ce « passage obligé » du livre abandonné – un manuscrit de 80 000 mots, quand même !

« Après une longue période de doute, c’était le chemin que je devais prendre pour arriver aujourd’hui avec quelque chose qui me convient. Sans cette bifurcation, il n’y aurait pas eu La nébuleuse. Pas dans l’état actuel, pas avec toute cette complexité. »

Cela lui aura aussi servi à renouer avec le plaisir de l’écriture, qu’elle avait « un peu perdu en cours de route ». Mais si elle a ensuite entrepris ce qui allait devenir La nébuleuse de la Tarentule sans se mettre de pression, elle s’est ajouté un coefficient de difficulté en l’écrivant… à la main. Elle a ainsi établi les bases de son roman dans 12 carnets qui, croit-elle, l’ont emmenée au plus près de l’essence de son propos, dans le vif des émotions et des souvenirs.

« C’est devenu la matière brute qui m’a permis d’atteindre ce qu’il y avait de plus brûlant, de moins tourner autour du pot. Après j’ai tout retapé sur mon ordi et j’ai fait comme n’importe quel écrivain en 2024, j’ai utilisé la fonction copier-coller, qui est quand même pratique ! »

Mais qu’est-ce qui brûlait ainsi ? Pour la première fois, Mélissa Verreault a voulu s’inspirer de sa propre histoire pour en raconter une autre, celle de Mélisa, qui lui ressemble étrangement, mais qui n’est pas elle. Elle a donc puisé dans ses expériences de jeunesse, mais ce n’est pas tant le terreau de l’enfance qui l’intéressait que l’interprétation et la puissance des souvenirs qui diffèrent selon les émotions qui y sont liées.

Le vrai et le faux

Mélissa suit donc Mélisa, qui rencontre par hasard une ancienne flamme du secondaire, ce qui l’amène à creuser dans sa mémoire qui lui joue des tours. L’autrice en profite pour parler du passé qui fait irruption dans le présent, de deuils à faire même si c’est douloureux, de petites et de grandes trahisons, et, évidemment, d’identité.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Selon Mélissa Verreault, ses rôles de professeure de littérature et de traductrice l’ont rendue une meilleure écrivaine.

Il y a des éléments de moi qu’on reconnaît facilement si on tape mon nom sur l’internet. Mon mari est italien, j’ai des triplées, je vis sur la rive sud de Québec. Mais qu’est-ce qui compose vraiment une identité ? La personne qu’on est, de quoi elle est faite ? C’est comme ça que j’ai choisi chacune des scènes du livre.

Mélissa Verreault

Mélissa Verreault aime depuis toujours cette ligne mince entre le vrai et le faux. Et elle entretient volontairement le flou entre la réalité et la fiction dans ce roman dense de 400 pages qui se promène dans différentes temporalités, souvent sans avertissement, et en semant des indices pour qui a envie de s’amuser un peu.

« J’ai voulu ça ludique, pas dans les thèmes, mais dans la façon, oui. Tellement qu’à la fin, on ne sait plus trop ! Je voulais plus faire douter les gens que donner des réponses. » Par exemple, si elle a été très méticuleuse avec sa ligne du temps, l’ordre aurait pu être différent. « Comme si ma structure était une proposition, et pas quelque chose d’arrêté. »

L’autrice, qui est convaincue que tant son rôle de professeure de littérature à l’Université Laval que son travail de traductrice l’ont rendue une meilleure autrice, a hâte que le livre prenne son envol, et surtout, de retrouver les lecteurs.

La raison pour laquelle j’aime écrire, c’est qu’après, on peut engager les discussions. Ça permet une véritable rencontre et ça m’aide à avancer.

Mélissa Verreault

Fantasme

En plus de ses divers projets, Mélissa Verreault a aussi fait partie du conseil d’administration de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) pendant 10 ans. Elle en était même la vice-présidente lorsqu’une crise a secoué l’organisation l’an dernier autour de l’instauration de cotisations syndicales, ce qui a mené à la démission en bloc du C.A. en mars 2023.

Elle l’admet, l’expérience la laisse avec des blessures « qui guériront avec le temps ». « Mais on est tous en choc post-traumatique ! Ça a joué vraiment dur. » Elle n’en ressort pourtant pas amère, et elle est surtout fière de son parcours. « J’ai appris tellement de choses et rencontré des personnes extraordinaires. La dernière année comprise, même si ça a été tough. Je ne suis pas prête tout de suite à replonger, mais un jour, on va me revoir. Pour moi, l’engagement est une manière pour l’écrivain d’exister dans le monde. »

Maintenant que son livre est sorti, l’autrice espère qu’il se retrouvera « dans toutes sortes de mains » : même si c’est une œuvre ambitieuse, elle a toujours le souci, comme dans ses précédents romans L’angoisse du poisson rouge et Les voies de la disparition, de raconter une histoire – ou plutôt des histoires. « Tout le monde peut y trouver son compte », croit-elle.

Elle rêve aussi qu’on en achète les droits à l’international pour en faire un film. « Ce serait merveilleux ! C’est le fantasme de l’écrivain. On ne peut pas vivre de sa plume autrement au Québec. »

Bien sûr, elle ne veut pas ramener l’écriture à de simples considérations financières. « Écrire, c’est bien plus que ça pour moi. » Mais si elle a passé 10 ans à l’UNEQ, c’est parce qu’elle croit profondément que l’écriture est « un métier qui mérite rétribution ».

« Je souhaite au livre, et à moi, que je sois moins obligée d’accepter toutes sortes de contrats pour survivre, et plus me consacrer à mes projets. C’est mon vœu pieux. »

La nébuleuse de la Tarentule

La nébuleuse de la Tarentule

XYZ

400 pages