La formule est éculée, mais appropriée : avec la disparition de Bernard Pivot, la littérature québécoise perd un ami influent qui estimait notre langue et la liberté de nos écrivains.

L’une des grandes qualités de Bernard Pivot était de s’intéresser au travail de l’écrivain, pas à son vécu ou aux anecdotes personnelles, dit le comédien et romancier Robert Lalonde, qui fait partie des Québécois reçus à l’émission Bouillon de culture en 1999.

« Il m’avait dit d’emblée : on va parler de vos livres et de ce que vous apportez à la langue française par votre façon de travailler », rapporte l’auteur de L’ogre de Grand Remous et Le petit aigle à tête blanche. « Je l’ai toujours trouvé admirable de faire ça avec tous les écrivains du monde entier qu’il a reçus. »

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Robert Lalonde

La journaliste et autrice Claudia Larochelle, qui a consacré une édition spéciale de son émission Lire à l’animateur d’Apostrophes et de Bouillon de culture en 2013, est d’accord. « Il aimait les écrivains québécois, leur audace, il aimait notre langue, précise-t-elle, et avait un grand respect pour notre français et les expressions québécoises. »

Bernard Pivot était l’antithèse d’un Thierry Ardisson qui s’est moqué de l’accent de Nelly Arcan en direct à la télévision. « Ce n’était pas Ardisson, non. Il n’y avait pas ce mépris ou cet esprit colonialiste », poursuit la journaliste, qui décrit plutôt Pivot comme un homme avenant, « extrêmement sensible et humain », un « intellectuel d’une grande rigueur » sans être hermétique.

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Claudia Larochelle

Bernard Pivot, figure marquante de la télévision française, référence culturelle dans le monde francophone, tient son ouverture d’esprit de ses origines, estime Pascal Assathiany, qui l’a souvent côtoyé alors qu’il dirigeait Dimedia, un géant de la distribution du livre au Québec.

« Il venait de Lyon, rappelle-t-il. Ce n’était pas un Parisien pédant, intellectuel. Il avait cette spontanéité, cette simplicité dans son rapport avec tout le monde. Il connaissait énormément de choses, mais était toujours curieux d’en apprendre plus. Il rendait toujours les autres importants en leur posant des questions. Il s’étonnait, il creusait… »

Centré sur la littérature

Bernard Pivot a occupé une position unique dans le monde des lettres francophones, sinon du monde entier, selon Robert Lalonde, en pilotant une émission de télévision « fondamentalement centrée sur la littérature ». Il a ouvert le plateau d’Apostrophes à tout le monde, de Soljenitsyne à Marguerite Duras, en passant par Bukowski, Kundera et Gaston Miron.

En 2018, en entrevue à La Presse, l’animateur français rappelait d’ailleurs son affection pour l’auteur de L’homme rapaillé, un rare poète à ne pas avoir « peur de la télévision ». « Il s’était levé et avait dit de mémoire un poème sur sa fierté d’être québécois, dit-il en parlant de Miron. Ça avait eu un grand retentissement en France, surtout à le voir au milieu des autres poètes les fesses serrées. »

Le passage de Denise Bombardier, où elle avait confronté Gabriel Matzneff sur son goût pour les jeunes filles et dénoncé la complaisance du milieu littéraire français à son endroit, compte aussi parmi les passages marquants d’auteurs québécois chez Pivot. C’était en 1990, longtemps avant #metoo, longtemps avant la dénonciation de Vanessa Springora dans son roman Le consentement.

« Une invitation à une émission de Bernard Pivot avait du poids. Il fallait réussir son passage », résume Robert Lalonde, évoquant l’agitation qui régnait en coulisses de l’émission. « Il n’était pas pédant, mais il savait l’influence qu’il avait », ajoute Pascal Assathiany.

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Pascal Assathiany

M. Assathiany se rappelle que l’animateur s’était assuré auprès de lui que La petite fille qui aimait trop les allumettes, de Gaétan Soucy, était bien disponible partout en France à la veille de recevoir le regretté écrivain québécois sur son plateau. « J’aime beaucoup ce livre. Je vais le recommander et il va y avoir beaucoup de demande. Je vous en voudrai beaucoup si le livre n’est pas présent partout », lui avait dit Bernard Pivot.

Son impact au Québec était bien sûr moindre, ses émissions n’étant pas diffusées sur des chaînes populaires. Or, son influence se faisait tout de même sentir ici, dit encore Pascal Assathiany, puisqu’il était suivi par les gens du milieu, notamment les prescripteurs que sont les libraires et les journalistes qui se consacraient à la littérature.

Le célèbre lecteur et intervieweur français est décédé lundi à l’âge de 89 ans. Il avait été président d’honneur du Salon du livre de Québec en 2015. Il a été reçu chevalier de l’Ordre national du Québec en reconnaissance de sa contribution au rayonnement des écrivains québécois en France et est aussi officier de l’Ordre du Canada.